samedi 12 septembre 2009

Si Jérusalem et la Palestine se vident de leurs chrétiens, à qui la faute ?

vendredi 11 septembre 2009 - 09h:34

Fady Noun - L’Orient-le-Jour



En tournée de conférences, monsignor Rafic Khoury, du patriarcat de Jérusalem, sensibilise à nouveau les chrétiens du Liban au drame de leurs coreligionnaires, en Palestine, et à l’importance de l’unité. Une « nouvelle évangélisation » s’impose, dit-il.

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Monsignor Rafic Khoury : « Les chrétiens ne comprennent pas la division des chrétiens. »

Invité par la commission épiscopale pour le dialogue islamo-chrétien de l’Assemblée des patriarches et évêques catholiques au Liban (APECL), monsignor Rafic Khoury, du patriarcat latin de Jérusalem, présente depuis hier une série de conférences destinées à sensibiliser l’opinion aux défis lancés à la présence chrétienne en Palestine comme dans d’autres pays du monde arabe, y compris au Liban.

Il était l’invité hier du Mouvement culturel-Antélias, où il a parlé, entre autres, du grave problème de l’émigration des chrétiens de Palestine. Il donnera encore 4 à 5 exposés. Il ne reste plus que 50 000 chrétiens en Cisjordanie et environ une dizaine de milliers d’autres à Jérusalem, a-t-il affirmé, dans un entretien exclusif accordé à L’Orient-Le Jour. Les chrétiens de Palestine ne représentent plus que 1,6 % de la population totale, évaluée à 3 600 000 habitants, alors qu’au milieu du XXe siècle, ils étaient environ 15 %.

Muni de trois passeports pour circuler entre sa terre natale, le Moyen-Orient et le reste du monde, sans être stigmatisé, Mgr Khoury lui-même vient de Taybé - l’Ephraïm du chapitre 11 de l’Évangile selon saint Jean -, un village entièrement chrétien situé près de Ramallah, à 20 km de Jérusalem, qui compte aujourd’hui 1 400 habitants, pour 14 000 ... émigrés. C’est une question de stabilité. Ou plutôt d’instabilité, explique Mgr Khoury. L’émigration est directement liée au climat d’instabilité où vivent les Palestiniens, d’après Mgr Khoury qui fait état de deux types d’exode : externe, vers les pays occidentaux d’émigration, et interne. Ce dernier exode est un mouvement de repli géographique des chrétiens sur leur propre communauté.

Ces replis s’expliquent, en partie, par des raisons pratiques. Les restrictions à la circulation posées par Israël ont dramatiquement séparé les Palestiniens les uns des autres. Services publics, écoles, hôpitaux, habitations sont souvent dispersés de part et d’autre du mur de séparation. Jérusalem est isolée de la Cisjordanie et l’on n’y pénètre qu’avec des laissez-passer qu’il faut régulièrement renouveler. Des colonies de peuplement doivent être contournées. Les barrages fixes ou volants de l’armée israélienne quadrillent le pays, ce qui rend pénibles et aléatoires les déplacements.

Sur l’instabilité politique et parfois militaire où vivent les Palestiniens se greffent bien entendu des raisons idéologiques et religieuses. En cause, les fondamentalismes, de quelque type qu’ils soient : musulman, sioniste ou même chrétien. Il s’agit, dans ce dernier cas, des chrétiens de rite protestant qui appuient ouvertement le sionisme et les colonies de peuplement, croyant ainsi, bien naïvement, hâter la conversion d’Israël au christianisme.

« La faute des autres »

Mais doit-on toujours mettre en cause « les autres » dans nos malheurs ? Mgr Rafic Khoury souligne qu’en partie, la réponse à l’hémorragie humaine est entre les mains des chrétiens eux-mêmes. Comme tout chrétien, il a été humilié à Pâques en assistant, à la télévision, à l’empoignade honteuse des moines grecs et arméniens, devant la chapelle de la Résurrection. Le souci de l’unité des chrétiens, des catholiques entre eux, bien sûr, mais aussi des catholiques et des orthodoxes, est prioritaire à ses yeux. Et de citer sur ce point le document final de la première assemblée des patriarches catholiques d’Orient, en 1992, qui affirme avec force : « En Orient, nous serons unis ou nous ne serons pas. »

Ce que les patriarches font en faveur de cette unité, à part en affirmer la nécessité, est une autre affaire. En pratique, pas grand-chose, malgré les quelques misérables projets de logements qui n’endiguent qu’une mince partie des départs. En fait, chacun continue de prêcher pour sa propre paroisse, sourd à la pression des fidèles, notamment en faveur de l’unification de la fête de Pâques. On parle, pudiquement, d’un manque de solidarité. Mais c’est un manque de charité.

« Les chrétiens ne comprennent pas la division des chrétiens ! » lance Mgr Khoury, avant d’ajouter qu’entre l’impatience des fidèles et les lenteurs, sinon l’apathie, de la hiérarchie, en matière d’œcuménisme, il faudrait « un moyen terme ». Est-il possible, du reste, de ne pas s’affliger en voyant comment, au nom de « blessures » passées bien réelles sans doute, orthodoxes et catholiques compromettent gratuitement leur avenir dans cette partie du monde ?

Mgr Rafic Khoury souligne également la nécessité d’une « nouvelle évangélisation » des chrétiens de Palestine, ou des Palestiniens chrétiens, une démarche qui doit ouvrir les chrétiens à la dimension missionnaire de leur présence en terre arabo-musulmane, dont ils constituent l’une des trames les plus anciennes et les plus nobles. De fait, pourquoi cette conscience missionnaire devrait-elle être le privilège des seuls « kibboutzniks », et pourquoi ne pas accepter volontairement quelques sacrifices, s’ils doivent aider au rayonnement de la foi chrétienne ?

Il va sans dire qu’un monde arabe sans chrétiens ne serait pas le même, réagit-il, en se rappelant que cheikh Mohammad Mehdi Chamseddine faisait de l’enracinement des chrétiens en terre libanaise l’une des tâches prioritaires des musulmans eux-mêmes. Une vérité valable aussi bien en-deçà de Naqoura qu’au-delà.

Mgr Khoury cite enfin, parmi les moyens disponibles, pour enrayer la vague d’émigration, le rôle que peuvent jouer les grandes et moins grandes puissances. Sans trop se risquer sur le terrain politique, il souligne quand même que la diplomatie du Vatican pourrait être plus vigoureuse, à l’égard de l’État d’Israël. Le Saint-Siège, explique-t-il, a officiellement reconnu Israël, sans obtenir en échange les facilités qu’il était en droit d’attendre ; cet État met une extrême mauvaise grâce à accorder des visas à des prêtres ou autres auxiliaires venus d’Occident, dont l’Église locale a bien besoin pour survivre et accomplir sa mission. « Et pourtant, Rome ferme les yeux, temporise, laisse passer », regrette-t-il.

Revenant sur le sujet de la « nouvelle évangélisation », Mgr Khoury rappelle que dans leur quatrième message aux fidèles, les patriarches catholiques d’Orient ont appelé leurs fidèles à être moins communautés et plus Églises, moins repli et plus ouverture. Moins passé et plus avenir. Comme quoi, une victoire de l’Église sur les communautés sera indispensable, si les chrétiens veulent rester en terre arabe.

11 septembre 2009 - L’Orient-le-Jour