lundi 16 novembre 2009

Journal de Palestine (2)

dimanche 15 novembre 2009 - 07h:04

Jocelyne - AFPS

C’est mon amie Nina qui travaille en Palestine depuis 18 mois, qui m’avait demandé : « Viens-tu encore cette année pour la cueillette des olives ? ». Pourquoi pas, mais pas aux olives, plutôt pour vivre le quotidien des gens. Le gîte étant assuré, me voilà partie.

Du dimanche 25 octobre
au
vendredi 6 novembre 2009



Deuxième semaine

Pour voir la première semaine


Lundi, 2 novembre

Ce matin, parties de bonne heure (7h15) pour Nazareth. Nazareth est en Israël. A l’aller nous prenons l’autoroute israélienne pour arriver à l’heure, Nina doit se présenter dans 2 écoles arabes* qui enseignent l’allemand. On n’a pas fait 20 km que la pluie se met à tomber. Depuis 2 jours l’hiver s’installe tout doucement. Le long de la route, nous longeons le mur de Qalquilya : il est bien caché derrière des eucalyptus, les Israéliens ne le voient pas. Puis c’est Tulkarem : là c’est un talus qui cache le mur.

* écoles où on lui a parlé de discrimination des arabes israéliens qui ne peuvent aller à l’université ... alors quand on parle d’une solution à 1 Etat : quel Etat ? Un Etat avec les bons Israéliens et les mauvais Israéliens arabes ?

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Principales villes du séjour, soulignées en rouge.
Extrait d’une carte du Monde diplomatique

A Nazareth, je vais voir l’église de l’annonciation comme il se doit (là, Gabriel a annoncé à Marie qu’elle était enceinte). Il pleut à verse. Puis je marche dans les alentours, très beaux mais dès qu`on s’éloigne, les trottoirs ne sont plus pavés de pierres ocres mais vaguement cimentés, les maisons sont de guingois... Il pleut toujours. Mes pieds font floc floc, j’achète des chaussettes sèches !

A 15 h nous rentrons et décidons de prendre la route directe, route qui traverse toute la Palestine : Jénine, Naplouse, Ramallah mais tout compte fait il y a tellement de virages que cela fait 137 à 130 km ! Nous savons qu’il y a un gros check-point entre Israël et Jénine. L’affaire se présente mal : nous voyons les Palestiniens qui travaillent en Israël descendre de leur bus, traverser à pied leur passage (corridor) réservé, grillagé, encagé... mais aucune voiture n’est là. Puis on voit une barrière à 1/2 ouverte : ouverte pour ceux qui viennent de Jénine mais fermée pour nous. Nous prenons le sens interdit et aussitôt un jeune soldat vient à notre rencontre. Et alors voilà à peu près le dialogue entre Nina et le jeune :

- Nous voudrions passer pour aller à Jénine.
- C’est fermé, on ne peut pas passer. Vous êtes touristes ?
- Non, je travaille ici, vous voyez, j’ai un passeport rouge
(Nina a un passeport de service, le même que le passeport diplomatique, mais les soldats ne savent pas faire la différence). Il faut que j’aille à Jénine.
- C’est fermé.
- Alors ouvrez, Open the door.
- Non, je ne peux pas, je vais téléphoner à mon chef. (Il téléphone 30 secondes). Mon chef a dit non, on ne peut pas passer.
- Alors appelez votre chef, je veux le voir, je dois aller à Jénine, j’ai un passeport rouge, nous venons d’Europe, je dois passer.

Il rappelle et effectivement le chef vient, même pas en uniforme. Et cela recommence.

- Je dois aller à Jénine puis à Naplouse, c’est la route directe, je viens de Nazareth.
- Vous ne pouvez pas passer, la route ferme à midi.
- Comment cela, la route ferme à midi, je vois des voitures qui viennent de Jénine.
- On peut venir de Jénine mais la route ferme à midi pour y entrer.
- Comment ça, la route ferme à midi ?
- C’est comme ça, la route est fermée à midi. Tout le monde le sait.
- Ah mais pas du tout !
- Vous n’avez qu’à téléphoner avant de partir.
- Mais ce n’est pas normal. Qui décide cela ?
- Il faut en parler à notre gouvernement.
- Mais je dois absolument aller à l’université de Jénine, puis à Naplouse.
- Impossible, c’est fermé.

...J’en passe car c’était en anglais et je n’ai pas tout compris, mais Nina a encore et encore insisté, et je l’ai vraiment félicitée car cela a fini par :

- Bon, je vais vous ouvrir, pour cette fois !!!

On n’en croyait pas nos oreilles !!! Nina a avancé la voiture devant une immense barrière jaune qui s’est ouverte tout doucement. On aurait dit qu’on nous laissait entrer dans la cage aux lions ! Jénine n’était qu’à 7 km.

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Barrière jaune et passage piéton...

L’entrée dans Jénine est lugubre : aucune voiture, personne. Puis arrivé dans le centre ville, un peu d’animation, on se gare pour aller boire un café et fêter notre victoire (euh... surtout la sienne car moi ... enfin elle dit que toute seule, elle ne l’aurait pas fait, c’est vrai qu’en chemin, elle a failli changer d’idée : « Et si on allait à la mer ? » « Non, non, j’ai dit, on va à Jénine ! »)

A Jénine, on se gare devant une boutique, méfiance du commerçant car nous avons une plaque minéralogique jaune = israélienne. Tout de suite Nina va lui parler en arabe et la méfiance disparaît. Le centre ville est vraiment très animé, beaucoup de magasins, tous ouverts, des gens (95% hommes) partout, et là Nina décide d`aller voir le cinéma que le Goethe Institut est en train de rénover...

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Extérieur du théatre de Jénine

Et alors commence une autre histoire : comment grâce au hasard surtout et aussi à notre culot, on a rencontré l’architecte allemand puis le metteur en scène aussi allemand du film The Heart of Jenin (il vendait le DVD que j’ai acheté). Incroyable.

Et ensuite, le retour sur Naplouse sous une pluie battante, dans le noir complet, sur une petite route sans bande blanche sur les bords, encombrées de cailloux gros comme des balles de tennis que la pluie torrentielle a amenés des collines, absolument sans aucun panneau pour dire où nous étions... Mais nous étions rassurées : il y a le mur tout autour, alors, on ne peut pas se perdre beaucoup !

A propos, c’est encore plus grave que je ne pensais : ils sont vraiment PARTOUT ! C’est effrayant ... Mais ce soir Nina pense qu’Israël peut être en faillite et alors les choses iraient vite... ( ?)

A suivre, car il est tard et demain sera un autre jour qui commence tôt !


Mardi 3 novembre

(JPG)Ce matin Bethlehem de nouveau : nous avons mis 2 heures pour y aller (35 km), beaucoup de circulation, de la pluie, des bouchons, 3 check points... et c’est tous les jours !

J’ai revu l’église de la Nativité, bondée de touristes, et la Chapelle où la Vierge en fuyant vers l’Egypte a laissé tomber une goutte de lait... puis ai fait un tour dans le marché, toujours aussi bruyant et coloré et odorant... mais il a encore plu, puis plus, puis encore. Je suis rentrée à l’appartement, trempée comme une soupe. Et me suis jetée sur « Yahoo météo Jérusalem » et cela doit s’arranger à partir de demain, ouf !

Donc hier, on arrive devant le cinéma de Jénine qui, en gros, n’est qu’une façade et un vaste hangar derrière, toit neuf, comme il n’y a pas de porte, nous entrons et tout de suite on est accueilli par un Palestinien qui nous fait visiter ce hangar. Un homme vient vers nous et demande si on parle allemand... et donc, c’est l’architecte des travaux ici, il vient de temps en temps, il a aussi restauré une grande maison à coté, « Vous voulez voir ? » « Oui... » Là il nous présente à un autre homme et avec Nina, ils parlent en anglais jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent qu`ils sont allemands tous les deux. Lui, c’est le metteur en scène du documentaire The Heart of Jenin(l’histoire est sur Internet), ce documentaire a eu un gros succès en Allemagne, alors il s’est dit, on va le montrer à Jénine et comme cela est née l’idée de remonter ce cinéma en ruine depuis 20 ans. Et la maison.

C’est une grande maison, sur 3 étages, elle sert d’accueil aux volontaires qui travaillent mais servira aussi pour les touristes. L’Allemagne finance et le travail est fait par des bénévoles, beaucoup de Palestiniens. Vu le taux de chômage, la main d’œuvre est partout. Ils ont mis 3 mois pour la maison ! Et le cinéma sera terminé fin février ! En août aura lieu un festival et il espère faire venir des vedettes internationales, et aussi des Israéliens. Puis toute la gestion reviendra aux Palestiniens.

Nous repartons vers 17h45, nuit noire. On demande la route à suivre : dobré-dobré, tout droit, facile à dire mais pas toujours évident. Aucun panneau, une petite route, de temps en temps on croise un taxi, alors on se dit qu’on est sur une grande route. Il pleut. L’eau a raviné les collines et il faut sans arrêt freiner pour éviter les cailloux ou les grosses flaques d’eau. On voit des lumières : une ville, ce doit être Naplouse, une station service, nous demandons où nous sommes : à mi-chemin entre Jénine et Naplouse ! dobré-dobré. On repart. Un peu avant Naplouse, on longe un haut mur, tiens qu’est ce qu’il fait là ce mur en plein milieu ? Puis un check-point. Pourquoi pas ? Il ne faudrait pas oublier qu’ils sont partout ! Nous traversons Naplouse et ensuite la route est beaucoup plus belle. Il fait nuit noire, il pleut toujours mais on voit bien toutes les collines environnantes car sur chaque colline, une belle guirlande de lampadaires, lumière orange, dessine le paysage. Parfois on aperçoit un village à la lumière blanche blafarde, c’est un village palestinien. Tout le reste, n’est que colonies. Elles se suivent depuis Naplouse jusqu’à Ramallah sans interruption.

Alors soyons réalistes : il y a des Palestiniens, oui, mais où est la Palestine ? Il y a des villes où les Palestiniens vivent mais :

- ils doivent demander un permis de construire à Israël qui le refuse toujours, alors ils construisent sans permis et tôt ou tard, les Israéliens viennent raser la maison car elle est illégale ;
- leur maison peut être réquisitionnée à tout moment pour des besoins « militaires » et hop, dehors tout le monde. Il y a des chanceux à qui l’on laisse disposer d’une pièce dans leur propre maison...
- à toute heure du jour mais souvent de la nuit, les soldats peuvent enfoncer la porte pour un contrôle ou une arrestation ;
- ils ont de l’eau quand Israël décident d’en donner, de toute façon en quantité insuffisante. Qusay (de Bethléem) a eu une coupure d’eau de 14 jours cet été puis de l’eau pendant 2 jours, puis re-coupure pendant 14 jours. Ils ont tous des réserves sur le toit, mais il faut économiser l’eau, donc pas de lessives ni de douches ... pendant ce temps les Israéliens pataugent dans leur piscine dans les colonies ;
- ils ne peuvent pas se déplacer sans une autorisation d’Israël. S’ils veulent voir la mer, ils vont en Jordanie, mais le trajet Ramallah/Ammam, dans les 70 km, prend entre 11 et 14 heures : et de là, ils vont à Aquaba ou bien prennent l’avion pour l’Egypte. La mer est, rappelons le, à 70 km de Ramallah, mais en Israël. Donc ils ne vont pas à la mer. D’ailleurs, ils vont nulle part, donc pas besoin de panneaux sur les routes ...
- ils n’ont pas le droit d’aller à Jérusalem et cela, vraiment, c’est ce qui leur manque le plus.
- Donc qu’est-ce que la Palestine ? Comment font-ils pour vivre dans cette permanente humiliation ? L’autre soir, on a été arrêtées à Ramallah par un check-point volant palestinien ! Ils avaient sûrement repéré la plaque jaune, mais Nina a sorti quelques mots d’arabe et on est reparties. Tout le monde rigolait !

A suivre ...

Je ne sais pas si mes courriers Internet sont « surveillés » ou pas mais c’est probable car G. me dit qu’il n’y avait rien dans mon 2eme mail l’autre jour : 2 oublis. Et après ce mail, « laposte.net » a refusé toutes mes adresses et je n’ai rien pu envoyer ! Or ceci est déjà arrivé à Nina.


Mercredi matin, 4 novembre

Dès le réveil, mauvaise nouvelle. Martina a enfin donné de ses nouvelles. Martina a été contactée par Nina il y a déjà plusieurs jours pour faire le remplacement de Zora qui va partir en congé de maternité. Elles savent qu’elle attend ce poste et s’étonnent de n’avoir aucune réponse. La réponse est tombée ce matin. Martina vit depuis 25 ans en Palestine, elle est mariée avec un Palestinien mais elle habite du coté israélien, de l’autre coté du mur de Ramallah. Mais avant, il n’y avait pas de mur. Elle vit donc ici avec un permis de séjour (la vie n’est pas facile pour les Palestiniens qui ont un passeport étranger - contrairement à ce qu’on pourrait penser - car s’ils sortent du pays, ils ne sont pas sûr de pouvoir y revenir) : Donc A : pour les Israéliens, Martina est allemande. Maintenant il faut ajouter B : un fait que nous avons bien remarqué Nina et moi : les Israéliens sont en train de construire quelque chose à Qualandia (sortie de Ramallah vers Jérusalem), une sorte de corridor grillagé comme ils savent le faire. Et si on fait A + B cela donne que sous peu tout Israélien (ou tout autre ?) qui franchira Qualandia sera enregistré, (c’est Martina qui en a entendu parlé) et s’il le fait trop souvent comme devrait le faire Martina pour travailler ici, ce sera suspect (amitié / collaboration avec l’ennemi) et elle perdra son permis de séjour et sera renvoyée en Allemagne. Alors, elle préfère ne pas prendre le poste et rester dans son coin.

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Nouvelle construction à Qalandya,
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Le mur à Qalandya

Avec Nina on a même pensé ceci : combien de temps cela va-t-il prendre jusqu’à ce que les villes palestiniennes soient entièrement bouclées et totalement interdites aux étrangers et aux Palestiniens comme l’est Gaza actuellement ? Tout se passe en douceur, pas à pas, mais les plans sont déjà depuis longtemps dans les cartons et personne ne réagit. Déjà les étrangers n’ont plus le droit ou n’auront plus le droit d’aller aider à la cueillette des olives avec les Palestiniens, alors ... ça + ça ...

Ce matin, le ciel est bleu, le soleil brille, c’est une petite consolation.

Mercredi soir

J’espère avoir atteint la dernière marche de l’horreur : avec Jawad, le marchand du souk, nous allons derrière chez lui dans Shekh Jarah. C’est un quartier entièrement peuplé de musulmans (m’a dit Jawad), dans Jérusalem Nord-est, hors la vielle ville, entre la vieille ville et les consulats dont celui de France. Il y a 2 ou 3 mois, les Israéliens ont confisqué 3 maisons et y ont installé des colons juifs sous protection de l’armée. Un petit groupe d’hommes juifs orthodoxes en habit noir est là aussi. Sur les toits flottent des drapeaux israéliens. Les gens expulsés des maisons ont décidé de rester là et vivent maintenant sous une bâche tendue aux branches d’un figuier, en face de leur maison.

Qu’ont-ils fait ces derniers jours sous la pluie ? Car comme partout, la rue est en pente et ils devaient recevoir toute l’eau qui dévalait. C’est une grande maison où vivaient plusieurs familles palestiniennes, et maintenant, ils vivent là sur le trottoir en face de leur maison, matelas empilés, soutenus par des internationaux et des Israéliens pacifistes. Ce soir il y a au moins 200 manifestants, à chaque fois qu’un colon ou une famille de colons entrent dans la maison, il y a des sifflets de protestation. Jawad me dit que la moitié des Israéliens est là pour espionner les gens. Et il ajoute : « Mais où sont les Palestiniens ? Nous devrions être 2 000 chaque soir ici. Nous devrions être 5 000 ou 10 000 à marcher sur Bethléem pour faire ouvrir le check point. Ils ne peuvent pas tuer 2 000 personnes » et je dis « Comme les Indiens avec Gandhi ? » « Oui » « Et vous n’avez pas votre Gandhi. » « Non ». D’un autre côté, il faut trouver assez de volontaires pour se mettre aux premiers rangs... Mais si Jawad pense cela, d’autres Palestiniens sont prêts à partir, et dès qu’il y aura l’étincelle, il y aura la 3ème Intifada, et là.... oh la la , il y aura des morts.

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2 maisons saisies
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La tente où vit maintenant la famille chassée de sa maison, en face.


Jeudi, 5 novembre

Souk, promenade : toute la Via Dolorosa qui part du Mont des Oliviers et va jusqu’à l’église du Saint Sépulcre, c’est intéressant, est-ce que tout est vérité historique ??? Prison de Jésus, lieu de naissance de la Vierge, les stations du chemin de croix...

Le soir je repars en bus pour Ramallah. Tout de suite le chauffeur me dit « No Ramallah, the Check point is closed. To Qualandia ? » « Yes » et on avisera là-bas ! Qualandia est entre Jérusalem et Ramalah.

Voilà, c’est jeudi, veille du week-end musulman, beaucoup de monde sur la route, alors ils ferment le passage. Les piétons peuvent passer, mais pas les voitures. A Qualandia, avant le mur, tout le monde descend et je demande à mes 2 jeunes voisines (16/17 ans) si elle parlent anglais et si elle vont à Ramallah, Manara Place ? Elles disent oui et la dame derrière me dit : « no Problem, follow me ! » et ben voilà, je les suis. En chemin elles discutent en arabe et moi derrière. On marche 5 bonnes minutes en se faufilant entre les voitures car il y a un embouteillage monstre, on ne respire que des gaz d’échappement. Et je demande à ma voisine où elle va à Ramallah, elle me dit au Goethe ! Je demande si elle sait où c’est, non qu’elle dit. Alors là, c’est moi qui dit « no problem » je sais où c’est. Elles viennent pour recevoir leur prix car elles ont gagné au concours de poèmes organisés par le Goethe institut ! La dame chope un taxi et on va à Ramallah, centre ville ; je dis que le Goethe est près de « Place of watch » et la dame marmonne « de l’horloge », elle parle français ! Elle est palestinienne et a appris le français avec les Sœurs de St-Joseph et les pèlerins. Un français impeccable. C’est elle qui tient à payer le taxi.

Puis nous allons au Goethe institut qui est aussi le centre culturel français. Les filles ont 2 heures de retard à cause du check-point et de leur directeur qui avait donné une mauvaise heure. Le pire, c’est qu’elles veulent retourner chez elles à Jérusalem... et qu’on ne peut décemment pas les laisser tomber. Personne ne s’en soucie. Nina décide de les emmener à l’autre check-point (autorisé seulement pour les Israéliens/voitures à plaques jaunes) et par téléphone, elles joignent leur père qui les attendra de l’autre bord. Facile à dire, les 6 derniers km nous ont pris 2 heures dans un brouillard de gaz d’échappement ! Nina enrage contre leur directeur (un Allemand, c’est une école privée, chrétienne luthérienne) qui les a laissées partir sans aucun accompagnateur adulte. Et voilà comment on passe ses soirées...


Vendredi, 6 novembre

Je vais faire le ‘political tour’ à 13h30. Donc j’ai le temps d’aller ce matin chez Zora, la jeune Palestinienne prof d’allemand qui habite à Ramallah qui m’a invitée. C’est un appartement de 160 m2 qu’elle me fait visité, beaucoup d’espace pour la réception : un salon (occidental) - salle à manger, un autre salon oriental : coussin/ matelas par terre qui sert aussi de chambre d’amis, une grande cuisine, une grande chambre pour eux et une petite pour le petit. Des rideaux partout. Zora est belle comme un cœur, noirs cheveux longs bouclés, hyper féminine. Son mari est absent, en déplacement depuis une semaine.

Je repars en taxi jusqu’au centre ville puis en bus jusqu’à Jérusalem. Re-check-point à Qualandia, mais là, cela a perdu l’attrait de la nouveauté et je me sens bien coincée dans cet enclos en fer à attendre que les soldats israéliens aient bien l’amabilité d’ouvrir le tourniquet en nous beuglant dessus. Devant moi, un monsieur de 70 ans environ avec son fils. Et je vois bien que le vieux monsieur est là pour la 1ère fois, il essaie de passer dans le tourniquet en même temps que son fils, alors il faut reculer, on l’aide ...Quelle humiliation !

Devant l’hôtel prévu, j’attends pour le ‘Political tour’ et voilà les 3 filles de l’Ouest qui arrivent et me disent à ce soir... et là je comprends que mon cerveau a fait des nœuds : je pars ce soir alors que je pensais partir demain soir, samedi, alors que je sais que je voyage samedi... enfin ouf, j’ai un ange gardien !

Le ‘political tour’ : cela m’a permis de joindre quelques pièces de puzzle, mais je n’ai pas appris grand chose. 2 choses : le guide est de mon avis, bientôt Ramallah, Naplouse et Jénine vont être totalement enfermés, comme Gaza. Nina pense même qu’ils n’ouvriront le check-point que de 6 à 18 h par exemple ! Deuxième chose : nous étions 3 Allemands dans le minibus et 7 Français, 3 couples de la bonne 50aine et moi. Le monsieur à côté de moi était très curieux, prenait des notes... mais ne comprenait rien, alors il me demande « C’est quoi les colonies palestiniennes ? » oh la la, le gouffre est profond pensé-je et je lui explique : « Mais il n’y a pas de colonies palestiniennes. » Il comprend encore moins. « C’est quoi alors la Palestine ? » ; moi : « La Palestine, c’est ce qui est restée aux Palestiniens une fois qu’on a eu donné une terre (la Palestine) aux Juifs ». Alors là il comprend encore moins « Mais alors qu’est ce que font les Israéliens ici ? » « Et ben, voilà, ce sont ça les colonies israéliennes ! » Choc, il a compris. Ces 3 couples passent leurs vacances à Jérusalem-Ouest (Israël) et avaient décidé de comprendre, c’est louable. Ils ont fait d’autres visites guidées en Israël, l’une leur a appris qu’il y avait de bons arabes qui avaient décidé de prendre la nationalité israélienne et avec ceux-là, il n’y avait pas de problèmes. Sauf, que je dis, que les élèves arabes ont très peu de chance d’aller à l’université ... « Ah, ce n’est pas ce qu’on nous a dit en Israël. »

Fin de la visite 17h. Et le marathon commence. Aller chercher les keffiehs dans le souk (pour vendre au marché de Noël) keffiehs fabriqués à Hébron et non en Chine. Essayer de joindre Nina, mais son téléphone est sur répondeur ; Je décide de prendre le bus ; elle réussi à me joindre, elle me prend à la sortie du bus, un peu après car la place des Lions (centre ville) est toujours encombrée et particulièrement ce soir : des jeunes barrent les rues avec des voitures pleines de drapeaux et de photos de Mahmoud Abbas qui, je l’apprends plus tard, a décidé de ne pas se représenter aux élections. On dîne, je fais ma valise et on retourne sur Jérusalem. Mais trop tard, les 3 filles sont déjà parties... Je prends un taxi, le chauffeur à l’air louche, j’ai grand peur : sa voiture ralentit sans arrêt, j’ai l’impression qu’on perd une roue et quand il y a une ligne droite, il décélère et ferme les yeux....

A l’aéroport, je retrouve les Angevines qui dorment dans un coin et on attend pour passer au contrôle, en faisant semblant de ne pas se connaître, évidemment.

A 2h40 j’y vais. Une jeune soldate de 18/20 ans m’interroge en anglais :

- Pourquoi êtes-vous venus en Israël ?
- Je suis venue chez une amie.
- Comment s’appelle-t-elle ?
- Nina F.
- Que fait-elle ?
- Professeur d’allemand
- Où ?
- A Jérusalem
- A Jérusalem-Est ?
- Non à Jérusalem-Ouest (c’est la partie Israélienne.)
- Comment s’appelle l’école ?
- Je ne sais pas, elle travaille dans plusieurs écoles.

Alors là, cela lui a semblé louche, attendez un peu ici, et elle s’en va avec mon passeport. Je me dis que cela se corse. Je cherche dans mon sac une feuille sur laquelle j’avais imprimé les coordonnées de Nina et ses titres. Le chef arrive, jeune, petit, teigneux. Je lui montre tout de suite la feuille. Il ne comprend rien. Il dit :

- Où c’est écrit ‘allemand’ ?
- Là, vous voyez ‘deutsch’.
- Est-ce que vous pouvez tout traduire ?
- Non, mais là c’est écrit ‘deutsch’ et ça veut dire ‘german’.

Alors il prend la feuille et la montre à une 3ème soldate qui traduit et c’est OK. Ouf !

Reste le contrôle du gros sac, qui passe dans le scanner. Ok. Puis je le présente à une autre jeune soldate qui doit l’ouvrir pour le fouiller mais elle me dit, le sac est OK, « Vous pouvez passer ». Je donne le sac pour qu’il soit embarqué et vais à la vérification des passeports et contrôle du petit sac à dos. Tout est OK, ils ne voient même pas que j’ai une bouteille pleine d’eau. J’attends les filles de l’Ouest dans la salle d’attente, mais je ne les vois pas. Elles passent seulement quand je suis assise dans l’avion. A l’arrivée à Amsterdam, on se parle, l’une d’elles (nom arabisant ou presque) a été interrogée pendant une heure, le sac entièrement fouillé. Mais on n’a pas le temps de parler davantage, mon avion part tout de suite pour Paris et pas le leur.

Arrivée à la maison sans problèmes.


Conclusion

Qu’est-ce que la Palestine aujourd’hui et que peuvent faire les Palestiniens ? J’en ai parlé à Zora qui m’a dit que, quand les Palestiniens avaient un travail, une maison, et de quoi nourrir la famille, ils étaient contents et n’avaient plus d’énergie pour le reste.

J’ai vu beaucoup d’hommes, d’adolescents et d’enfants dans les rues de Ramallah désœuvrés. Les enfants (garçons) essaient de vendre des chewing-gums dans les embouteillages au check point. Nina entend beaucoup parlé de 3ème Intifada. Combien de temps vont-ils encore subir l’humiliation quotidienne, l’enfermement, la diminution de leur territoire, l’arbitraire des Israéliens qui ouvrent, qui ferment, qui beuglent ?

C’est insupportable et c’est pour le respect des droits de l’homme que l’on doit se battre et de la dignité humaine.

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Bethléhem

Témoignage Jocelyne, AFPS