jeudi 16 octobre 2014

Gaza, comme un boomerang


Le vote a claqué comme une gifle à la face d'un Benjamin Netanyahu plus que jamais boudiné dans ses fausses certitudes. Par 274 voix contre 12, la Chambre des communes s'est prononcée pour une reconnaissance de l'État palestinien, réveillant du coup chez nombre d'Israéliens les vieux démons des batailles qu'ils n'ont cessé, depuis 1948, de gagner et d'une guerre qu'ils n'arrêtent pas de perdre, celle de l'opinion internationale.
Bien sûr nous avons eu droit, dans les jours qui ont suivi la prise de position du Parlement britannique, à l'habituelle litanie des explications sur mesure : il est entendu que la décision des honorables MP n'est pas contraignante. De plus 364 des 650 membres de l'Assemblée avaient préféré se faire porter absents. Enfin, piteuse parade, Londres vient de miner, nous assène-t-on comme une évidence, les chances d'une solution pacifique d'un conflit vieux de deux tiers de siècle.
Peu importe dès lors que Matthew Gould, ambassadeur à Tel-Aviv de Sa Gracieuse Majesté, ait mis en garde l'État hébreu contre cette bombe à retardement que constitue la multiplication des points de peuplement dans les territoires occupés. Et puis,de quel poids, je vous le demande, pèse sir Alan Duncan, un ancien ministre, qui n'a pas hésité à comparer une telle politique à « une forme d'apartheid » ? Quant à Grahame Morris, initiateur du projet voté lundi au palais de Westminster, il a raté une belle occasion de se taire. Tel est l'essentiel de l'argumentaire que l'État hébreu oppose à la déferlante hostile qui, depuis l'opération « Bordure protectrice » lancée le 7 juillet dernier, n'a cessé de gagner en intensité.
Ancien ambassadeur à Washington, Michael Owen a eu la sage idée de recommander à son gouvernement de ne pas sous-estimer l'importance de la démarche des parlementaires anglais. Le Royaume-Uni, a-t-il noté en substance, est l'un des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, où la cause palestinienne figure à l'ordre du jour dès le mois prochain. Il suffira de neuf voix pour qu'une motion soit adoptée enjoignant à Israël de fixer une date à son retrait de la rive occidentale du Jourdain (Cisjordanie). Et pour enfoncer le clou, cette constatation : les Palestiniens sont plus intelligents à la manœuvre que nous.
Isaac Herzog, chef du Parti travailliste et leader de l'opposition, parle, lui, de « défaite » pour Netanyahu et son ministre des Affaires (qui lui sont) étrangères, Avigdor Lieberman, et évoque « un vent glacial qui souffle sur nous, en provenance de tous les coins de la planète ». L'ex-chef du Mossad Efraïm Halevy n'est pas tendre lui non plus, qui constate un changement d'attitude à l'égard de son pays et invite « Bibi » à tenir compte des voix qui montent de la rue européenne.
De fait, tout indique que nombre de nations du Vieux Continent s'apprêtent à emboîter le pas à Londres. Romain Nadal, porte-parole du Quai d'Orsay, s'il juge que « tôt ou tard il nous faudra reconnaître l'État palestinien » ne va pas jusqu'à avancer une date. L'Irlande, le Danemark et la Finlande sont les prochains sur une liste qui compte déjà 135 des 193 membres de l'organisation internationale. Sur le plan pratique, l'Union européenne a promis un apport de 450 millions d'euros à Gaza, ce territoire ayant déjà obtenu en une décennie près de 1,3 milliard d'euros. Une broutille au regard des milliards que reçoit annuellement Israël, mais qui ne traduit pas moins une empathie grandissante qui devrait commencer à inquiéter le tortionnaire des Palestiniens.
Détail douloureux pour certains Israéliens : le geste de lundi venait de la patrie d'Arthur Balfour, l'homme qui avait promis aux juifs, dès 1917, un « foyer national » en Palestine. Cette année 2014, la coalition de bric et de broc au pouvoir a accéléré comme jamais auparavant le rythme des annexions qui ont culminé avec l'annonce en septembre de l'expropriation d'une énorme superficie, la plus importante de ces trente dernières années, désormais adjointe à Etzion, non loin de Bethléem.
La bande de Gaza, les points de peuplement : voilà les deux casseroles que traîne Netanyahu, dont la ligne de défense consiste pour l'heure à ignorer les messages que lui fait parvenir la communauté internationale et à multiplier les gestes hostiles, le dernier en date, hier même, se traduisant par une limitation de l'accès à l'esplanade des Mosquées, désormais ouverte aux fidèles juifs, y compris les extrémistes de droite.
Face à cette intransigeance, John Kerry n'a vraiment pas besoin de reprendre son inutile marathon diplomatique. Le tango ? D'Astor Piazzolla, qui l'a sorti des maisons closes de Buenos Aires, nous savons qu'il faut être deux pour le danser.