Dans les deux articles ci-dessous, les journalistes attitrés d’HAARETZ Gideon Lévy et Amira Hass analysent  un exemple récent de " l’armée la  plus morale du monde" en action.
Les Forces de Défense d’Israël pensent que la force brutale est la seule façon d’agir, les Israéliens refusent encore de voir ce qu’Amnesty International et d’autres leur disent.
Les Forces de Défense d’Israël pensent que la force brutale est la seule façon d’agir, les Israéliens refusent encore de voir ce qu’Amnesty International et d’autres leur disent.
   
   De Gideon Levy | 2 mars 2014
L’armée la plus morale du monde a tiré un missile anti-char sur une
 maison dans laquelle se cachait un jeune Palestinien recherché. 
L’armée la plus morale du monde a fait passer un bulldozer sur le haut 
de la maison et l’a détruite.
 
L’armée la plus morale du monde a utilisé des chiens pour fouiller les 
ruines. L’armée la plus morale du monde a utilisé une perceuse qu’elle 
appelle une « cocotte-minute » -une perceuse plutôt dégoûtante 
qu’elle a inventée pour son propre usage. 
 
C’est arrivé jeudi dernier (le 27 février),
 à Bir Zeit en Cisjordanie. Les soldats de l’armée la plus morale du 
monde sont arrivés tôt le matin pour une autre « opération 
d’arrestation », comme d’autres qui ont lieu chaque nuit et dont vous 
entendez rarement parler.
 
Elle consiste à semer la peur dans les villages au milieu de la nuit, 
en envahissant à grand bruit des maisons dont les habitants –parmi 
lesquels des enfants- sont en train de dormir , avec des fouilles 
brutales et des destructions. Parfois, comme jeudi dernier, cela se 
termine aussi par la mort.
 
Tout ceci se produit à un moment où les opérations terroristes sont 
très limitées. 
Parfois ces opérations sont menées pour une véritable nécessité 
opérationnelle, mais parfois aussi comme un entraînement de routine 
pour maintenir la réactivité des soldats et comme une démonstration 
de pouvoir tout-puissant en direction des habitants.
 
Les Forces de Défense d’Israël ont aussi pour tout cela créé un nom qui 
vous fait chaud au cœur : l’« Instrument de Dislocation » - se 
déchaînant contre une communauté de civils dans l’intention de 
provoquer la panique et la crainte et d’en  disloquer la vie- comme 
cela a été expliqué une fois devant un tribunal militaire par 
l’organisation de défense des droits de l’homme Yesh Din (= Il y a 
une loi).
A Bir Zeit, c’était pour trois jeunes hommes qui étaient membres du 
Front Populaire de Libération de la Palestine, une organisation qui 
n’est pas particulièrement active.
Et même si les correspondants militaires se sont précipités pour dire, selon leur habitude, que les FDI
 déclaraient que « les trois avaient l’intention de mener une attaque 
terroriste à brève échéance » -oui, l’armée la plus morale du monde 
est aussi une armée qui devine les intentions- il est douteux qu’ils 
aient mérité la mort. 
Mais les FDI, prétendant qu’il avait un 
fusil, ont tué Muataz Washaha, qui refusait de se rendre – un 
assassinat dans la  troisième veille, sans une bombe à retardement, 
et Israël accepte aussi  cette histoire avec ennui.  
C’est ainsi que l’armée la plus morale du monde agit et qu’elle croit 
qu’elle doit agir. Il n’y a pas d’autre moyen d’arrêter un jeune homme 
que de le tuer avec un missile anti-char et de détruire la maison de 
sa famille.
Le hasard a voulu, que, exactement le même jour, une opinion professionnelle ait été publiée sur la vraie moralité des FDI : Amnesty International a publié un rapport, intitulé « Gâchette facile », dans lequel il a constaté que les soldats des FDI
 font preuve d’un mépris flagrant pour la vie humaine, s’exprimant par 
l’assassinat de dizaines de citoyens palestiniens , y compris des 
enfants. L’organisation constate qu’il s’agit d’un meurtre intentionnel
 qui est même probablement un crime de guerre.
Bien sûr, ceci n’a pas réussi à détruire la croyance enthousiaste 
des Israéliens en la moralité de leur armée. « Allez en Syrie » 
rétorquent-ils fréquemment. 
Le ministre des Affaires étrangères et les FDI ont expliqué qu’Amnesty International souffre « d’un manque complet de compréhension des enjeux opérationnels ». 
Et en vérité, que comprend Amnesty ? A la fin de la semaine 
dernière, le régime militaire qui gouverne le Myanmar (Birmanie) 
a mis un terme aux activités de l’association Médecins Sans 
Frontières, pour des raisons semblables. S’il le pouvait, Israël 
arrêterait aussi le travail d’Amnesty et de semblables groupes.
 
Mais un citoyen responsable n’a pas besoin d’Amnesty International 
pour savoir. Il y a deux jours seulement les FDI
 ont tué une femme à la frontière de Gaza, à Khan Younès, après avoir 
mis en œuvre contre elle un autre protocole –« le Protocole 
d’Eloignement ». Le meurtre de manifestants près de la clôture qui 
étrangle la Bande de Gaza relève du train-train habituel –qu’y 
a-t-il à rapporter ? C’est comme les tirs sur les pêcheurs.
En Cisjordanie aussi, des manifestants, des lanceurs de pierres,
 des enfants et des jeunes sont tués par des tirs.
 
C’est ainsi que l’enfant Wajih Al-Ramahi a été abattu à Jalazun, il 
y a environ deux mois. Il y a deux semaines, B’Tselem –le Centre 
Israélien d’Information sur les Droits de l’Homme dans les Territoires
 Occupés a publié ses conclusions d’autopsie : Ramahi a été atteint 
dans le dos par un tir, d’une distance de 200 mètres.
 
Cela
 a aussi été le sort du jeune Samir Awad de Budros, et de dizaines 
d’autres personnes tuées, qui ne menaçaient la vie de quiconque et 
qui ont été visées mortellement par quelqu’un à la gâchette facile et 
mourant de façon effrayante sans raison.
 
Personne n’est passé en jugement pour ces actes meurtriers. Dans le 
cas d’Awad, qui a été atteint dans le dos lors d’un guet-apens, un 
dossier a été constitué sur sa mort, que le procureur militaire 
a laissé se couvrir de poussière pendant plus d’un an.
 
Et tout ceci de la part de l’armée la plus morale du monde. Essayez 
seulement de contester cela. Essayez seulement d’affirmer que les FDI sont la seconde armée la plus morale du monde –disons, après l’armée du Luxembourg..
 
Le meurtre gratuit d’un militant palestinien par des soldats 
israéliens : était-il passible de mort ?
Une unité d’élite a abattu un militant palestinien en lui tirant dessus
 à bout portant des dizaines de fois. Il avait reçu une citation 
à comparaître et avait négligé de se présenter. Quelle devait être 
la peine ?
De Amira Hass  3 mars 2014 .
 Si la consigne était d’augmenter la pression, la prise de contrôle 
du village de Bir Zeit jeudi dernier par l’unité Yamam de 
contre-terrorisme et la brigade d’infanterie Nahal a sûrement été un 
pas dans la bonne direction. Les forces israéliennes ont tué Muataz 
Washaha, un militant de 24 ans du Front 
Populaire de Libération de la Palestine. Ses funérailles vendredi 
ont été bouillantes, de la lave bouillonnante, cherchant à jaillir 
d’une crevasse.
 
Si la consigne était d’embarrasser les dirigeants de l’Autorité 
Palestinienne et d’augmenter l’hostilité à leur égard, l’attaque –par 200
 soldats, un officier du nom d’Alon des services de sécurité du Shin 
Bet, de dizaines de jeeps et deux bulldozers- a été incroyablement 
couronné de succès.
 
Les responsables de haut rang de l’AP ont eu
 la sagesse d’éviter les funérailles de masse, où le service de 
sécurité palestinien a poussé les cris de : « assez des traîtres », 
« assez des négociations », « assez de la coopération 
sécuritaire ». C’étaient quelques-uns des slogans les plus polis.
 
Les participants au cortège funéraire ont demandé : « où étaient les
 services de sécurité palestiniens quand l’ennemi a envahi notre 
village et a tué Washaha ? » et « Combien de temps pour que les 
dirigeants palestiniens fassent des excuses pour leurs gains 
matériels personnels en échange de la préservation du statu quo ? » 
Si le génie anonyme à l’origine de l’attaque voulait prouver  que les
 Palestiniens –Musulmans et Chrétiens, religieux et laïcs- 
constituent tous un seul peuple sous la botte israélienne, il 
a réussi. La famille Washaha est une des six familles originelles de 
Bir Zeit. C’est l’une des deux familles fondatrices musulmanes ; les 
quatre autres sont chrétiennes.
 
Lors du cortège funéraire, qui est passé près des mosquées et des 
églises, il n’y avait pas moyen de dire qui était qui. Le cimetière où 
a été enterré Washaha  est proche du centre de la vieille ville. La 
vieille maison de pierre de sa famille se situe là, preuve des racines 
profondes et de l’attachement naturel à cet endroit. 
Si le brillant stratège à l’origine de l’opération avait l’intention 
de détruire, en cinq heures, les économies de la vie d’une famille de 
travailleurs palestiniens, accumulées au cours de 30 ou 40
 ans, il devrait être redevable d’une approbation particulière. 
Quand le centre de l’ancien village est devenu surpeuplé, les familles,
 y compris les Washaha, ont construit des maisons sur leurs terres 
entourant le village. 
La roquette anti-char de faible calibre, tirée par les héroïques 
soldats israéliens, a touché l’appartement de Tha’er Washaha , le frère
 de Muataz. Elle a tout détruit à l’intérieur. L’appartement était à un 
étage ajouté récemment à la petite maison que la famille a construite, 
il y a plusieurs décennies.
Un bulldozer de l’armée a abattu les murs que la roquette n’avait 
pas réussi à détruire. En allant vers la maison, le bulldozer 
a déraciné un arbre. Un second bulldozer a avancé vers la petite maison
 voisine où les parents des frères habitaient avec leurs 
autres enfants. 
Protégé par de courageux soldats en armes, le bulldozer a pour la 
gloire de l’Etat d’Israël détruit les murs, alors que la famille était 
en train de regarder. Les nouveaux piliers de construction sur le toit 
montrent que Muataz Washaha était fiancé et avait commencé à construire
 sa demeure au-dessus de l’appartement de ses parents. Puis nos 
courageux soldats ont tiré des grenades sur la maison, qui l’ont 
incendiée et remplie de fumée.   
 
Si nos excellents garçons voulaient prouver que les médias israéliens
 sont loyaux et dociles, ils peuvent aussi pointer cela sur une de leurs
 listes. Les porte-parole militaires ont décrit un « individu 
recherché qui s’était barricadé lui-même à l’intérieur », donc nous 
avons pensé qu’il avait construit une forteresse et s’était 
ceint d’explosifs.
Ceci est très inexact. Tha’er Washaha a déclaré à Haaretz qu’il avait
 imploré Alon, l’officier du Shin Bet qui avait arrêté Tha’er pour 
militantisme dans le passé, de pouvoir rentrer pour convaincre son 
frère de sortir. Alon a refusé. Leur mère a raconté aux journalistes 
qu’elle avait aussi demandé à Alon de pouvoir parler à son fils que cela
 lui avait été refusé.
« Les soldats sont entrés dans le bâtiment par la force et ont trouvé
 son corps » -cela était la ligne dictée par le Bureau du Porte-Parole
 des FDI. C’est un mensonge. Quand 
l’appartement a été incendié, des pompiers palestiniens se sont 
approchés de la maison, défiant les soldats qui ont essayé de leur 
bloquer le passage. Deux pompiers ont éteint les flammes  de 
l’extérieur. Puis ils sont entrés, tandis que nos fusils étaient pointés
 sur eux –pour éteindre les flammes qu’ils ne pouvaient atteindre 
de l’extérieur.
Selon les pompiers, les soldats ont menacé de les abattre s’ils 
sortaient à trois au lieu de deux. Dans la maison, les pompiers ont 
trouvé Washaha sain de corps et d’esprit. Il leur a dit qu’il n’avait 
pas l’intention de quitter la maison quoi qu’il arrive.
 
Les pompiers sont partis et les soldats de Yamam sont entrés, habillés 
en noir, le visage masqué. Le quartier résonnait du bruit des tirs 
venant de l’intérieur de la maison. 
 
Quand les hommes de Yamam, de Nahal et du Shin Bet se sont retirés, les 
membres de la famille se sont précipités dans la maison. L’unité 
d’élite de la police avait tiré des dizaines de fois à bout portant sur 
Washaha si l’on en juge par les fragments de cervelle qui jonchaient 
la pièce, sans mentionner les jambes, les bras et les doigts presque 
sectionnés du corps.
Il avait reçu du Shin Bet une citation à comparaître et avait 
négligé » de se présenter. un grave crime passible de mort ? 
Peut-être l’officier enquêteur avait-il été offensé ? Washaha avait 
préparé une attaque terroriste, déclarent les Israéliens. Selon le 
manuel de bonne conduite des médias israéliens, tout ce que disent les 
sources des services de sécurité israéliens est vrai.
 
Selon le code de loi non-officiel israélien, des « intentions 
terroristes » non prouvées suffisent pour être passible de mort. En 
hébreu, « attaque terroriste » est une phrase magique qui exempte les 
Israéliens d’avoir à se demander pourquoi une arrestation demande 
autant de soldats et de sonneries de trompette et se termine par une 
fin si meurtrière.
(traduit de l’anglais par Y. Jardin)