mercredi 22 juin 2011

La reconstruction à Gaza, un rêve qui prend corps

21/6/11
Malgré la pauvreté et le blocus israélien, Gaza a réussi à masquer les cicatrices des bombardements de la guerre lancée par l’État hébreu à la fin de 2008. On ne voit plus de bâtiments en ruines dans l’enclave palestinienne, sauf dans les quartiers est de la ville de Gaza et à Beit Hanoun, dans le nord, les plus durement touchés durant l’opération « Plomb durci ». Les maisons détruites ont été déblayées, les arbustes et les plantes repoussent.
Une amélioration de façade, car, plus de deux ans après la guerre, la reconstruction de Gaza commence tout juste à s’esquisser. L’ office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) évalue les besoins de construction à 60 000 logements, pour remplacer les maisons détruites et pourvoir à la croissance naturelle de la population. 
« On compte près de 300 000 mal-logés ou sans logement en raison du blocus, détaille Sébastien Trives, directeur adjoint des opérations de l’UNRWA. S’y ajoutent 20 000 réfugiés, qui vivent sous des tentes ou bénéficient de notre aide au logement. »
Organiser des élections
La reconstruction de Gaza, en jachère ces deux dernières années sur fond de division palestinienne, redevient une priorité pour l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas, qui ne contrôle que la Cisjordanie. 
Au printemps, les frères ennemis palestiniens, le Fatah de Mahmoud Abbas et le Hamas, mouvement islamiste au pouvoir à Gaza, ont conclu un accord de réconciliation, avec à la clé la formation d’un nouveau gouvernement de « technocrates » indépendants. Ses missions : rebâtir Gaza et organiser des élections.
Si la nomination du gouvernement tarde, les hommes d’affaires de Gaza et de Ramallah sont à pied d’œuvre. « À Gaza, il ne faut pas seulement faire pousser des immeubles, il faut reconstruire les vies et faire de cette enclave un lieu agréable », prévient Usama Kuheil, président de l’Union des constructeurs palestiniens. 
Projet de métro de huit stations
Originaire de Gaza, il partage sa semaine entre les deux territoires palestiniens. Son projet phare est un métro souterrain qui circulerait de Rafah, dans le sud, à Beit Hanoun dans le nord, soit une quarantaine de kilomètres. L’omnibus suivrait l’ancienne ligne de chemin de fer ottomane et desservirait huit stations, transportant 200 000 usagers par jour.
« Notre projet, soutenu par l’entourage du président Abbas, permettrait à la population de se déplacer sans que le réseau empiète sur la terre, qui manque à Gaza, créerait des emplois et limiterait la pollution. Israël y trouverait son compte, la galerie du métro limitant la possibilité de creuser des tunnels dans la bande de Gaza », explique l’homme d’affaires. L’ouvrage pourrait, à plus long terme, être prolongé jusqu’à Hébron, et réunir la Cisjordanie et Gaza.
L’homme clé de la reconstruction à Gaza, Mohammad Mustafa, conseiller économique de Mahmoud Abbas et président du Fonds d’investissement palestinien, confirme ces grands projets. « Avec la réconciliation, la donne a changé. » L’engagement pèse d’autant plus que l’homme est sur la liste des « premier-ministrables » du futur gouvernement, et qu’il s’apprête à lancer deux fonds, l’un de 70,4 millions d’euros pour les PME de Gaza, et l’autre de 70 millions d’euros pour la construction d’écoles, d’hôpitaux, d’infrastructures, de transport et pour la fourniture d’énergie.
Le blocus entrave la reconstruction
Le rapprochement interpalestinien à peine entériné, le conseiller de Mahmoud Abbas s’est rendu à Gaza en compagnie d’hommes d’affaires de Ramallah. Les milieux économiques veulent croire que, à terme, les investisseurs des pays arabes et les Palestiniens de la diaspora seront au rendez-vous. Ils misent aussi sur les fonds promis à la conférence de Charm-El-Cheikh, en 2009, par les pays donateurs, soit 3,16 milliards d’euros.
Dans son modeste bureau mal aéré, le président de l’Association des hommes d’affaires de Gaza, Ali El Haik, prévient toutefois que « Gaza ne sera pas reconstruite si Israël maintient son blocus » et interpelle la communauté internationale pour qu’elle exerce des pressions sur l’État hébreu. 
Israël a commencé à lâcher du lest l’été dernier. Depuis, les organisations internationales peuvent importer des matériaux de construction israéliens, sous contrôle très strict et en quantités limitées. L’UNRWA a soumis l’an dernier aux autorités israéliennes un plan pour bâtir une centaine d’écoles et plus de 10 000 logements. Le feu vert n’a été accordé que pour 24 écoles et 448 maisons.
Les matériaux passent par les tunnels
Le blocus continue donc de faire les beaux jours des tunnels de contrebande, creusés à la frontière avec l’Égypte. Depuis l’allègement du blocus sur les produits de consommation courante, ce sont essentiellement des matériaux de construction qui passent. 
Et la hausse des volumes – 2 000 tonnes de gravier par jour en moyenne – a fait chuter les prix en quelques mois. « Les particuliers qui en ont les moyens reconstruisent, et le gouvernement du Hamas est en train de bâtir 1 000 maisons pour les réfugiés, alors que c’est de notre responsabilité, constate avec amertume Sébastien Trives, de l’UNRWA. Nous ne pouvons pas utiliser les matériaux entrés illégalement par les tunnels, les réfugiés qui attendent depuis plusieurs années leurs maisons commencent à mettre en doute notre bonne foi. Le blocus joue contre nous. »
À quelques mètres de la sortie des tunnels, se dresse le terminal de Rafah. Une arche en béton fermée par une grille, à la frontière entre Gaza et l’Égypte. Depuis le 28 mai, Le Caire a rouvert officiellement, et de façon permanente, le point de passage de Rafah pour les piétons. L’étau se desserre à Gaza, même si la grande confusion dans l’organisation du passage de la frontière et le manque de coordination entre l’Égypte et l’enclave palestinienne ont déjà créé de profondes frustrations. 
Les entrepreneurs de Gaza espèrent que les marchandises passeront aussi bientôt par le terminal. « Mais, prévient l’un d’eux, Rafah ne suffira jamais à approvisionner Gaza. Notre territoire a également besoin des six points de passage commerciaux avec Israël, qui ne doit pas se défausser sur l’Égypte. » 
VÉRONIQUE CHOCRON 
Lien