lundi 28 mars 2011

Ce sont les dissidents israéliens qui sauvent le pays

publié le dimanche 27 mars 2011
Gideon Levy

 
Imaginez un Israël qui serait différent aux yeux du monde.
Pas de B’Tselem, de Briser le Silence (Breaking the Silence), d’Anarchistes contre le mur (Anarchists Against the Fence,) pas de Gush Shalom. Il n’y aurait pas de New Israel Fund et pas de petits groupes de radicaux ni d’intellectuels et journalistes critiques.
Imaginez un différent Israël, qui contraigne toutes ces voix au silence et les écrase. Imaginez quelle image cela donnerait au monde. Le peu de sympathie dont Israël bénéficie encore, c’est à ces groupes qu’il la doit.
La campagne de délégitimation contre Israël, la seule vraie et celle qu’on invente, on la doit à Avigdor Lieberman et Israel Beiteinu, à Benjamin Netanyahou et au déferlement de lois anti- démocratiques venant de ses amis et de Kadima, on la doit aux Forces de Défense d’Israël, incontrôlées, et aux colons qui ne connaissent pas de limites.
Une seule journée de l’opération Plomb durci a fait plus de dégâts pour Israël que tous les articles critiques pris ensemble ; l’attaque mortelle contre le Mavi Marmara en route vers Gaza a détérioré l’image d’Israël plus que toutes les conférences contre Israël prises ensemble ; la loi sur la Nakba révolte plus que toutes les pétitions.
L’intensification des initiatives pour boycotter, mettre à nu et ostraciser Israël est née des images de Gaza et des scènes prises sur le Marmara. Le fait que des Israéliens se soient ralliés aux critiques est à imputer à l’affaiblissement du crédit d’Israël dans les universités aux Etats-Unis, dans le monde universitaire en Europe et dans les journaux américains et européens. Imaginez ce à quoi Israël ressemblerait sans eux : la Corée du Nord.
Les ambassadeurs du gouvernement et ses zélateurs ont bien du mal à persuader qui que ce soit au monde, sauf eux-mêmes. Ceux qui détruisent la démocratie israélienne ne savent qu’alimenter toujours davantage le feu qui brûle contre eux. Les voix critiques qu’on entend encore, avec une liberté qui commande le respect, attirent l’estime du reste du monde. Maintenant ce sont les dissidents qui expliquent le mieux Israël lequel continue à porter la responsabilité de son régime.
Il y a quinze jours environ, j’étais invité à la Semaine du livre juif à Londres, suite à la publication en anglais de mon livre "La punition de Gaza" (the Punishment of Gaza). La communauté juive bien pensante de Grande Bretagne menaça de boycotter l’événement, les organisateurs envisagèrent d’engager des gardes de sécurité et environ 500 personnes, essentiellement des juifs modérés, emplirent la salle, qui posèrent des questions et surtout, avec modestie, m’exprimèrent leur grande sympathie. Je me suis exprimé, comme toujours, contre l’ occupation, les injustices et le dégât que cela cause à Israël et aux Palestiniens, contre les attaques à l’encontre de la démocratie israélienne, comme je l’ai fait dans les centaines d’articles qui ont été publiés dans Haaretz en hébreu et en anglais, et comme je l’ai fait à la London School of Economics ou à Trinity University à Dublin.
Comme en d’autres occasions, un "espion" de l’Ambassade d’Israël fut dépêché à Trinity – cette fois, un étudiant israélien à qui on a demandé de noter ce que je disais et de le rapporter à l’ambassade. Celle ci envoya rapidement un rapport au ministère des Affaires étrangères à Jérusalem, lequel ministère le communiqua rapidement à un journal bien connu. Celui-ci publia seulement mes propos les plus durs, hors contexte – et voilà : vous avez là la mise en accusation d’un dissident. Il est possible d’ignorer la manière dont l’ambassade espionne les journalistes, qui évoque de sombres régimes. Je serais content de voir à mes conférences un représentant du gouvernement qui n’y serait pas incognito, s’il y trouvait un intérêt. Mais il est impossible d’ignorer le message que transmet une telle conduite – celui d’une chasse aux sorcières contre un journaliste dont les opinions diffèrent de la ligne du parti.
Dans ce monde de nouvelles technologies, il n’y a plus de différence entre ce qui est écrit et ce qui est dit ici ou là. Dans ce monde nouveau, hostile à Israël pour l’essentiel, il y a du sens à ce que des voix alternatives s’élèvent en provenance d’Israël, des voix autres que les voix officielles, menaçantes et dangereuses. Ces voix sont celles des véritables patriotes d’Israël, qui ont peur pour son avenir et sont soucieux de son image bien plus que les gens qui menacent de les faire taire.
Les dissidents n’ont pas besoin de s’excuser devant leur pays pour quoi que ce soit. Leur pays leur doit beaucoup : ils sont la force qui sauve son image aux yeux du monde. "Ceux qui te détruisent et te ravagent vont s’en aller ?" (Isaiah 49:17 ) Eh bien oui, vraiment. Netanyahou et Lieberman, les législateurs de droite et les instigateurs du nationalisme et du racisme, les jeunes des sommets [1] et les indifférents de Tel-Aviv. Demandez à (presque) n’importe quel intellectuel européen ou américain.
[1] les « implantations » sauvages commencent par l’installation d’une ou quelques caravanes au sommet d’une colline, endroit stratégique de contrôle et de défense, avant de s’étendre et de devenir une colonie, illégale bien sûr, comme toutes les autres, « autorisées par le gouvernement israélien ou pas.
publié par Miftah
traduction et note : C. Léostic, Afps