mercredi 13 août 2014

Les quatre grandes erreurs de Netanyahou

Alors que les quelques officiers supérieurs de l’armée israélienne parlant des exploits militaires des trois dernières semaines affluent désormais en nombre, on peut supposer qu’ils en ont assez du carnage qu’ils ont vu à Gaza et qu’ils veulent maintenant se désengager.
La plupart de ce qu’ils disent est contradictoire : 31 tunnels d’attaque du Hamas ont été détruits, mais ils reconnaissent quand même que le Hamas peut en construire plus. Le Hamas a été durement touché, mais selon leurs services de renseignements, il reste encore au Hamas 3 000 roquettes de courte portée et quelques-unes de moyenne portée.
Du côté israélien, les ravages causés à Gaza sont considérés à la fois un succès (suite aux bombardements, les infrastructures sont retournées à un niveau d’avant 2006) et en même temps un échec. Un militaire a même reconnu qu’ils avaient besoin que le Hamas conserve sa maîtrise afin de garder le contrôle sur les autres groupes.
Du côté du Hamas, le message est sans ambiguïté : est-ce là ce qu’Israël peut faire de pire ? La force militaire du Hamas est intacte et apte à continuer le combat. Sur le terrain politique, l’attaque israélienne a cimenté l’unité des factions palestiniennes, placé le Hamas au sommet de la pyramide et révélé au grand jour l’alliance des États arabes derrière Israël, l’affaiblissant ainsi.
Ce n’est que le début de ce qui deviendra un va-et-vient de salves verbales lorsque les combats cesseront. Il est toutefois clair que même à ce stade, le calcul stratégique lié à ce raid punitif a pris une mauvaise tournure. Trois hypothèses ont joué un rôle clé dans les calculs de Benjamin Netanyahou : tout d’abord, le moment était venu d’assommer un Hamas affaibli par la perte des fonds en provenance d’Iran et du soutien de l’Égypte ; ensuite, les Gazaouis reprocheraient au Hamas les destructions provoquées par Israël ; enfin, l’Égypte et l’Arabie saoudite couvriraient Israël.
Pour la première hypothèse, le Hamas et le Djihad islamique se sont révélés être mieux préparés et meilleurs au combat que ce que l’armée israélienne avait prévu.
Voilà pour l’effet dissuasif des précédentes sorties dans la bande de Gaza. Avant l’invasion au sol, un commentateur expliquait que c’était comme si les Pierrafeu défiaient l’armée la plus perfectionnée du monde. Les choses ne se sont pas passées de cette manière. Les militants à Gaza ont causé des victimes dans les meilleures brigades de l’armée : 63 soldats et trois civils [161 soldats et officiers tués, selon ce que revendique la résistance - NdT], soit la moitié du nombre de morts lors de la guerre de 2006 contre le Hezbollah au Liban.
Qui plus est, la stratégie de choc et stupeur menée contre Gaza n’a pas eu l’effet escompté. Les Gazaouis n’ont pas reproché les destructions au Hamas et le gouvernement d’unité entre le Fatah et le Hamas n’est pas tombé en lambeaux. Il s’est passé le contraire, et ceci n’est qu’en partie dû aux tactiques employées pas les forces israéliennes. Cette guerre a vu tant de morts et de massacres de masse de civils que ceux-ci sont difficiles à quantifier.
Avant le bombardement de Rafah de 24 heures ce vendredi, le ministère palestinien de la Santé a indiqué que 70 familles avaient été anéanties, soit 579 personnes auxquels il faut ajouter les 1000 blessés. Mais même ce massacre ne reflète pas l’ampleur du nombre de morts civils.
Faut-il classer un massacre selon l’occurrence (le centre pour handicapés, les quatre garçons sur la plage, les trois garçons dans le pigeonnier), selon le lieu (Shejaiya (deux fois), Khusa, Rafah) ou selon l’école (les sept écoles de l’UNRWA faisant partie des 133 installations diverses de l’ONU touchées par des obus et des missiles) ? Revendiquer, comme Benjamin Netanyahou l’a fait, que la guerre menée par Israël n’est pas contre les civils, relève soit d’un cynisme porté à son paroxysme, soit d’un aveuglement, voire des deux à la fois.
Néanmoins, la réaction de Gaza n’est qu’en partie une réponse à ces tactiques. L’autre moteur était le siège en soi, qui a maintenant passé les huit ans. Au début des bombardements, les Gazaouis se disaient que dans l’absolu, ils avaient deux solutions : soit mourir maintenant, soit mourir d’une mort lente plus tard. Ils ont opté pour la première possibilité. La résistance est donc revenue en force, quelle que soit l’organisation qui la dirige. Le Hamas a été stimulé puisqu’il s’agit du mouvement de résistance le plus conséquent et le plus actif. Et même dans un endroit aussi contrôlé que la Cisjordanie, où la loyauté envers le Fatah est profonde, la résistance a regagné le grand public.
Par conséquent, quand cela se terminera, les choses ne seront pas comme d’habitude. Tzipi Livni, ministre de la Justice qui se range elle-même dans la frange libérale d’un cabinet de droite dominé par les colons, se fait bien des illusions si elle pense qu’elle peut aujourd’hui prendre le téléphone et avoir Mahmoud Abbas ou Saeb Erekat de l’autre côté du fil. Les assistants sont depuis devenus des résistants, dans la mesure où n’y a pas une feuille de papier à cigarettes entre la position de l’OLP dans les pourparlers de cessez-le-feu au Caire et le Hamas.
Les six conditions pour un cessez-le-feu en sont le reflet : le retrait immédiat des forces israéliennes et la garantie de la fin des incursions, des bombardements et des survols ; la fin du siège, l’ouverture des points de passage, la garantie d’un passage entre la Cisjordanie et la bande de Gaza et la réouverture d’un aéroport et d’un port maritime à Gaza ; l’élimination des zones tampons ; la libération de tous les prisonniers, en particulier de ceux qui ont été de nouveau emprisonnés suite à l’affaire l’affaire Guilad Shalit ; la reconstruction immédiate de Gaza par le gouvernement d’unité ; la tenue d’une conférence des donateurs. Toutes ces conditions sont issues de la stratégie du Hamas. Il ne s’agit sûrement pas d’une position dans laquelle Abbas ou l’OLP se sentent à l’aise, mais ils n’ont guère le choix.
La troisième erreur fatale de Netanyahou a été de compter sur le soutien de l’Égypte et de l’Arabie saoudite. Il aurait été plus sage de garder secret leur soutien pour son attaque contre le Hamas. Le fait de s’en vanter, comme les responsables de la défense israélienne l’ont fait, afin de démontrer à un public occidental sceptique que les autres États arabes voulaient que le Hamas prenne une bonne raclée, était une idée stupide.
Ce n’est pas pour rien que l’un des plus ardents défenseurs du président égyptien, le commentateur nassériste Abdallah El-Senawi, a évoqué dans le journal Shorouk les dommages causés par Abdel Fattah al-Sissi à sa propre image présidentielle lorsqu’il s’est exprimé en faveur de la guerre israélienne.
« En toute honnêteté, un coup terrible a été porté à la réputation du nouveau Président dans le monde arabe en termes diplomatiques et médiatiques. En dépit du fait que certains [souhaitent voir l’Égypte retourner à son état précédent], des erreurs ont été commises avant qu’elles n’apparaissent là. Il manque une vision... La scène régionale en général, et l’Égypte en particulier, semblent faibles dans leur solidarité avec le calvaire de Gaza. Dans certains cas, des actes politiques honteux sont commis dans les médias, même si la question est profondément liée au sort de toute la région. »
Le docteur Khalid al-Dakhil, l’un des politologues les plus renommés d’Arabie saoudite, chroniqueur pour le journal al-Ittihad, a écrit dans le journal al Hayat que l’Égypte avait sacrifié son rôle central dans le monde arabe : « Désormais, l’Égypte ne dispose plus des avantages nécessaires pour maintenir son rôle central ou son leadership dans le monde arabe. » Dans le camp saoudien, le même sentiment d’humiliation se fait sentir.
Saoudiens et Égyptiens comparent la réaction de leur gouvernement à celle des pays d’Amérique latine qui ont chassé leurs ambassadeurs israéliens. Ils entendent les condamnations de la Chine et de l’Afrique du Sud. La réputation internationale du Hamas a également été renforcée. Khaled Mechaal a reçu une lettre personnelle de la part du président sud-africain Jacob Zuma. En Colombie se déroulent des manifestations où les gens crient « Viva Hamas ».
Netanyahou a commis une quatrième erreur de calcul, qui peut avoir déjà commencé ou non à porter ses effets plus près de chez lui. Nous ne le saurons que rétrospectivement. Cette erreur concerne ce qui se passe dans l’esprit des Palestiniens vivant hors de Gaza, qu’ils soient habitants de la Cisjordanie ou de Jérusalem, ou encore citoyens d’Israël. Il est facile de définir un fil conducteur, des manifestations au poste de contrôle de Qalandia, les plus massives depuis de nombreuses années, à l’acte d’un conducteur de pelleteuse qui a écrasé un homme et renversé un bus à Jérusalem, en passant par la fusillade en voiture contre un soldat à un arrêt de bus, à l’Université hébraïque.
Il est plus difficile d’en identifier le point charnière. Plus la guerre s’éternisera, plus la tension grandira à Jérusalem. Autre signe intéressant : la police anti-émeutes palestinienne ne regarde plus les manifestants palestiniens dans les yeux, en tant que compatriotes. Les policiers ont trop honte de ce qu’ils font. De même, le drapeau vert palestinien est omniprésent. La guerre contre Gaza pourrait avoir simplement posé les bases d’une nouvelle intifada.
 Middle East Eye -
Traduction : Info-Palestine.- Valentin B.
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