mercredi 30 septembre 2009

Les risques de la décontextualisation des crimes de guerre à Gaza

Palestine - 29-09-2009
Par Goncalo de Almeida Ribeiro, Vishaal Kishore et Nimer Sultany
Goncalo de Almeida Ribeiro est doctorant à la Harvard Law School ; il travaille dans les domaines de la Théorie du Droit privé, de la Jurisprudence et de la Philosophie politique. Il est titulaire d’une maîtrise en droit de l'Université Nova de Lisbonne (Portugal). Vishaal Kishore est doctorant à la Harvard Law School ; il travaille dans les domaines des relations économiques internationales, de l’économie politique et sociale et de la théorie sociale. Il est diplômé de l'Université de Melbourne (Australie). Nimer Sultany est un citoyen palestinien d'Israël et prépare actuellement un doctorat à la Harvard Law School. Il a travaillé comme avocat spécialiste des droits de l'homme à l'Association pour les droits civils en Israël et en tant que chef du projet de supervision politique à Mada al-Carmel (le centre arabe de recherches sociales appliquées).
La publication récente d’un rapport de la mission d’enquête des Nations Unies présidée par le juriste Richard Goldstone sur l’attaque israélienne à Gaza de décembre 2008 à janvier 2009 apporte un éclairage important sur la violation des droits de l’homme en Israël/Palestine. On souhaiterait qu’à la lecture de ce rapport (ou bien sûr de tout autre de la longue liste de rapports concernant les Territoires palestiniens occupés par diverses organisations pour les droits de l’homme), les lecteurs soient scandalisés par les atrocités perpétrées dans la région.




















Scène de la vie quotidienne des Palestiniens (photo Ma'an News)


Bien qu’il affirme expressément prendre en compte le contexte historique des événements de Gaza, le rapport, par sa nature même, isole une série particulière de faits, dans une période limitée, comme principal objet d’enquête. Cela est en partie justifié. Le conflit à Gaza a atteint des niveaux de violence plus ou moins exceptionnels.

Pourtant, nous craignons qu’un rapport qui a fait autant de bruit, destiné spécifiquement à étudier ce qui est perçu comme étant un laps de temps extrême ou particulier dans la vie des Palestiniens sous occupation, n’ait des conséquences négatives importantes.

Nous maintenons en particulier qu’un tel rapport, en se centrant sur une période « dramatique » de l’occupation israélienne, pourrait avoir pour effet d’occulter ou de minimiser la dure et continue réalité des 43 dernières années d’occupation israélienne.

En attirant l’attention sur une explosion sanglante de violence, une explosion qui est considérée et étudiée comme inhabituelle, d’autres périodes pourraient de façon implicite être considérées comme normales.

Mais ces périodes « normales » contiennent des souffrances et de terribles épreuves palestiniennes qui vont bien au-delà de la moindre décence. Ces périodes – qui impliquent une résistance palestinienne à l’occupation à bas niveau et d’oppression israélienne à bas niveau – sont la toile de fond historique et contextuelle qui renferme tous les événements qui suivent. Alors que beaucoup perdent tragiquement leurs vies dans le conflit, la politique moins spectaculaire mais de longue date et profondément destructrice poursuivie par l’Etat israélien entrave non seulement la liberté des Palestiniens, mais aussi pervertit et tronque leurs projets de vie.

Nous affirmons qu’un risque existe que des rapports centrés de façon aussi restreinte tel le rapport Goldstone n’engendrent l’oubli des tragédies de ces périodes, ou tout au moins ne les relèguent à la marge et les rendent moins répréhensibles. L’attention myope portée sur le symptôme du problème – l’attaque sur Gaza – dissimule la cause originelle, et l’occupation israélienne est dépouillée de son vrai contexte et de sa gravité. Ainsi, les formes multiples et interconnectées utilisées par l’oppression pour assujettir des gens normaux dans leurs vies quotidiennes ne sont pas examinées.

En d’autres termes, le rapport décrit et évalue les violations aux droits de l’home sans prêter attention au contexte factuel et moral plus large au sein duquel ils sont survenus.

Evidemment, les défenseurs d’Israël se sont servis de tels arguments décontextualisés pour détourner la discussion. Leurs arguments maintiennent que si les Palestiniens n’avaient pas eu recours à la violence contre le peuple israélien et son armée, Israël n’aurait pas été obligé de les attaquer et, en conséquence, leurs vies ne seraient pas aussi épouvantables.

De tels arguments, cependant, omettent de reconnaître que l’occupation elle-même est déjà en train de faire que les vies des Palestiniennes soient tellement épouvantables qu’ils aient envie de sacrifier ces vies pour recouvrer leur patrie, leur liberté et leur dignité. Cela équivaut à choisir un point de départ arbitraire – et bien sûr peu anodin – pour amorcer la condamnation morale et politique.

La tendance naturelle de ceux qui s’affairent à rédiger des rapports sur les violations des droits de l’homme est de s’abstenir de porter des jugements moraux et politiques sur les participants de la violence et leurs passés, de manière à pouvoir affirmer leur neutralité. En conséquence, les parties en conflit sont considérées comme situées de façon identique comme agents de la violence.

C’est une déformation de la réalité, surtout lorsque elle est associée à la décontextualisation arbitraire qui découle du choix d’un cadre d’enquête temporel et factuel limité et « exceptionnel ».

La plupart des conflits impliquent des parties avec des moyens différents à leur disposition et poursuivant des fins différentes. Même si cela est toujours un tort de violer les droits de l’homme, il est aussi vrai que la condamnation morale et politique de telles violations n’est pas seulement une question de qualité, mais aussi de degré. Les Palestiniens n’ont à leur disposition qu’un ensemble beaucoup plus limité de moyens de lutte que l’Etat d’Israël. Il s’ensuit que les violations des droits de l’homme de ce dernier devraient être considérées comme particulièrement graves, étant données toutes les circonstances.

Est-ce à dire que nous devrions en finir avec les rapports et taire l'histoire de violations des droits de l'homme ? Evidemment que non – cette question implique un faux choix.

Mais ce que les rapports sur les droits de l’homme (et les mandats dont ils dépendent) devraient plutôt essayer de faire, c’est d’élargir leur perspective au-delà des confins de la période de violence extrême. Les violations des droits de l’homme doivent être placées dans un contexte factuel et moral plus large.

Le faire, bien entendu, serait au prix d’une controverse politique et de l’hostilité de ceux qui se contentent de demi-vérités. Mais il nous semble que c’est un prix modeste à payer quand les enjeux sont si grands.
Traduction : MR pour ISM