lundi 17 mars 2014

L’armée "la plus morale du monde"en action.

Dans les deux articles ci-​​dessous, les jour­na­listes attitrés d’HAARETZ Gideon Lévy et Amira Hass ana­lysent un exemple récent de " l’armée la plus morale du monde" en action.
Les Forces de Défense d’Israël pensent que la force brutale est la seule façon d’agir, les Israé­liens refusent encore de voir ce qu’Amnesty Inter­na­tional et d’autres leur disent.
De Gideon Levy | 2 mars 2014
L’armée la plus morale du monde a tiré un missile anti-​​char sur une maison dans laquelle se cachait un jeune Pales­tinien recherché. L’armée la plus morale du monde a fait passer un bull­dozer sur le haut de la maison et l’a détruite.   L’armée la plus morale du monde a utilisé des chiens pour fouiller les ruines. L’armée la plus morale du monde a utilisé une per­ceuse qu’elle appelle une « cocotte-​​minute » -une per­ceuse plutôt dégoû­tante qu’elle a inventée pour son propre usage.   C’est arrivé jeudi dernier (le 27 février), à Bir Zeit en Cis­jor­danie. Les soldats de l’armée la plus morale du monde sont arrivés tôt le matin pour une autre « opé­ration d’arrestation », comme d’autres qui ont lieu chaque nuit et dont vous entendez rarement parler.   Elle consiste à semer la peur dans les vil­lages au milieu de la nuit, en enva­hissant à grand bruit des maisons dont les habi­tants –parmi les­quels des enfants-​​ sont en train de dormir , avec des fouilles bru­tales et des des­truc­tions. Parfois, comme jeudi dernier, cela se termine aussi par la mort.   Tout ceci se produit à un moment où les opé­ra­tions ter­ro­ristes sont très limitées. 
Parfois ces opé­ra­tions sont menées pour une véri­table nécessité opé­ra­tion­nelle, mais parfois aussi comme un entraî­nement de routine pour main­tenir la réac­tivité des soldats et comme une démons­tration de pouvoir tout-​​puissant en direction des habi­tants.   Les Forces de Défense d’Israël ont aussi pour tout cela créé un nom qui vous fait chaud au cœur : l’« Instrument de Dis­lo­cation » - se déchaînant contre une com­mu­nauté de civils dans l’intention de pro­voquer la panique et la crainte et d’en dis­loquer la vie-​​ comme cela a été expliqué une fois devant un tri­bunal mili­taire par l’organisation de défense des droits de l’homme Yesh Din (= Il y a une loi).
A Bir Zeit, c’était pour trois jeunes hommes qui étaient membres du Front Popu­laire de Libé­ration de la Palestine, une orga­ni­sation qui n’est pas par­ti­cu­liè­rement active.
Et même si les cor­res­pon­dants mili­taires se sont pré­ci­pités pour dire, selon leur habitude, que les FDI décla­raient que « les trois avaient l’intention de mener une attaque ter­ro­riste à brève échéance » -oui, l’armée la plus morale du monde est aussi une armée qui devine les intentions-​​ il est douteux qu’ils aient mérité la mort. 
Mais les FDI, pré­tendant qu’il avait un fusil, ont tué Muataz Washaha, qui refusait de se rendre – un assas­sinat dans la troi­sième veille, sans une bombe à retar­dement, et Israël accepte aussi cette his­toire avec ennui. C’est ainsi que l’armée la plus morale du monde agit et qu’elle croit qu’elle doit agir. Il n’y a pas d’autre moyen d’arrêter un jeune homme que de le tuer avec un missile anti-​​char et de détruire la maison de sa famille.
Le hasard a voulu, que, exac­tement le même jour, une opinion pro­fes­sion­nelle ait été publiée sur la vraie moralité des FDI : Amnesty Inter­na­tional a publié un rapport, intitulé « Gâchette facile », dans lequel il a constaté que les soldats des FDI font preuve d’un mépris fla­grant pour la vie humaine, s’exprimant par l’assassinat de dizaines de citoyens pales­ti­niens , y compris des enfants. L’organisation constate qu’il s’agit d’un meurtre inten­tionnel qui est même pro­ba­blement un crime de guerre.
Bien sûr, ceci n’a pas réussi à détruire la croyance enthou­siaste des Israé­liens en la moralité de leur armée. « Allez en Syrie » rétorquent-​​ils fréquemment. 
Le ministre des Affaires étran­gères et les FDI ont expliqué qu’Amnesty Inter­na­tional souffre « d’un manque complet de com­pré­hension des enjeux opérationnels ». 
Et en vérité, que com­prend Amnesty ? A la fin de la semaine der­nière, le régime mili­taire qui gou­verne le Myanmar (Bir­manie) a mis un terme aux acti­vités de l’association Médecins Sans Fron­tières, pour des raisons sem­blables. S’il le pouvait, Israël arrê­terait aussi le travail d’Amnesty et de sem­blables groupes.   Mais un citoyen res­pon­sable n’a pas besoin d’Amnesty Inter­na­tional pour savoir. Il y a deux jours seulement les FDI ont tué une femme à la fron­tière de Gaza, à Khan Younès, après avoir mis en œuvre contre elle un autre pro­tocole –« le Pro­tocole d’Eloignement ». Le meurtre de mani­fes­tants près de la clôture qui étrangle la Bande de Gaza relève du train-​​train habituel –qu’y a-​​t-​​il à rap­porter ? C’est comme les tirs sur les pêcheurs.
En Cis­jor­danie aussi, des mani­fes­tants, des lan­ceurs de pierres, des enfants et des jeunes sont tués par des tirs.   C’est ainsi que l’enfant Wajih Al-​​Ramahi a été abattu à Jalazun, il y a environ deux mois. Il y a deux semaines, B’Tselem –le Centre Israélien d’Information sur les Droits de l’Homme dans les Ter­ri­toires Occupés a publié ses conclu­sions d’autopsie : Ramahi a été atteint dans le dos par un tir, d’une dis­tance de 200 mètres.   Cela a aussi été le sort du jeune Samir Awad de Budros, et de dizaines d’autres per­sonnes tuées, qui ne mena­çaient la vie de qui­conque et qui ont été visées mor­tel­lement par quelqu’un à la gâchette facile et mourant de façon effrayante sans raison.   Per­sonne n’est passé en jugement pour ces actes meur­triers. Dans le cas d’Awad, qui a été atteint dans le dos lors d’un guet-​​apens, un dossier a été constitué sur sa mort, que le pro­cureur mili­taire a laissé se couvrir de pous­sière pendant plus d’un an.   Et tout ceci de la part de l’armée la plus morale du monde. Essayez seulement de contester cela. Essayez seulement d’affirmer que les FDI sont la seconde armée la plus morale du monde –disons, après l’armée du Luxembourg..  
Le meurtre gratuit d’un militant pales­tinien par des soldats israé­liens : était-​​il pas­sible de mort ? Une unité d’élite a abattu un militant pales­tinien en lui tirant dessus à bout portant des dizaines de fois. Il avait reçu une citation à com­pa­raître et avait négligé de se pré­senter. Quelle devait être la peine ?
De Amira Hass 3 mars 2014 .
 Si la consigne était d’augmenter la pression, la prise de contrôle du village de Bir Zeit jeudi dernier par l’unité Yamam de contre-​​terrorisme et la brigade d’infanterie Nahal a sûrement été un pas dans la bonne direction. Les forces israé­liennes ont tué Muataz Washaha, un militant de 24 ans du Front Popu­laire de Libé­ration de la Palestine. Ses funé­railles ven­dredi ont été bouillantes, de la lave bouillon­nante, cher­chant à jaillir d’une cre­vasse.   Si la consigne était d’embarrasser les diri­geants de l’Autorité Pales­ti­nienne et d’augmenter l’hostilité à leur égard, l’attaque –par 200 soldats, un officier du nom d’Alon des ser­vices de sécurité du Shin Bet, de dizaines de jeeps et deux bulldozers-​​ a été incroya­blement cou­ronné de succès.   Les res­pon­sables de haut rang de l’AP ont eu la sagesse d’éviter les funé­railles de masse, où le service de sécurité pales­tinien a poussé les cris de : « assez des traîtres », « assez des négo­cia­tions », « assez de la coopé­ration sécu­ri­taire ». C’étaient quelques-​​uns des slogans les plus polis.   Les par­ti­ci­pants au cortège funé­raire ont demandé : « où étaient les ser­vices de sécurité pales­ti­niens quand l’ennemi a envahi notre village et a tué Washaha ? » et « Combien de temps pour que les diri­geants pales­ti­niens fassent des excuses pour leurs gains maté­riels per­sonnels en échange de la pré­ser­vation du statu quo ? » 
Si le génie anonyme à l’origine de l’attaque voulait prouver que les Pales­ti­niens –Musulmans et Chré­tiens, reli­gieux et laïcs-​​ consti­tuent tous un seul peuple sous la botte israé­lienne, il a réussi. La famille Washaha est une des six familles ori­gi­nelles de Bir Zeit. C’est l’une des deux familles fon­da­trices musul­manes ; les quatre autres sont chré­tiennes.   Lors du cortège funé­raire, qui est passé près des mos­quées et des églises, il n’y avait pas moyen de dire qui était qui. Le cime­tière où a été enterré Washaha est proche du centre de la vieille ville. La vieille maison de pierre de sa famille se situe là, preuve des racines pro­fondes et de l’attachement naturel à cet endroit. 
Si le brillant stratège à l’origine de l’opération avait l’intention de détruire, en cinq heures, les éco­nomies de la vie d’une famille de tra­vailleurs pales­ti­niens, accu­mulées au cours de 30 ou 40 ans, il devrait être rede­vable d’une appro­bation par­ti­cu­lière. Quand le centre de l’ancien village est devenu sur­peuplé, les familles, y compris les Washaha, ont construit des maisons sur leurs terres entourant le village. 
La roquette anti-​​char de faible calibre, tirée par les héroïques soldats israé­liens, a touché l’appartement de Tha’er Washaha , le frère de Muataz. Elle a tout détruit à l’intérieur. L’appartement était à un étage ajouté récemment à la petite maison que la famille a construite, il y a plu­sieurs décennies.
Un bull­dozer de l’armée a abattu les murs que la roquette n’avait pas réussi à détruire. En allant vers la maison, le bull­dozer a déraciné un arbre. Un second bull­dozer a avancé vers la petite maison voisine où les parents des frères habi­taient avec leurs autres enfants. 
Protégé par de cou­rageux soldats en armes, le bull­dozer a pour la gloire de l’Etat d’Israël détruit les murs, alors que la famille était en train de regarder. Les nou­veaux piliers de construction sur le toit montrent que Muataz Washaha était fiancé et avait com­mencé à construire sa demeure au-​​dessus de l’appartement de ses parents. Puis nos cou­rageux soldats ont tiré des gre­nades sur la maison, qui l’ont incendiée et remplie de fumée.   Si nos excel­lents garçons vou­laient prouver que les médias israé­liens sont loyaux et dociles, ils peuvent aussi pointer cela sur une de leurs listes. Les porte-​​parole mili­taires ont décrit un « individu recherché qui s’était bar­ricadé lui-​​même à l’intérieur », donc nous avons pensé qu’il avait construit une for­te­resse et s’était ceint d’explosifs.
Ceci est très inexact. Tha’er Washaha a déclaré à Haaretz qu’il avait imploré Alon, l’officier du Shin Bet qui avait arrêté Tha’er pour mili­tan­tisme dans le passé, de pouvoir rentrer pour convaincre son frère de sortir. Alon a refusé. Leur mère a raconté aux jour­na­listes qu’elle avait aussi demandé à Alon de pouvoir parler à son fils que cela lui avait été refusé.
« Les soldats sont entrés dans le bâtiment par la force et ont trouvé son corps » -cela était la ligne dictée par le Bureau du Porte-​​Parole des FDI. C’est un men­songe. Quand l’appartement a été incendié, des pom­piers pales­ti­niens se sont approchés de la maison, défiant les soldats qui ont essayé de leur bloquer le passage. Deux pom­piers ont éteint les flammes de l’extérieur. Puis ils sont entrés, tandis que nos fusils étaient pointés sur eux –pour éteindre les flammes qu’ils ne pou­vaient atteindre de l’extérieur.
Selon les pom­piers, les soldats ont menacé de les abattre s’ils sor­taient à trois au lieu de deux. Dans la maison, les pom­piers ont trouvé Washaha sain de corps et d’esprit. Il leur a dit qu’il n’avait pas l’intention de quitter la maison quoi qu’il arrive.   Les pom­piers sont partis et les soldats de Yamam sont entrés, habillés en noir, le visage masqué. Le quartier résonnait du bruit des tirs venant de l’intérieur de la maison.    Quand les hommes de Yamam, de Nahal et du Shin Bet se sont retirés, les membres de la famille se sont pré­ci­pités dans la maison. L’unité d’élite de la police avait tiré des dizaines de fois à bout portant sur Washaha si l’on en juge par les frag­ments de cer­velle qui jon­chaient la pièce, sans men­tionner les jambes, les bras et les doigts presque sec­tionnés du corps.
Il avait reçu du Shin Bet une citation à com­pa­raître et avait négligé » de se pré­senter. un grave crime pas­sible de mort ? Peut-​​être l’officier enquêteur avait-​​il été offensé ? Washaha avait préparé une attaque ter­ro­riste, déclarent les Israé­liens. Selon le manuel de bonne conduite des médias israé­liens, tout ce que disent les sources des ser­vices de sécurité israé­liens est vrai.   Selon le code de loi non-​​officiel israélien, des « inten­tions ter­ro­ristes » non prouvées suf­fisent pour être pas­sible de mort. En hébreu, « attaque ter­ro­riste » est une phrase magique qui exempte les Israé­liens d’avoir à se demander pourquoi une arres­tation demande autant de soldats et de son­neries de trom­pette et se termine par une fin si meurtrière.
(traduit de l’anglais par Y. Jardin)