vendredi 3 juillet 2009

Les Portes de l’Enfer, ce que le régime égyptien fait aux Palestiniens

Gaza - 02-07-2009


Par Natalie Abou Shakra
Ce que j’ai vécu au terminal de Rafah, du côté égyptien… où je suis restée deux jours, les autorités égyptiennes refusant que je passe en Egypte pour pouvoir rentrer au Liban. Ils n’ont cessé de me demander : « Que faisais-tu pendant sept mois en Palestine ? »… «Qu’est-ce que VOUS n’avez pas fait ? », ai-je répondu à l’officier dumukhabarat (renseignement) au sourire bête et méchant. « Comme es-tu arrivée à Gaza ? », m’a demandé un autre… « Par les bateaux.» « Voilà, maintenant tu sais pourquoi tu ne peux pas partir, » m’a-t-il répondu.























Terminal de Rafah, pour entrer à Gaza. Les mêmes scènes que pour en sortir, une torture organisée par les autorités égyptiennes (photo IntMorb)


Ils punissent les Palestiniens, et tous ceux qui brisent le siège et se tiennent aux côtés des Palestiniens. Maintenant, je suis palestinienne… je suis une réfugiée, je suis une prisonnière, je vis les massacres et le racisme, je vis la résistance et l’endurance à toutes les sortes de techniques de tortures, je suis toujours à Gaza, et les choses risquent empirer, puisque le mukhabarat et le régime égyptiens m’interdisent d’en sortir. Ce n’est plus de la complicité avec l’entité sioniste, mais plutôt une participation directe dans les crimes contre l’humanité que le régime et les autorités égyptiennes perpètrent contre les Palestiniens.

Ainsi, littéralement, c’est un honneur d’avoir partagé leur souffrance avec les Palestiniens au passage. En dépit de la souffrance, au milieu de la souffrance, l’amitié, la fraternité, les rires et les plaisanteries étaient présents…

Les larmes des femmes, ceux qui suppliaient les monstres, et la torture, tout cela doit être dit, quel qu’en soit le prix à payer… et le prix est lourd, celui de ne pas pouvoir rentrer chez soi. Mais nous, activistes en solidarité, avons juré de faire ce sacrifice.

Je ne pourrai jamais oublier l’image de mon amie, Sitt Firial, dont le fils est à l’hôpital Ain Shams, en Egypte, mourant. Elle veut juste être auprès de lui. Hier, ils l’ont tuée : ses larmes coulaient, elle touchait de la main la vitre des bureaux du mukhabarat, regardant au travers : « S’il vous plaît, s’il vous plaît, je vous en supplie, ayez pitié, laissez-moi passer. »

Une autre femme était assise près du bureau du amn dawla (sécurité du gouvernement), regardant l’officier de la sécurité en train de fermer le passage. « Vous m’aviez promis de me laisser entrer, » dit-elle d’une voix douce, épuisée. « S’il vous plaît, laissez-moi entrer, » répétait-elle calmement, de sa voix fatiguée, puis elle m’a regardée, avec de grands yeux tristes, pleins de larme… des yeux d’enfant. J’ai regardé l’officier et je lui ai vomis tous leurs actes. Je savais qu’ils le prendraient personnellement, mais Jenny (Jenny Linnel, d’ISM) et moi, nous avons choisi de parler, de résister et d’agir. Je les ai traités en pleine figure de « barbares », de « sauvages », ça m’a fait du bien.

Une autre femme a offert un bonbon à un officier après qu’il lui ait dit qu’il allait réfléchir à la laisser passer. « Lahza, lahza, tfaddal tfaddal, » dit-elle en pressant le pas derrière lui. Ce sont des gens simples, gentils, honnêtes, authentiques et vrais. Ce qui leur arrive au carrefour s'imprime dans l’âme, la tue et la poignarde. On leur a appris à accepter ce traitement. Mais nous, militants, c’est notre boulot de briser le silence et de hurler contre ces injustices… peu importe le prix.

Alors que je parlais à un ami au téléphone, lui racontant la situation, un homme d’environ 70 ans, un vieux Palestinien malade, est tombé par terre. Saied, dumukhabarat, est venu vers moi alors que je m’approchais du vieil homme qu’un autre officier traînait. Saeid a pointé l’index sur moi : « Je m’assurerai que tu ne sortes jamais d’ici, » d’un ton cruel, bas et mauvais. Je lui ai répondu : «Tout ce que vous avez fait à notre peuple est consigné dans mes carnets. » Il m’a dit d’un ton vindicatif : « Vraiment ? Nous sommes intouchables ! »

Nous avons résisté… et la voix de Jenny criant – je ne pouvais pas la voir – «Lâchez moi, lâchez-moi ! » m’a donnée la force de ne pas bouger, de rester appuyée à la fenêtre.

Une dizaine d’hommes m’entouraient, je les regardai chacun dans les yeux, sachant que je devais les humaniser pour m’humaniser moi-même. « Vous avez une fille de mon âge ? J’ai 21 ans... vous accepteriez que votre fille soit traitée de cette façon ? Je suis ta fille, et la tienne, et la tienne. » De façon surprenante, les officiers avec qui j’avais eu un contact visuel et à qui j’avais parlé ne m’ont pas touchée. Seuls Saeid et un autre officier du mukhabaratm’ont poussée pour me faire partir. Je ne pouvais pas voir Jenny et lorsqu’on m’a traînée vers l’autobus du retour, j’ai vu qu’elle avait refusé d’y monter, ne sachant pas où j’étais. Tandis qu’ils nous traînaient et nous poussaient vers l’extérieur, l’homme qui me tirait par les poignets m’a dit : « Tu as de la chance que je ne te mette pas mon pied dans la gueule, comme ils font en Jordanie. »

Un jeune homme qui ne peut pas parler et qui était dans un fauteuil roulant, dans un moment de désespoir, se frappait continuellement la poitrine. «Hmmm, hmmm hmmm !! », essayait-il de s’exprimer pendant qu’ils le poussaient violemment, lui et son fauteuil, et Jenny ne cessait de dire : « shway shway ! » (doucement !).

Je suis honorée d’avoir vécu la journée d’hier, j’en suis fière. C’est le certificat d’être tuée, de souffrir, d’endurer et de résister avec tout ce qui est la Palestine, la Palestine, la Palestine, avec tous ceux qui tombent dans les mains de l’injustice.

La petite fille dans l’autobus disait « Maman, est-ce qu’on peut collecter de chacun un shekel pour le donner aux Egyptiens pour passer ? » Les gens ont partagé le pain et l’eau, ils ont partagé la douleur et les larmes, ils ont partagé les rires. Oui, nous avons ri. Les rires et l’amour sous les bombes, les rires et l’amour sous le racisme, la dégradation, l’humiliation, sous les monstres en habits.

Que sommes-nous maintenant, et que pourrions-nous être ? Je sacrifie tout maintenant, maintenant je sais ce que ressent un suicide bomber... je connais maintenant… ce sentiment de désespoir.

Hasta la victoria siempre, à bas le colonialisme, le totalitarisme, l’impérialisme, le capitalisme, l’oppression et la répression... Le colonialisme est le pire de tous les maux. A bas les régimes arabes oppressifs, à bas les régimes d’apartheid, à bas les nationalismes, avec les frontières et les limites. Le régime de La Vache Qui Rit tombera... (Moubarak, comme on l’appelle au Caire, ndt).

Ce que j’ai entendu le mukhabarat égyptien et les officiers du amn dawla dire aux Palestiniens, et adressé à moi également lorsque j’ai protesté et refusé de partir sans qu’on me donne la raison de l’interdiction d’entrée en Egypte :

"انته الفلسطينية جبته المشاكل و جيته"
"يلا امشي يلا!" ظابط مصري الى فلسطيني كبير السن
"لما ربنا يساعدنا حنساعدكم" ظابط مخابرات الى سيدة كبيرة السن و هو يتقهقه
"ابو شقرا!! هي خلصت الاسماء ولا ايه؟" وجهه ظابط مصري كريه و لئيم اليّ
"انت... انت مش حسيبك تطلعي من هنا!" ظابط مخابرات الي عندما وقفت الى جانب سيدي المسن عندما اغمي عليه
"مين حيحاسبني؟!" ظابط مخابرات مصري يرد علي عندما فجرت غضبي فيه
"لو كنت في الاردن كانت الجزمة تعتي فوق راسك!" ظابط مخابرات عندما رفضت الخروج من المعبر احتجاجا على تعذيبهم الجسدي و النفسي لي و لزميلتي

Traduction globale... (merci à Marcel Charbonnier)
« Toi, la Palestinienne, c’est toi, qui as amené les emmerdes… »
« Allez, avance, allez ! » (un officier égyptien à un vieillard palestinien)
« Quand notre Seigneur nous aidera, alors là, oui, nous vous aiderons (vous pouvez compter là-dessus…) ! » (un officier du renseignement se moquant d’une dame âgée)
(« Elle s’appelle) « Abû Shaqr » !!! Y’avait plus de noms en magasin, ou quoi ?? » (lance un officier égyptien repoussant)
« Toi… toi… je ne te laisserai pas sortir d’ici ! » (un officier du renseignement, alors que j’étais auprès d'un grand-père âgé, qui s’était évanoui)
« Ah oui, et je devrai rendre des comptes à qui, d’après toi ?? » (un officier égyptien du renseignement, après que je lui ai gueulé après)
« Si tu étais en Jordanie, là, en ce moment, tu aurais mon ranger sur la tronche ! » (un officier du renseignement après que j’eus refusé de sortir du sas afin de protester)
« Laissez-moi les torturer physiquement et psychologiquement ! Enfin, laissez-nous les torturer : faut penser aux copains ! »