lundi 19 octobre 2009

La cassure entre la Turquie et Israël sert la Palestine

dimanche 18 octobre 2009 - 21h:51

Mel Frykberg
IPS



Le refroidissement des relations de la Turquie avec Israël va de pair avec leur amélioration avec le monde arabe et musulman ; cette évolution devrait avoir un impact positif sur la politique palestinienne.

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Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan

« Les Turcs semblent opérer un changement de politique majeur dans la région alors qu’ils voient l’Est comme une possible alternative à leurs relations avec l’Ouest, particulièrement au vu de leurs difficultés à rejoindre l’Union européenne, » dit le Dr Samir Awad de l’université de Birzeit, près de Ramallah.

« Les relations de plus en plus tendues de la Turquie avec Israël et sa sympathie grandissante pour la cause palestinienne pourraient avoir une forte influence sur les Européens, les Américains et les pays arabes, » dit Awad à IPS.

« La Turquie, pays musulman laïc, entretient des liens forts avec le monde musulman et arabe. Dans le même temps, elle a des liens étroits avec les Etats-Unis, qui la considèrent comme un allié régional et stratégique. Elle est aussi quelque peu respectée par l’Occident pour sa laïcité et sa démocratie, bien que non sans faille. »

Les relations turco-israéliennes se sont brusquement détériorées quand la Turquie a exclu Israël d’une manœuvre militaire qui était prévue avec les autres membres de l’OTAN (organisation du traité de l’Atlantique Nord). Cela a provoqué la consternation dans les cercles diplomatiques et gouvernementaux israéliens qui considèrent la Turquie comme l’allié musulman d’Israël le plus puissant dans la région.

Aggravant encore les choses pour Israël, la Syrie a annoncé mardi qu’elle allait mener des manœuvres militaires plus importantes encore avec la Turquie. Un exercice militaire commun entre les deux pays a déjà eu lieu cette année.

Le bombardement intensif de Gaza par Israël au début de l’année a marqué un tournant. Le gouvernement turc a dû répondre à son opinion publique, écoeurée par l’agression militaire d’Israël sur le territoire côtier. Même l’armée turque qui a entretenu par le passé des liens étroits avec l’armée israélienne n’a pu ignorer l’agression.

La dernière évolution, avec un gouvernement de droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui amplifie la judaïsation de Jérusalem-Est, porte atteinte au culte musulman à la mosquée Al-Aqsa et poursuit les constructions dans les colonies, n’a fait que cimenter la position de la Turquie.

Anat Lapidot-Firilla, de l’université hébraïque de Jérusalem, soutient dans le quotidien israélien Ha’aretz que la Turquie se verrait bien le chef de file du monde musulman sunnite.

La Turquie « assume un lourd héritage de ses ancêtres de l’Empire ottoman, une mission qui implique de promouvoir la paix et la stabilité régionales autant que la prospérité économique, » dit Lapidot-Firilla.

La Turquie a entretenu des liens solides avec les politiques et les militaires israéliens, et la dégradation de leurs relations vient s’ajouter à un élan international qui monte à l’encontre d’Israël en raison de sa politique contre les Palestiniens et du massacre dans la bande de Gaza.

« Les Turcs pourraient faire pression sur les Israéliens pour réduire leur violence à l’égard des Palestiniens, car Israël tient à ses relations stratégiques avec la Turquie. Les Palestiniens ne peuvent qu’en tirer avantage », dit Awad à IPS.

« La Turquie pourrait également exercer une influence sur les Américains pour qu’ils pèsent sur leur allié israélien » dit Awad. Les Etats-Unis voient dans la Turquie un rempart contre ce qu’ils considèrent comme un croissant de l’extrémisme avec l’Iran, l’Iraq, la Syrie, le Hezbollah et le Hamas.

« Il est également possible que les Turcs incitent les dirigeants du monde arabe à donner plus et autrement que du bout des lèvres à la cause palestinienne. Les Turcs se sont fait un exemple moral en agissant par l’action diplomatique contre Israël, une action qui représente plus que l’Egypte et la Jordanie, qui ont un traité de paix avec Israël, n’ont jamais fait », ajoute Awad.

La Turquie se propose de défendre un certain nombre de résolutions en faveur des Palestiniens dans des forums régionaux et internationaux. Notamment au Conseil de sécurité des Nations unies, à l’Assemblée générale des Nations unies, au Conseil des Droits de l’homme à Genève.

La Turquie a également participé à une récente rencontre de l’Organisation des pays islamiques et à une session de la Ligue arabe où, inévitablement, Israël était à l’ordre du jour.

« Alors que la Turquie a déjà, dans le passé, soutenu des résolutions propalestiniennes dans ces assemblées, je pense qu’elle fera entendre sa voix plus fort à l’avenir et qu’elle fera pression plus fermement, » dit Awad.

Enfin, les Turcs peuvent encore aider à peser sur les discussions futures pour l’union palestinienne au Caire, alors que le Hamas et le Fatah semblent incapables de franchir le pas d’eux-mêmes.


* Mel Frykberg est journaliste australien de Sydney, il est basé au Moyen-Orient. Il a travaillé au Moyen-Orient pendant des années, notamment au Caire, à Jérusalem, à Beyrouth, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ainsi que dans d’autres pays de la région. Et en Afrique.

Ramallah, le 14 octobre 2009 - IPS - traduction : JPP