jeudi 12 novembre 2009

Les basses manoeuvres israéliennes pour essayer de recruter des collabos

Publié le 11-11-2009


Article intéressant de Benjamin Barthe, envoyé spécial du Monde à Gaza, qui dévoile les manoeuvres israéliennes pour tenter de recruter des collaborateurs au sein de la population de Gaza.

A Gaza, les "collaborateurs", enjeu d’une guerre secrète entre Israël et le Hamas

Quand un habitant de la bande de Gaza reçoit un appel avec la mention "numéro privé" inscrite sur l’écran de son téléphone portable, la prudence veut qu’il ne réponde pas. Depuis plus d’un an, le Shin Beth, le service de renseignements israélien, mène une opération de recrutement de collaborateurs au moyen d’une campagne massive d’appels téléphoniques.

Chacun ou presque des habitants de Gaza connaît un ami, un parent ou un collègue ayant fait l’objet d’appels plus ou moins explicites, dans un arabe plus ou moins châtié. "C’est la nouvelle technique d’approche des Israéliens, dit Fadi Hussein, le pseudonyme d’un ancien policier du Fatah reconverti dans le trafic d’armes. Ils appellent tous azimuts parce que le blocus de Gaza les prive d’un contact direct avec les Palestiniens."

Il y a quelques mois, Fadi a reçu une offre de services d’un certain "Nidal". Il croit d’abord à un canular. Mais, quand il entend son interlocuteur pianoter sur un clavier puis lui décliner les prénoms de ses six filles et trois garçons, Fadi se fige. Et il comprend. Avec son implantation dans le quartier de Shujaya, l’une des places fortes du Hamas située en lisière de la frontière, et sa connaissance des gangs militaro-mafieux de Gaza, il est une cible de choix pour les experts du Shin Beth.

Mais Fadi est un malin. Après deux ou trois appels faussement badins, au bout desquels "Nidal" lui transmet son numéro de portable, il raccroche, change de puce et demande à tous ses amis d’inonder l’agent pas très secret de coups de téléphone. "Ils se sont mis à l’insulter ou à lui proposer de collaborer avec la branche armée du Hamas, raconte Fadi. Au bout de quelques jours, il a éteint son portable."

Avec Abou Rachid, le Shin Beth fut plus chanceux. Début 2008, ce trentenaire oeuvrait le jour comme apprenti dentiste et la nuit comme milicien du Jihad islamique. Un jour, il reçoit un appel d’un certain "Abou Brahim". L’homme explique dans un arabe parfait qu’il appelle "depuis l’autre côté" et connaît les activités clandestines de son interlocuteur. Pour lever le moindre doute, il récite l’organigramme militaire du Jihad et fournit le numéro de carte d’identité d’Abou Rachid. Puis il lui propose de collaborer. "J’ai aussitôt averti la direction du Jihad islamique, mais mes chefs m’ont demandé de continuer afin d’en savoir plus sur les techniques du Shin Beth", jure Abou Rachid.

Après la troisième conversation, sur les indications de son recruteur israélien, il récupère une enveloppe contenant 1 000 shekels (200 euros), dissimulée dans les toilettes d’une mosquée. "Je l’ai transmise à mes chefs et peu après, conformément à leurs consignes, poursuit-il, j’ai détruit ma puce téléphonique."

Agent double, Abou Rachid ? La police du Hamas, maître de la bande de Gaza, n’a pas cru à cette version. Condamné à dix ans de prison en septembre de cette année, le dentiste-milicien croupit aujourd’hui dans un pénitencier bricolé par les islamistes sur les ruines d’une ancienne base militaire du Fatah.

Au commissariat central de Gaza, Abou Omar, le chef des relations publiques, écoute ces récits avec une mine entendue. "Avant, les Israéliens avaient l’embarras du choix pour trouver des collabos, dit-il. Ils pouvaient faire chanter les Palestiniens qui voulaient un permis de travail en Israël ou qui devaient se faire soigner à l’étranger. Ils pouvaient aussi organiser des réunions discrètes dans les colonies. Et les services de sécurité du Fatah n’hésitaient pas à leur filer des tuyaux. Avec le blocus et la prise de pouvoir du Hamas, ces contacts se sont rompus. C’est pour cela que le Shin Beth mise beaucoup sur le téléphone et Internet."

Bien entendu, les anciennes filières de recrutement fonctionnent toujours, même au ralenti. Les ONG de défense des droits de l’homme israéliennes disposent de témoignages de malades à qui le Shin Beth a fait miroiter une hospitalisation en Israël ou en Cisjordanie en échange d’un peu de "bonne volonté".

Israël a toujours démenti se livrer à de tels marchandages. Des étudiants, admis dans une université étrangère, ont renoncé à voyager après avoir appris qu’ils auraient à subir un "entretien" au terminal d’Erez, le point de passage avec Israël. Ce fut il y a peu le cas de deux boursiers du ministère des affaires étrangères français, qui ont finalement pu quitter Gaza en passant par Rafah, la frontière avec l’Egypte.

En réaction à cette menace, le Hamas a développé une campagne de prévention. Une brochure, intitulée Le Piège de Satan, est distribuée dans les universités et les écoles. De son côté, le site de recherche pro-islamiste Al-Majd met en garde, témoignages à l’appui, contre les dangers des réseaux sociaux comme Facebook et l’emprise de ces correspondants téléphoniques trop affables pour être honnêtes.

Une des preuves favorites des islamistes est l’enregistrement d’une conversation entre un agent israélien et Abou Saïd, le patronyme d’un chef des Comités de résistance populaire, l’un des groupes impliqués dans la capture du soldat franco-israélien Gilad Shalit.

Mise en ligne sur le site de l’aile militaire du Hamas, la bande audio fut l’un des "tubes" de l’Internet gazaoui. "L’Israélien parlait mieux arabe que moi, raconte Abou Saïd, rencontré à Rafah. Il citait des noms et des histoires pour prouver qu’il contrôlait mon existence. Mais à quoi cela sert-il ? Ont-ils réussi à libérer Shalit et à renverser le Hamas avec leurs informations secrètes ?"

Benjamin Barthe

Source : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2009/11/11/a-gaza-les-collaborateurs-enjeu-d-une-guerre-secrete-entre-israel-et-le-hamas_1265677_3218.html

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