lundi 11 août 2014

Le fils de Jean-Pierre Filiu gravement blessé par l’armée israélienne

Diego, 18 ans, étudiant français, fils de l’universitaire et écrivain Jean-Pierre Filiu, a été visé et blessé par un soldat israélien à Jérusalem-Est. Qu’à cela ne tienne, les autorités françaises ne vont pas protester pour si peu auprès d’Israël. Des sanctions ? Vous n’y pensez pas ! Quand on sait que le journaliste Jacques-Marie Bourget, après avoir été gravement blessé par un sniper israélien en 2000, attend encore pour avoir ne serait-ce que le droit d’être reconnu, en France, en tant que victime !
"Diego Filiu, un étudiant français de Sciences-Po, spécialisé sur le Moyen-Orient, fils de Jean-Pierre Filiu, faisait un stage à la Maison d’Abraham, qui accueille depuis 1964 les pèlerins chrétiens à Ras al-Amoud, en secteur oriental et arabe de la ville de Jérusalem.
Il raconte :
(...) J’ai en effet assisté aux manifestations du vendredi, fréquentes à Ras al-Amoud où je vis, car la mosquée du quartier est le site de repli en cas d’interdiction d’accès à al-Aqsa. C’est souvent là que les fidèles refoulés défient le barrage israélien. Ces troubles restent limités, même après le meurtre sauvage d’un Palestinien de 16 ans, brûlé vif par des extrémistes juifs, le 2 juillet à Jérusalem-Est.
L’affrontement prend une tout autre ampleur le soir du 24 juillet, nuit du Destin pour les musulmans (la plus importante du mois de jeûne de Ramadan) – et seizième jour de l’opération Bordure protectrice à Gaza.
Ce 24 juillet, après la prière du soir, de nombreuses grenades assourdissantes sont tirées par les unités israéliennes, venues en force à Ras al-Amoud pour bloquer tout accès à la vieille ville de Jérusalem. La riposte israélienne aux jets de pierres est immédiate, foudroyante, d’une disproportion effrayante.
Aux pierres arabes, les militaires répondent à la balle éclairante, provoquant des éclats dignes des plus somptueux feux d’artifices. Le problème, c’est que ces éclats sont dirigés vers les Palestiniens. Sans distinction. Des enfants aux vieillards, tous sont pris dans la tourmente des feux israéliens. Tsahal va jusqu’à lancer des projectiles au sein de l’enceinte de la mosquée, provoquant des mouvements de foule incontrôlables.
Tout proche de la maison d’Abraham, et stupéfait par la violence des affrontements, je me réfugie derrière une voiture. J’ai la mauvaise idée de me relever une seconde, pour mesurer le niveau d’avancement des forces israéliennes sur le carrefour. Un instant plus tard, je m’entends crier de douleur. Touché au front par une balle en « caoutchouc », juste au-dessus des yeux. Mon T-shirt blanc est déjà rouge de sang. En fait, ce sont mes oreilles qui ont réagi en premier. J’ai entendu un sifflement atroce, qui m’a vrillé les tympans avant de me clouer sur place.
Et là, comme dans un rêve, je me sens soulever par les deux Palestiniens qui m’entourent derrière cette voiture. C’est presque irréel. Une scène que je n’avais vue que par écran interposé, à Homs où à Gaza. Mais non, c’est à Jérusalem. Et le blessé en sang, hurlant, c’est moi. Je n’ose imaginer ce qui serait advenu si j’étais resté seul derrière cette voiture, sans personne pour m’emmener à l’abri. Je me retrouve sur la terrasse des voisins, aspergé d’eau glacé et entouré par de nombreuses personnes, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, résidents, voisins et manifestants. A coup de prières et de questions incessantes, ils m’empêchent de perdre conscience. Et appellent les secours médicaux.
Nous attendrons néanmoins longtemps l’arrivée de l’ambulancier. Et pour cause : à aucun moment, les forces israéliennes ne réduisent l’intensité des tirs, empêchant les professionnels de santé – pourtant bien visibles avec leur gilet fluorescent – d’accomplir leur mission. Une fois l’ambulancier arrivé, tout s’enchaîne très vite. Un fil m’est cousu dans le front, à la lumière de la terrasse et des téléphones portables. L’ambulancier me soulève, nous remontons dans la rue.
Ici, tout devient flou. Nous traversons le carrefour attenant à la mosquée, passant à quelques mètres des mêmes forces spéciales qui viennent de me tirer dessus. Nous fendons la masse compacte des manifestants. J’entends l’ambulancier prêcher en arabe le calme indispensable à l’évacuation des blessés. Nous sommes à quelques mètres de l’ambulance, protégés par la foule palestinienne des balles des hommes en noir. C’est à ce moment, à notre gauche, qu’un homme s’écroule. Touché à l’arrière du crâne alors qu’il courait vers l’intérieur de Ras al-Amoud, en direction opposée à l’armée israélienne. Le doute n’est donc plus permis : Tsahal vise les visages, et peu importe que les individus fuient la confrontation.
Le blessé est instantanément soulevé par ses camarades. Enfourné en vitesse dans l’ambulance. Ambulance dans laquelle se jette mon médecin, et moi à sa suite. Commence alors un long trajet. Bien trop long. Car les Israéliens bloquent la route menant vers l’hôpital, nous obligeant à faire un long détour pour rejoindre l’établissement le plus proche, sur le mont des Oliviers. Le supplice du blessé, allongé près de moi, est insoutenable. L’homme en appelle à Dieu, crie, se débat. Il est touché à deux endroits : à l’arrière du crâne, et dans le ventre. C’est un calvaire, de plusieurs dizaines de minutes.
Enfin arrivés, l’ambulancier me pousse vers l’entrée. Dans l’hôpital, c’est la cohue. Déjà beaucoup de blessés, la plupart à la tête, alors que cette nuit du Destin vient seulement de commencer. Je suis couché sur un lit, dans une salle où plusieurs personnes me rejoignent à chaque minute. Ma blessure est nettoyée, désinfectée. On me coud de nouveau le crâne, de quatre points de suture cette fois. Terrassé par la douleur et la fatigue, je commence à sombrer.
C’est alors que j’entends des cris. Atroces. D’une intensité incroyable. Un enfant de 10 ans, blessé au cours des affrontements, hurle sa douleur. Les infirmiers peinent à le rassurer, à le réconforter. Lui aussi reçoit plusieurs points de suture. « Au nom de Dieu », lui répètent les docteurs. Rien n’y fait, les invocations de l’enfant se transforment en d’atroces gémissements. Il se calme, enfin, vaincu par les antidouleurs.
Je passe le reste de mon séjour un bandage autour du crâne, me rendant alors mieux compte du traitement que réserve la police israélienne à tous ceux qu’elle soupçonne d’avoir participé à des manifestations. Arrêté à de nombreuses reprises, questionné encore et encore, je commence à comprendre l’enfer quotidien de l’occupation.(...)"
Lettre ouverte à l’homme qui aurait pu tuer mon fils
par Jean-Pierre Filiu, universitaire
Je ne te connais pas. Je sais juste que tu aurais pu tuer mon fils Diego, la nuit du 24 juillet, dans une banlieue orientale de Jérusalem. Alors accorde-moi la liberté de te tutoyer dès notre premier contact.
Diego n’est pour toi qu’une cible sur laquelle tu as tiré. Une seule fois, je te l’accorde. Mais tiré une balle d’acier recouverte de caoutchouc. On appelle cela une « balle de caoutchouc », cela sonne ludique. Cette balle est pourtant faite pour briser les membres et les organes.
Diego a eu de la chance. Un centimètre plus bas, et il perdait son œil gauche. Une trajectoire un brin différente, et son crâne était enfoncé. Diego a eu de la chance, mais toi qui as appuyé sur la détente, tu aurais pu le tuer.
Comme tu ignores tout de cet adolescent sur lequel tu as tiré, sache que Diego faisait un stage bénévole à la Maison d’Abraham, fondée en 1964, à l’initiative du pape Paul VI, pour accueillir des pèlerins nécessiteux. Une force d’occupation
Cette Maison d’Abraham se situe tout en haut de Ras al-Amoud, la colline mitoyenne du mont des Oliviers, avec un panorama splendide sur la ville sainte. En 1967, l’armée israélienne en a expulsé l’armée jordanienne. Cela fait 47 ans que Jérusalem-Est est occupée, tout comme la Cisjordanie et la bande de Gaza.
Tu as beau dire que tu es chez toi à Jérusalem-Est, que tu y as tous les droits, regarde comment tu y viens, casqué et botté, regarde comment tes collègues et toi-même vous y comportez : en force d’occupation. Occupation.
Ce 24 juillet était la 27e journée du mois de ramadan. Pour les musulmans, c’est la « nuit du Destin », la plus importante de ce mois de jeûne, car elle est censée marquer le voyage céleste de leur prophète pour Jérusalem. Je n’y crois pas, et probablement toi non plus, mais le respect de la foi des autres n’a jamais étouffé quiconque.
Ce soir-là, Gaza brûlait depuis déjà deux semaines. Alors ton Etat a décidé d’interdire l’accès à l’esplanade des Mosquées de Jérusalem. Les fidèles ont été refoulés en masse vers Ras al-Amoud. Tu connais la suite, tu y étais. Diego aussi, de retour à la Maison d’Abraham.
Garde un peu de décence, ne me dis pas que tu étais en « légitime défense », personne n’avait d’arme dans le quartier, tu le sais parfaitement. Et ne prétends pas, je t’en prie, que Diego était un « bouclier humain », derrière qui se cachait un « terroriste ».
Le devoir accompli ?
En revanche, j’aimerais que tu m’expliques comment on parvient à ajuster son tir sur un adolescent, à appuyer sur la gâchette, à vérifier que la cible est bien écroulée et, ensuite, à rentrer chez soi avec le sentiment du devoir accompli. Car j’imagine que tu as bien dormi ce soir-là, n’est-ce pas ?
Oui, bien sûr, tu as obéi aux ordres. Je la connais trop bien cette rengaine, on l’a entendue sous le ciel de Jérusalem et bien au-delà, chaque fois qu’un assassin affirmait n’être qu’un exécutant. Mais dis-moi, quelqu’un t’a-t-il soufflé dans l’oreillette l’ordre de tirer sur Diego ? Es-tu un homme ou une machine ?
Quand Diego est tombé, il a été protégé des tirs de tes collègues et de toi-même par le mur des corps de Palestiniens désarmés. Il a dû longtemps attendre l’ambulance pour l’évacuer, car ton unité bloquait l’accès au personnel de santé, pourtant clairement identifié. Et c’est sous vos déflagrations qu’il a reçu les premiers soins et que sa plaie fut cousue à vif. « L’armée la plus morale du monde » ?
Il paraît que vous êtes des « forces spéciales », une formation « d’élite ». Je n’ose imaginer l’entraînement que tu as suivi en vue d’accomplir de telles « missions ». Crois-tu vraiment que tu appartiens à « l’armée la plus morale du monde » ? N’es-tu pas fatigué d’arborer une telle imposture ?
Je serais intéressé de te rencontrer. Intéressé, pas heureux, note bien la différence. Si tu préfères m’écrire, tu mesureras vite que les mots sont parfois plus ardus à manier que les armes.
Tu as évidemment une famille. Tu as peut-être un fils. Si c’est le cas, je souhaite de tout mon cœur qu’il ne croise jamais la route d’un homme qui pourrait ainsi l’ajuster et le tuer. Car c’est ce que tu fis en cette nuit du Destin, et tu l’as fait de sang-froid.
J’ai retrouvé Diego après une éternité d’inquiétude. Sa vie n’est plus entre tes mains, mais ta vie ne dépend plus que de toi. Penses-y la prochaine fois que tu tiendras dans ton viseur un gamin sans défense.
Sincèrement.
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