dimanche 17 janvier 2010

Débat sur le Moyen-Orient au Sénat

publié le samedi 16 janvier 2010
Michel BILLOUT

 
"Bien que ce débat porte sur le Moyen-Orient dans sa globalité, j’évoquerai ici exclusivement le conflit israélo-palestinien car il est la cause principale des tensions dans cette région."
Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues
Il y a un an, à la même époque, nous débattions de la guerre menée par Israël contre la population de la bande de Gaza.
Quelle est aujourd’hui l’évolution de la situation dans cette partie du monde qui depuis soixante ans a vu se succéder tant de conflits armés ? Bien que ce débat porte sur le Moyen-Orient dans sa globalité, j’évoquerai ici exclusivement le conflit israélo-palestinien car il est la cause principale des tensions dans cette région.
Parvenir à régler ce conflit d’une façon juste et durable permettrait précisément d’endiguer les autres sources d’instabilité au Moyen-Orient. Mettre fin à ce conflit pourrait, par exemple, contribuer à écarter la menace que constitue la tentative d’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran et le risque de prolifération à l’ensemble de la région. Tout comme constitue une menace l’arsenal nucléaire israélien.
De la même façon, trouver des solutions pour résoudre ce conflit aurait assurément des répercussions positives sur la situation du Liban, toujours au bord de l’éclatement, et sur la Syrie dont l’hostilité envers Israël n’aurait plus de raison d’être.
Je suis donc satisfait que nous ayons ce débat ce soir, comme je l’avais aussi demandé au mois de novembre, et je souhaite qu’il contribue à définir quelques étapes sur le chemin de la paix dans cette partie du monde. Je continue toutefois de regretter le refus de Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères d’inscrire à l’ordre du jour la proposition de résolution européenne de notre collègue Annie David et moi-même demandant le gel de l’accord d’association Union européenne-Israël. Cette proposition me paraît d’une extrême actualité et j’y reviendrai plus loin.
Je voudrais tout d’abord rappeler que l’offensive militaire israélienne était totalement disproportionnée par rapport aux tirs de roquettes en provenance de Gaza qui l’avait motivée, et qu’elle avait fait plus de 1.400 victimes palestiniennes.
60% étaient des civils parmi lesquels on comptait un grand nombre de femmes et d’enfants.
Les conditions mêmes de cette opération ont d’ailleurs suscité un rapport commandé par la Commission des droits de l’Homme de l’ONU qui, bien qu’il mette aussi en accusation le mouvement Hamas, est accablant pour les autorités militaires israéliennes : ce rapport leur impute très précisément des crimes de guerre.
Depuis un an, la population de la bande de Gaza qui a subi cette guerre souffre désormais d’un nouveau blocus total. Il prolonge celui instauré par Israël à la suite de la prise du pouvoir par le Hamas sur ce territoire en juin 2007 au détriment de l’Autorité palestinienne.
Cette mesure s’apparente à une punition collective. Elle a de dramatiques conséquences humanitaires et sanitaires car la population civile manque d’eau, d’électricité et a difficilement accès aux soins médicaux. Avec le blocus, la reconstruction des infrastructures et des habitations détruites est impossible, l’économie et l’agriculture sont asphyxiées. .
Depuis un an, les divisions, qui se traduisent parfois par des affrontements armés entre les différentes factions palestiniennes, se sont malheureusement accentuées.
Faute d’un accord entre le Fatah et le Hamas, la direction de l’Organisation de Libération de la Palestine avait, en effet, été obligée de différer, le 16 décembre dernier, la date des élections présidentielle et législative, et de prolonger les mandats de Mahmoud Abbas à la présidence de l’Autorité palestinienne et du Parlement.
Il semblerait toutefois ces jours-ci que la réconciliation entre les différents groupes, sous les auspices de l’Egypte et de l’Arabie saoudite, puisse revenir à l’ordre du jour.
Depuis un an également, un élément nouveau est intervenu avec le triple refus du gouvernement israélien de mettre un terme définitif à sa politique de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem Est, de reconnaître Jésuralem comme capitale des deux Etats ainsi que de lever le blocus de Gaza. C’est le principal obstacle à une reprise des négociations entre Israël, les palestiniens et les Etats arabes. Dans ce conflit, l’impression prévaut que ce qu’il est convenu d’appeler « la communauté internationale » a laissé Israël agir en toute impunité et ignorer toutes les résolutions de l’Onu qui condamnaient sa politique. Nous devons réagir face à cette passivité de la communauté internationale qui depuis un an n’a pratiquement pris aucune initiative de nature à régler ce conflit.
Le président Obama, tant dans son discours du Caire que par l’envoi du négociateur George Mitchell dans la région, avait suscité de grands espoirs. A la différence de l’administration précédente, il s’était clairement prononcé pour une solution à deux Etats et a demandé l’arrêt complet de la colonisation.
Il a malheureusement déçu en acceptant par la suite le moratoire israélien sur cette question décisive pour la création d’un Etat palestinien viable.
l’Union européenne, qui a des atouts en tant que premier partenaire économique d’Israël et principal contributeur en matière d’aide aux territoires palestiniens, s’est pour sa part toujours refusée à prendre une position qui lui soit propre.
Elle se contente de suivre la stratégie de l’administration américaine. C’est la raison pour laquelle les pays européens, bien qu’ils dénoncent la poursuite de la colonisation et se prononcent eux aussi pour une solution à deux Etats, se satisfont d’un moratoire de dix mois sur la colonisation en Cisjordanie, excluant Jérusalem-Est.
Pourtant lorsque la semaine dernière, l’émissaire spécial pour le Proche-Orient George Mitchell évoque la possibilité par les Etats-Unis de retirer leur soutien aux garanties de prêt à Israël, système de garanties grâce auquel ’Etat hébreu a bénéficié de milliards de dollars de prêts à des taux préférentiels afin de faire pression sur le gouvernement israélien, une pression de l’Union Européenne concernant les conditions d’application de l’accord d’association apparaîtrait comme pertinente.
C’est toujours l’objet de la proposition de résolution déposée par le groupe CRC-SPG.
Quant à la France, sa position est extrêmement ambigüe. Après avoir refusé de participer au vote adoptant le rapport Goldston à l’assemblée générale de l’ONU, le 8 décembre dernier, lors du conseil européen Affaires étrangères, la portée de la résolution proposée par la présidence suédoise prévoyant la reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale d’un futur Etat palestinien a été considérablement affaiblie à la suite du refus de notre pays de voir figurer cette mention. Et je préfère ne pas évoquer les déclarations de notre ambassadeur à Tel Aviv s’interrogeant sur la crédibilité des crimes de guerre, la réalité du blocus de Gaza ou même, selon le Canard Enchaîné, de la pertinence de vouloir arrêter la colonisation.
Il faut enfin relever les divisions des pays arabes et leur impuissance à opposer à Israël une stratégie cohérente commune. Après l’intervention militaire israélienne à Gaza, ils ne sont pas parvenus à se réunir tous ensemble, pas plus qu’ils n’ont réussi à s’accorder lors du sommet sur la reconstruction de ce territoire qui s’est tenu au Qatar à la fin du mois de mars.
Il n’est donc pas acceptable de se résigner et d’assister passivement, d’année en année, à la lente dégradation d’une situation qui a des implications qui vont bien au-delà du seul Moyen-Orient. Certes, notre débat de ce soir n’apportera pas de solution miracle. Mais il n’est pas inutile que dans un grand pays démocratique comme le nôtre les diverses sensibilités politiques représentatives de la Nation puissent s’exprimer au sein des assemblées parlementaires afin de faire des propositions permettant d’élaborer des solutions politiques et pacifiques.
Notre groupe, pour sa part, veut y contribuer et considère qu’au vu de l’urgence et de la gravité de la situation il est impératif, et encore possible, d’agir sur le cours des évènements.
Comment agir pour que les différents protagonistes de ce conflit puissent sortir de l’impasse dans laquelle ils se trouvent ? Que faire pour ne pas perdre l’espoir d’une solution politique négociée, fondée sur deux Etats dans le cadre des résolutions de l’ONU ? Comment contraindre efficacement le gouvernement israélien à s’engager dans cette voie ?
Telles sont les questions auxquelles notre pays et l’Union européenne doivent impérativement apporter des réponses.
L’excellent rapport d’information sur la situation au Moyen-Orient de nos collègues Monique CERISIER-BEN GUIGA et et Jean FRANCOIS-PONCET, dégage à propos du conflit israélo-palestinien quelques pistes que je partage en grande partie et dont le gouvernement devrait s’inspirer.
Comme le constate le rapport, il faut effectivement être réalistes et lucides et avoir conscience que le gouvernement israélien n’acceptera vraiment de changer de politique que sous la pression des Etats-Unis et de la communauté internationale.
C’est dans cette perspective que l’Union européenne et la France devraient jouer un rôle plus dynamique, faire preuve d’une plus grande autonomie et manifester leur spécificité en exerçant de fortes pressions sur les dirigeants israéliens.
Cela sur deux points essentiels :
-  le premier, et le plus urgent, étant la levée du blocus de Gaza,
-  le second, doit porter sur l’exigence d’un arrêt total de la colonisation de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, car la poursuite de cette colonisation qui morcèle ces territoires rend, de facto, impossible la création d’un Etat palestinien.
Ce sont deux conditions préalables à une reprise des négociations entre toutes les parties prenantes de ce conflit : j’insiste sur le « toutes », car comme le préconise le rapport, il faudra bien un jour ou l’autre prendre contact et négocier officiellement avec le Hamas qui est l’une des composantes du peuple palestinien.
Sur ces deux questions, la France doit retrouver sa liberté de parole et d’action, jouer l’important rôle de médiation que lui confèrent l’image et l’influence de notre pays dans cette partie du monde.
Tout cela, sans attendre les nouvelles propositions du plan de paix qui doivent être prochainement présentées par les Etats-Unis.
Telles sont les conditions pour permettre une reprise des négociations devant enfin déboucher sur la création d’un Etat palestinien libre, indépendant, souverain dans les frontières établies en 1967.
Je voudrais enfin ajouter que notre pays peut aussi jouer un rôle déterminant dans une phase très délicate de la reprise du processus de paix : celle de la libération de prisonniers.
D’une part deux de nos compatriotes sont détenus de part et d’autre de façon totalement innacceptable. Je veux parler du soldat Shalit détenu par le Hamas et de Salah Hamouri détenu dans une prison israélienne. Cela nous concerne donc directement et nous donne une responsabilité particulière. C’est pourquoi je regrette profondément que le gouvernement français n’agisse pas de façon équitable pour la libération de nos deux compatriotes. Les parents de Salah Hamouri attendent toujours d’être reçus par le Président de la République.
D’autre part la libération de Marwan Barghouti pourrait constituer une chance de réconciliation des parties palestiniennes et donc de permettre à Israël de trouver un interlocuteur fiable.
Au total, monsieur le ministre, le groupe CRC/SPG souhaite vivement que votre gouvernement affirme plus clairement ses positions sur l’ensemble de ces questions et qu’il manifeste enfin fermement sa volonté d’aboutir à un règlement juste et durable du conflit entre Israël, les Palestiniens et les Etats arabes.
Michel BILLOUT
Sénateur de Seine et Marne
Groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche