lundi 28 février 2011

ONG-isation

publié le dimanche 27 février 2011
R. Abu Youssef

 
OPINION :
Comment ils veulent tuer la classe révolutionnaire
Depuis l’arrivée de l’Autorité la société palestinienne s’est divisée en plusieurs classes sociales.
  La classe de grands fonctionnaires ou bien les « mercenaires" de l’Autorité, très riches. Cette richesse vient normalement à cause d’une longue histoire de corruption, ces fonctionnaires possèdent maintenant des fortunes et des entreprises dans les pays étrangers, car pour eux la situation n’est pas stable en Palestine et c’est risqué.
  L’autorité nous parle parfois d’une campagne anticorruption mais ce n’était toujours qu’une histoire de collision des intérêts entre les différents corrompus.
  La classe de fonctionnaires normaux. Avant l’arrivée de Fayad, premier ministre depuis 2008, ces fonctionnaires touchaient de très mauvais salaires et ils protestaient des fois, mais aujourd’hui les salaires sont relativement meilleurs, sauf que ces gens se trouvent obligés d’emprunter de l’argent aux banquiers, car il faut acheter sa belle voiture et construire sa belle maison "puisque la banque est très gentille avec eux !" De cette façon là, on ne pense qu’à rembourser les banques, sans aucune protestation ; même si l’on est plus pauvre qu’avant. C’est la première leçon de l’économie libérale de Fayad : "augmentons les impôts, améliorons les salaires, facilitons les conditions des prêts bancaires, conséquence : les fonctionnaires ne pensent plus et ils n’ont plus d’intelligence collective.
  Les ouvriers, les paysans, chauffeurs etc., ces gens là souffrent beaucoup, leurs conditions de vie changent tout le temps, dépend de la situation politique, ils n’ont pas de revenus stables, ils courent tout le temps pour pouvoir assurer de quoi manger pour leurs familles, il leur manque l’organisation. Le syndicat qui représente les ouvriers par exemple est dirigé par un groupe nommé par les partis politiques, selon un quota convenu par tout le monde évidemment sauf les ouvriers. Nos syndicalistes sont payés par leurs patrons.
  En arabe et en anglais on l’appelle NGO, en français ONG, mais nous avons inventé un nouveau mot NGO-isation, en Palestine on ne fait pas la différence entre les ONG, les organisations, les associations et coopératives, ce sont les mêmes puisque elles ont les mêmes objectifs —"évidemment pas toutes mais la majorité". Ces objectifs sont liés à la présence de beaucoup d’organisations étrangères qui sont prêtes à financer les ONG palestiniennes, elles sont capables à payer de million de dollars pour les salaires des fonctionnaires qui deviennent une classe sociale assez riche, elles sont aussi prêtes à financer des projets culturels, sportifs, projets de construction des rues, des écoles et tous les projets qu’on peut imaginer, sauf les projets qui rendent les ONG et la société palestinienne indépendantes de leurs financeurs. Les organisations américaines par exemple financent les projets de construction de très belles routes (merci aux Américains pour l’asphalte. En arabe le mot asphalte est le "Zéfte" et le Zéfte est aussi une insulte), sans leur demander : « c’est quoi le prix ? ».
Ce qui est dangereux c’est que ces ONG ont étés fondées par les partis politiques palestiniens, surtout les partis de la gauche, chaque parti a ses ONG, les directeurs, ses secrétaires et les salariés ont adhéré au parti. On entend parfois deux points de vue politiques contradictoires, déclarés par deux responsables du même parti, le premier pense à la politique des financeurs (" il ne faut pas les fâcher"), l’autre c’est sa culture et son éducation révolutionnaire qui s’expriment. Il arrive des fois qu’un directeur d’une ONG quitte son parti en fondant un nouveau parti "démocratique, socialiste, libéral, national, international, qui respecte les droit des femmes, etc.". Sa base populaire c’est ses salariés.
Le pire c’est quand ils organisent des manifs contre le mur ou contre la colonisation, ou bien comme c’est le cas cette année quand la cueillette des olives devient à la mode, les responsables ou les directeurs ou les chefs "toujours avec leurs belle secrétaires" se précipitent pour participer à la cueillette des olives alors qu’ils arrivent avec les journalistes, pris en photo, faisant les discours très vite et partis 5 minutes après, avant que ça soit dangereux. En gros c’est une maladie en Palestine. Et certaines ONG ne sont plus connues en Palestine, or leurs discours s’adressent aux Européens et aux Américains, " les financeurs". Je n’hésite pas à dire que beaucoup d’associations militantes en Europe continuent à collaborer avec elles.
Peut être qu’il est nécessaire de financer des projets en Palestine, si ces financements nous aident à l’indépendance économique, mais si les aides visent à détourner la société palestinienne d’une société militante vers une société mercenaire, c’est refusé.
Depuis Oslo (14 ans) la Palestine a reçu des milliards de dollars mais où en sommes-nous de l’indépendance ? Ou peut être l’histoire suivante est vraie : Un Américain réserve une chambre à l’hôtel de Ramallah, il donne 100 dollar au gars de l’hôtel, le gars les donne au boucher à qui il doit de l’argent, le boucher doit de l’argent à un éleveur de vaches, l’éleveur doit 100 dollars à un commerçant de granulés d’alimentation des vaches. Il lui donne les 100 dollars, le commerçant va vite les donner à une pute à qui il doit 100 dollar, elle va rapidement rembourser le gars de l’hôtel de Ramallah, mais l’Américain n’a pas aimé la chambre donc le gars redonne les 100 dollars à l’Américain.
  L’autre classe qui est la majorité silencieuse la même classe qui faisait la révolution en Palestine tout le temps et la même qui a fait la révolution en Tunisie, ce sont les ouvriers les étudiants, les paysans, les petits salariés, les associations et les coopératives qui militent et qui résistent, mais cette classe n’est pas tranquille de voir ceux qui s’installent en Palestine pour opprimer toute initiative de résistance. Prenons l’exemple de la coopérative Al Sanabel, qui fait partie de la société palestinienne, elle est ciblée par plusieurs organisations, elles proposent conditionnellement de financer les activités de la coopérative, évidemment la coopérative refuse car ses objectifs sont contradictoires avec les leurs.
Nous ne sommes pas les seuls, nous sommes la majorité des Palestiniens, qui veulent vivre en dignité, libres, qui répondent aux demandes des Palestiniens et pas aux demandes des financeurs, qui comptent sur une solidarité populaire internationale.
Pour aider notre combat et notre résistance soyez solidaire avec nous, parce que c’est nous qui avons la force et les autres ne font que profiter de notre malheur.
Palestine, 2011