vendredi 3 juillet 2009

Piraterie israélienne et tirs sur les pêcheurs palestiniens : la routine

Gaza - 02-07-2009



Par Eva Bartlett
« Ils nous ont dit 'Partez vers l’ouest ou on vous tire dessus', » dit Ashraf Sadallah. « On a d’abord refusé, alors ils ont commencé à tirer très près, autour de notre bateau. » Le 16 juin à 6h du matin, Sadallah et son frère Abdel Hadi Sadallah, une vingtaine d’années chacun, sont allés à environ 400m au large de la côte de Sudaniya, au nord-ouest de Gaza. « Nous voulions récupérer les filets que nous avions posés la veille, » dit Sadallah.




















Un bateau de pêche palestinien haché par les Israéliens. [photo: Emad Badwan]


Leur petit bateau de pêche, appelé un hassaka, était dans les eaux de pêche palestiniennes lorsque trois navires israéliens se sont approchés des frères.

« Après qu’ils aient ouvert le feu sur nous, nous avons pagayé sur environ 3 km à l’ouest, où une canonnière israélienne attendait. Lorsque nous sommes arrivés à environ 30m, les soldats israéliens nous ont ordonnés d’enlever nos vêtements, de sauter dans l’eau et de nager dans leur direction. »

La canonnière, dit Sadallah, a bougé d’un demi-kilomètre après que les deux pêcheurs aient sauté dans l’eau. « Nous avons nagé pendant environ 15mn pour l’atteindre. Ensuite, ils nous ont fait monter à bord, ils nous attaché les mains et bandé les yeux. » En détention illégale, un peu plus tard dans le port d’Ashdod, les deux frères ont été interrogé, mais pas inculpés. Ils ont été relâchés au passage d’Erez plus de 14 heures après leur enlèvement.

Le hassaka des Sadallah est resté à Ashdod, avec, les pêcheurs palestiniens l’attestent, un nombre croissant de leurs bateaux de pêche.

Le remplacement du hassaka coûtera 4.000 shekels (750 €), le double du prix normal à cause du siège de Gaza. Les filets manquants coûtent encore plus : 6.000 shekels (1.100€). « Et la pêche est notre seule source de revenus, » disent les Sadallah, maintenant sans travail.

Jihad Sultan, lui aussi de Sudaniya, parle de son enlèvement par la marine israélienne un mois plus tôt, le 27 mai.

« C’est la troisième fois qu’ils m’enlèvent, » dit-il. « Les Israéliens m’ont accusé d’avoir traversé la « zone interdite », mais c’est faux. » A Ashdod, Sultan dit avoir vu « un hangar plein de filets qui, j’en suis sûr, sont des filets palestiniens volés.»

Zaki Taroush et son fils de 17 ans, Zayed, pêchaient à 600m de la côte et à 200m au sud de la zone fermée le jour où Sultan a été kidnappé. Ils ont eux aussi été obligés, sous les balles réelles des soldats israéliens, de pagayer vers l’est, où une canonnière israélienne attendait, et ils ont vécu la même procédure : déshabillage, nage, enlèvement, menottage et bandage des yeux.

En détention, ils ont été accusés d’avoir été dans les eaux hors-limite, dans ce qui est appelé la zone « K ». Tarroush avait été enlevé, avec sept autres pêcheurs, juste trois mois auparavant, le 13 mars, dans des circonstances similaires, perdant lui aussi son filet lorsque les soldats israéliens ont coupé la corde. A la suite de son enlèvement, les Israéliens ont gardé son hassaka, le lui rendant presque 2 mois plus tard, contre 150 shekels qu’il a dû régler pour frais de transport.

Selon l’accord intérimaire d’Oslo, les pêcheurs palestiniens se sont vus accorder une limite de pêche de 20 miles nautiques, qu’Israël a depuis systématiquement, unilatéralement, réduits à un petit 3 miles.

A Sudaniya, Jihad Sultan explique son travail sur un hassaka brisé posé sur le sable. « Les Israéliens l’ont pris. Quand ils nous l’ont rendu, il était très endommagé. Je suis certain qu’on la fait tomber sur du ciment, » dit-il, montrant de longues fissures dans le bois. « Il faut entièrement le reconstruire. »

Aujourd’hui, un des problèmes, explique Sultan, est le manque de matériaux pour réparer le bateau. « Ca va coûter près de 3.500 shekels, juste pour le réparer. » Les filets de pêche aussi sont faits de pièces indisponibles ou extrêmement chères.

« Les morceaux d’acier qu’on fixe sur le filet coûtent 15 shekels le kilo, contre 6 shekels avant le siège. En plus, on en trouve très difficilement. Les cordages coûtaient 20 shekels pour 100 mètres, maintenant c’est 50 shekels, et il n’y en a pas. Quelquefois, il en arrive par les tunnels, mais ils sont de mauvaise qualité. Même le prix des bouées a triplé, 2 shekels pièce, et on n’en trouve plus à Gaza. »

Avec tant de pièces indisponibles à Gaza, Sultan dit que pour fabriquer un «nouveau » filet, les pêcheurs cousent ensemble des morceaux des vieux filets. Et pire, « quand les soldats israéliens ne trouvent aucun pêcheur à arrêter, ils coupent nos filets, ou les prennent. »

Sur la plage près du hassaka brisé de Sultan, le hassaka criblé de balles d'Awad Assaida gît inutilisé, attendant d’être réparé. « J’étais dans le bateau quand les Israéliens ont attaqué, » dit Salim Naiman. « Ils m’ont tiré dessus pendant 30 minutes, tout autour de moi. » Naiman dit que quand les Israéliens ont fini par partir, un pêcheur palestinien qui était dans le secteur l’a remorqué sur la côte. Plus de 50 impacts de balles crevaient les flancs, le toit et l’intérieur du hassaka.

Les attaques ne sont en aucun cas limitées aux zones du nord, mais ont lieu tout le long de la côte de Gaza. Et elles ne sont pas non plus circonscrites à la période récente, elles ont commencé il y a au moins dix ans. La politique de l’armée israélienne d’attaque et d’intimidation a tué six pêcheurs au cours des quatre dernières années, dont Hani Najjar, tué d’une balle dans la tête en octobre 2006, alors qu’il pêchait à environ 2,5 miles au large de la côte de Deir Al-Balah.

Depuis le 18 janvier, date à laquelle a "cessé" l’attaque sur Gaza, 5 pêcheurs ont été blessés en mer, 5 autres sur la côte, plus de 40 ont été enlevés, au moins 17 bateaux ont été volés et 12 autres endommagés. Sur les bateaux qui ont été rendus, tous ont été abîmés, ou l’équipement volé pendant qu’ils étaient aux mains des autorités israéliennes.

Sultan pense qu’une des raisons des attaques contre les pêcheurs palestiniens est politique. « Les eaux près de la zone « K » sont poissonneuses. Les Israéliens le savent et ils ne veulent pas que les Palestiniens en profitent. Cela fait partie du siège. »
Source : In Gaza
Traduction : MR pour ISM