jeudi 9 juillet 2009

Lettre d’un juif à son ami Martin Luther King

publié le mardi 7 juillet 2009

Serge Grossvak
Lettre d’un juif à son ami Martin Luther King [1]

Mon cher ami, pardonne mon tutoiement. Lorsque m’est venu spontanément mon « tu », j’ai mesuré comme ce geste est porteur d’un immense respect. On donne du « vous » et du « monsieur » aux forts et aux puissants, on baisse la tête devant eux. Toi, tu fais relever la tête. Ton titre est le seul qui vaille : Prince du respect, de la dignité partagée. Par delà la tombe, tu es mon ami, tu es l’ami du monde.

Lorsque les âmes guerrières ont affiché ta lettre sur les murs de Paris, j’ai entendu ce qu’ils n’imaginaient pas. En ces temps de violences et d’écrasements, en ces moments d’aveuglements guerriers, toi, tu portais cet idéal de fraternité et de solidarité. Tu sais, ami, il est différentes façons d’être juif et de sentir ses racines.

Pour moi, ma judaïcité, c’est cette exigence de respect, de dignité, de paix partagée. Ma racine d’enfant juif, ça a été de découvrir, tombant des lèvres de ma grand-mère dans une sombre cuisine, cette particularité que je ne devais pas dévoiler. Ma racine d’enfant juif, ça a été cette découverte interdite du livre des horreurs des camps nazis, caché au sommet inaccessible de la bibliothèque familiale. Là j’ai appris, mon ami, « ce que signifie souffrir les tourments de la tyrannie ». Alors je sais que toi, tu comprends, être juif, pour moi c’est se lever contre l’oppression, toutes les oppressions. Ne rien dire devant les assassins serait renier nos ancêtres de la géhenne comme de moi même. Je ne peux me renier.

Tu vois, très cher ami, il est d’autres chemins que le sionisme pour être juif. Je suis juif par une histoire bien proche : celle de mes parents et grands parents, celle de « la solution finale ». Je ne dispose d’aucun instrument de mesure ou de règle graduée pour évaluer cette énorme souffrance. Comment comparer aux autres horreurs du monde et de l’histoire ? Je sais simplement que ce crime est unique par sa construction froide et étatique.

C’est cette terrible particularité qui constitue ma racine, ma filiation. De là est né mon respect des aïeux par cet engagement têtu pour la justice commune et le respect de tous, absolument de tous. Tu vois, ami, cela doit te convenir : ce n’est pas la conception sioniste ethnocentrée mais une identité juive ouverte et fraternelle. Une identité où l’autre n’est pas un ennemi potentiel, un antisémite latent, un goy. Mais au-delà de cette différence, quelle catastrophe ce serait si un concept devenait obligation ! Un monde fait d’une unique pensée ? Être sioniste ou n’être rien. Je refuse cet appel au totalitarisme.

Tu sais, ami, le refus de ce choix doctrinaire se paye du prix du paria, comme Spinoza l’avait affronté en son temps. Mais je suis juif, et je ne suis pas sioniste. Je ne suis pas sioniste, je ne suis pas non plus anti sioniste. Plus j’avance dans ma vie plus je découvre comme « anti » ne peut qu’être réducteur et manque d’humanité pour construire une perspective. Surtout, je ne suis pas antisioniste parce que je vois venir de premiers frères de conscience, des âmes de Paix issues de cette idée. Avec eux j’aspire à bâtir un nouvel avenir.

Et puis d’autres s’engagent à partir de leur antisionisme de juifs militants. Leur engagement est clair : ils sont blessés, profondément blessés dans leur âme à chaque offensive de l’armée israélienne. Ils étouffent en entendant les populations assassinées à Jénine, puis au Liban, puis à Gaza. Ils ragent devant l’impunité des fanatiques. Je te dis, très cher ami, que « la vérité que nous voyons sonner du sommet de la haute montagne, que les échos qui résonnent dans les vallées vertes de la terre de Dieu » ce sont des souffrances d’un peuple nié et dominé. De là naît une colère, ces antisionistes la tournent contre des responsables politiques aux idéaux sionistes. C’est à une idée politique qu’ils s’opposent, pas à un groupe ethnique, racial ou religieux.

L’amalgame avec l’antisémitisme ne peut que servir à obscurcir les idées. De bien mal intentionnés se saisissent de cet amalgame. Sionisme ou antisionisme ne me parait plus la question d’aujourd’hui. L’État d’Israël existe. C’est la Paix, le Droit et l’Égalité qui n’existent pas, dont l’absence fait violence. C’est le Droit qui est nié dans l’étonnante cécité du monde. Mon ami des Écritures, mon ami au « profond amour pour la vérité et la justice », connais tu un seul autre état au monde qui n’ait pas défini ses frontières ? Mon ami, te convient-il qu’une décision de Droit international ne soit pas appliqué et que l’État Palestinien souverain ne soit toujours pas une réalité ? Je voudrais que « mes paroles sonnent dans les profondeurs de ton âme » pour qu’ensemble nous aidions à naître une Paix juste et donc durable.

Trop nombreux sont encore ceux qui refusent la justice et donc la Paix. Certains parce qu’ils se délectent de la guerre, d’autres parce qu’ils sont trop lâches pour regarder, le plus grand nombre parce qu’ils se laissent abuser, mener vers des gouffres qu’ils regretteront.

Aujourd’hui, celui qui refuse les frontières intégrales du vote de l’ONU se satisfait de la domination et du massacre. Celui là injurie mes aïeux et ma culture. Mon ami, vois comme c’est terrible, vois le chemin à accomplir. Mon ami au merveilleux rêve exhaucé, je dois t’avouer avoir également un rêve fantastique. Celui du plus profond de mon être. Je sais que comme toi je ne pourrai en connaître le début. J’en voudrais simplement les prémices. Je voudrais que mes enfants, ou mes petits enfants, voient élire un Président Obama d’origine palestinienne dans l’Etat d’Israel, et un Président Obama juif dans la Patrie Palestinienne.

Que pourrions nous léguer de mieux à nos descendants ?

[1] en réponse à la communication partisane de la Mairie de Paris (qui a affiché la lettre de King à "un ami antisioniste" où il assimilait antisionisme et antisémitisme)

Serge Grossvak Le, 29 juin 2009