mardi 25 novembre 2014

Leïla Shahid à « L’OLJ » : Le conflit israélo-palestinien n’est pas entre juifs et musulmans

Elle est née au Liban où elle a fait ses études à l'AUB. Elle est issue de deux des plus influentes familles de Jérusalem. Elle est le visage féminin de la cause palestinienne en Europe. Leïla Shahid est actuellement déléguée générale de la Palestine auprès de l'Union européenne à Bruxelles. Son éloquence, ses positions et sa modération lui ont valu respect et admiration.
Alors que les récentes violences à Jérusalem menacent de prendre une tournure confessionnelle, Leïla Shahid estime que le conflit israélo-palestinien n'est pas une guerre de religion. « Le conflit n'est pas entre juifs et musulmans. C'est un conflit entre une force d'occupation et un peuple sous occupation », affirme-t-elle à L'Orient-Le Jour.
Malgré le fait que de nombreux Palestiniens fustigent régulièrement « les juifs », Mme Shahid affirme que, dès le début, Yasser Arafat a refusé catégoriquement cette distinction, estimant qu'il fallait combattre l'occupation israélienne et non pas la religion juive. « Si distinction il y a, ce sont les Israéliens qui la font, en s'identifiant à leur religion par rapport aux autres religions chrétienne et musulmane », ajoute Mme Shahid.
Selon elle, il n'y a pas de dialogue aujourd'hui entre les Israéliens et les Palestiniens : le dialogue se fait entre amis. « Il y a des négociations entre le gouvernement israélien et l'autorité palestinienne, qui visent à mettre fin à une occupation militaire, à mettre fin au déni du droit des réfugiés à rentrer chez eux, etc. », explique-t-elle.
Leïla Shahid appelle de son côté au respect de l'autre. Selon elle, le respect ramène à la notion de droit : c'est respecter le droit de l'autre (qu'il soit un individu ou une nation ou un peuple).
« Je n'aime pas le mot " tolérance " », insiste-t-elle, en faisant allusion au fameux choc des civilisations de Samuel Huntington. « Son discours culturel, qui avait attiré les néoconservateurs américains, met en valeur la guerre de la civilisation contre la barbarie. Et si eux défendent la civilisation, alors nous sommes les barbares ! La tolérance a une connotation hautaine », dénonce-t-elle. Selon elle, tout dialogue, notamment entre les religions et les civilisations, doit se fonder sur le respect. On peut avoir des conflits politiques sur un territoire, sur des frontières, mais la culture a une dimension universelle qui est celle des droits à la liberté, à l'expression, à circuler. Ces droits ne varient pas selon que l'on soit marocain, chinois ou israélien, musulman ou juif, noir ou jaune.
La cause palestinienne nourrit-elle l'islam radical ? « Ce que le Proche-Orient est en train de vivre aujourd'hui, notamment avec la guerre civile en Syrie, est la preuve que l'extrémisme n'est pas nécessairement lié à la Palestine. Nous sommes sous la menace d'une vraie barbarie. Le terrorisme est le dernier recours pour ceux qui pensent qu'ils n'ont pas d'autres moyens que de se défendre par la violence », estime Leïla Shahid.
Il est vrai toutefois, affirme la diplomate palestinienne, que tant que le conflit israélo-palestinien n'est pas résolu dans notre Méditerranée, la région ne sera jamais stable. « Mais la cause palestinienne n'est pas l'unique cause de la déstabilisation de la Méditerranée. Il y a aussi la pauvreté, d'autres conflits régionaux, les régimes non démocratiques, etc. Mais le problème palestinien reste le plus ancien et le plus central, qu'il faut résoudre si on veut réellement construire les bases solides d'une coexistence en Méditerranée », ajoute Leïla Shahid.
Les révoltes arabes ont-elles occulté la cause palestinienne ? « Personne n'a le monopole de la souffrance, réplique Mme Shahid. Les Palestiniens ne peuvent pas être les seules victimes reconnues sur le plan médiatique. Aujourd'hui, il y a une moyenne de 50 morts par jour en Syrie. De même en Irak. Néanmoins, ce qui fait l'importance de la cause palestinienne, ce n'est pas le nombre de morts, ni le nombre de prisonniers politiques. La Palestine est le cœur de la Méditerranée. Tant que ce conflit central n'est pas résolu, il n'y aura pas de stabilité, de sécurité et de développement durable ni de prospérité dans la région », conclut-elle.