lundi 15 décembre 2014

La loi « anti-terrorisme » : Israël se surpasse ... une fois de plus

Le nouveau projet de loi de Netanyahou propose que les corps de présumés terroristes palestiniens ne soient pas remis à leur famille, mais déposés dans un lieu non divulgué.

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C’est l’Etat israélien, le terroriste. Sur cette photo, une parente pleure le jeune Imad Jawabreh, assassiné par l’armée d’occupation à Hébron, le 11 novembre 2014 - Photo : APA/Mamoun Wazwaz
Il y a tout de même un côté positif à l’approche israélienne actuelle des Palestiniens … c’est que les satiristes ne manqueront jamais d’inspiration. La dernière contribution d’Israël à l’absurdité dans le monde est une loi « anti-terrorisme » proposée par le parti Likoud du Premier Ministre Benjamin Netanyahou, qui vise les citoyens palestiniens en Israël et les habitants de Cisjordanie et de Jérusalem. Si le projet passe, il criminalisera le port du drapeau palestinien lors de manifestations. Il comprendra d’autres mesures.
Selon le sommaire du projet de loi sur le site web Ynetnews, ce sont les points suivants :
- Les personnes éliminées pendant leur tentative d’attaque « terroriste » ne recevront pas de funérailles (leurs corps seront inhumés en un lieu non connu).
- Les maisons des « terroristes » seront détruites dans les 24 heures [sic] suivant l’attaque.
- Les familles des « terroristes » perdront leur citoyenneté et seront déportées à Gaza si elles expriment un soutien aux actes de leurs proches.
Ynetnews note que du point de vue des auteurs de la loi, « un soutien ... aux terroristes … peut s’exprimer via les médias publics ou sociaux ».
Le Washington Post ajoute que les personnes « convaincues d’avoir lancé des cocktails Molotov ou des bombes incendiaires » risqueraient également la déportation à l’issue de leur peine de prison.
Il en va de même avec les restrictions habituelles aux déplacements entre Israël et la bande de Gaza – bien que cet arrangement potentiel augmenterait sans doute le caractère de « prison à ciel ouvert » du territoire.
Pour mettre un peu les choses en perspective, imaginez la République islamique d’Iran proposant une loi en vertu de laquelle les familles de citoyens qui jugés comme participants à un acte de terrorisme contre le régime verraient leur maison démolie. 
Si les membres de la famille allaient jusqu’à poster sur Facebook que les militaires iraniens ont tué un de leurs parents prétendument terroriste, ils seraient déportés vers un territoire où leurs propres chances d’être exterminés par ces mêmes militaires seraient considérablement accrues.
Dans ce cas, la communauté mondiale risque bien d’avoir deux ou trois choses à dire à propos d’une telle législation et elle attirerait sans doute l’attention sur le statut illégal es punitions collectives aux termes du droit international. Il se pourrait même que les autorités et les commentateurs profitent de l’occasion pour condamner la nature barbare de leurs ennemis iranien.
Dans le cas actuel, qui n’est pas de l’ordre de l’hypothèse, l’essentiel est de se souvenir que l’interprétation israélienne de ce qui constitue le « terrorisme » est plutôt flexible. Les Palestiniens tués alors qu’ils étaient ostensiblement impliqués dans des actes terroristes vont du pêcheur essayant d’attraper du poisson jusqu’aux agriculteurs essayant de cultiver leur terre, sans parler d’enfants essayant de jouer au foot ou de dormir dans des écoles primaires des Nations Unies...
« Prévention du terrorisme ? »
Comme l’a souligné le journaliste Patrick Strickland dans un article pour The Electronic Intifada, ce ne serait pas la première fois qu’Israël interdit le drapeau palestinien. Celui-ci a été interdit entre 1967 et la signature des Accords d’Oslo en 1993, même si – tout à fait dans l’esprit d’Oslo (supercherie et parodie) – les Palestiniens continuent par intermittence à être sanctionnés pour l’avoir déployé.
Ce n’est pas non plus la première expérience d’Israël en matière de lois anti-terrorisme. L’Ordonnance de Prévention du Terrorisme de 1948 – reproduite sur le site web du ministre israélien des Affaires étrangères – décrète qu’une « organisation terroriste » signifie un corps de personnes ayant recours dans ses activités à des actes de violence calculée pour causer la mort ou blesser une personne ou menaçant de recourir à de tels actes de violence ».
En d’autres termes, l’état d’Israël est un cas d’école pour sa définition ’maison’ d’une organisation terroriste. Évidemment, l’ordonnance n’est pas censée s’appliquer au terrorisme d’état israélien, au terrorisme des colons ni à aucune autre forme de violence ou de menace de violence juive sur Palestiniens, même « calculée pour causer la mort ou des blessures ».
Commodément, l’ordonnance proclame aussi : « Si le gouvernement [israélien], par avis dans la Gazette Officielle (le Journal officiel d’Israël) déclare qu’un corps particulier de personnes est une organisation terroriste, l’avis servira de preuve, dans toute procédure légale, que ce corps de personnes est bien une organisation terroriste, sauf à fournir la preuve du contraire ».
Bonne chance pour prouver le contraire !
Le fait est que le terrorisme israélien, les punitions collectives et l’oppression généralisée ne font qu’alimenter la résistance palestinienne, violente et non violente, et des activités comme le lancer symbolique de pierres sont reléguées en dernière catégorie. Cela semblerait indiquer qu’intensifier la routine via ce projet de loi anti-terrorisme ne ferait que juguler le « terrorisme « palestiniens tel que le conçoit Israël. L’effet serait plutôt d’attiser le conflit en cours – ce qui servirait alors de justification à de nouveaux abus israéliens, à d’autres refus de leurs droits, à plus d’expansion territoriale et à des donations gargantuesques de la part des États-Unis.
Après tout, qui a dit qu’il n’est pas profitable d’avoir des ennemis ?
Selon l’article sur Ynetnews, si la loi passe toute personne agitant le drapeau palestinien à des manifestations serait montrée du doigt comme possesseur d’un « drapeau ennemi ».
État d’urgence ?
Faut-il voir dans cette loi l’indice d’un état qui craint pour sa capacité à garder le contrôle sur le territoire qu’il a lui-même accaparé, et qui saisit donc n’importe quelle mesure biscornue, ou bien d’un état tellement convaincu de son omnipotence qu’il se voit capable de mettre en scène toutes les politiques perverses qu’il désire ? Comme l’une des caractéristiques du mode opératoire d’Israël est son manque de logique fondamental (apartheid = démocratie ; terrorisme mis en œuvre par Israël = auto-défense), les deux explications sont plausibles.
Strickland cite un courriel de l’universitaire Ilan Pappe, l’auteur du « Nettoyage ethnique de la Palestine », qui dit que jusqu’à récemment Israël « était mal à l’aise avec la contradiction entre racisme et démocratie » et qu’il « hésitait à légiférer sur un mode [ouvertement] raciste car il était possible, aux yeux de ses dirigeants, de pratiquer une apartheid d’état de facto tout en ayant des lois qui sont démocratiques dans la lettre mais discriminatoires dans leur esprit lorsqu’elles sont appliquées ».
Par hasard, une publicité d’Amazon pour le livre de Pappe est apparue sur le côté de mon écran alors que j’étais en train de parcourir dans le journal outrageusement d’extrême droite qu’est le Times of Israël, le commentaire du projet de loi. Le commentaire réclamait que « même ceux qui n’ont pas commis de délits classés comme terroristes, comme les lanceurs de pierres, les « incitateurs » et les participants masqués à des manifestations où on tirait des pétards ou des bombes incendiaires, se verront infliger des pénalités sévères ».
Peu importe que des masques sont un antidote assez efficace contre le gaz lacrymogène régulièrement tiré par Israël sur des enfants et d’autres innombrables Palestiniens. Merci à l’internet pour avoir horriblement déterminé mon orientation personnelle vis-à-vis de la question palestinienne – même si le Times of Israël me demanderait certainement d’en changer.
Le Times fait aussi remarquer que « s’il passe à la Knesset, le projet de loi agirait comme une sorte de législation d’urgence qui expirerait une fois la crise passée ». 
D’où l’utilité d’une éternelle « crise ». Mais la « crise » actuelle, si on fonde son jugement sur le manuscrit de Pappe et sur la réalité elle-même, c’est que les crimes d’Israël se poursuivent jusqu’à ce jour.
Un amendement de 1980 à l’Ordonnance israélienne sur la prévention du terrorisme stipule que : « Cette Ordonnance ne s’appliquera qu’en cette période d’ordonnance, pendant laquelle il existe un état d’urgence dans l’État (sic) ».
Si seulement le nettoyage ethnique de la Palestine était considéré comme un état d’urgence ...

Belen Fernandez est une analyste politique et journaliste indépendante américaine familière du terrain (Moyen-Orient, Amérique du Sud, Europe), auteure de « The Imperial Messenger : Thomas Friedman at Work » (Verso) et de « Coffee with Hezbollah »(Paperback). Elle est rédactrice au Jacobin Magazine et publie dans de nombreux médias.
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM