dimanche 19 décembre 2010

« On oublie qu’une large majorité d’Etats a reconnu aujourd’hui l’Etat palestinien

publié le samedi 18 décembre 2010
entretien avec Jean-Paul Chagnollaud, Nina Sellès

 
Il ne faut déplaire ni à Washington ni à Tel-Aviv... La France n’ose même pas soutenir les pays qui ont eu le courage de faire cette reconnaissance
Barack Obama disait qu’un délai d’un an était vital pour signer un accord de paix entre la Palestine et Israël. Aujourd’hui, Washington juge qu’il faut reprendre les négociations indirectes. C’est un gros revers pour le président américain. Quelle explication pour ce changement de position ?
C’est effectivement un sérieux revers pour Barack Obama. Et le plus grave sans doute est qu’il apparaît désormais affaibli puisque cette confrontation diplomatique avec Israël se termine à l’avantage de l’Etat hébreu à la grande joie des colons israéliens. Sa crédibilité est sérieusement entamée : s’il n’a pas pu faire céder Netanyahu sur un « simple » gel supplémentaire de la colonisation pour quelques mois, comment pourra-t-il avancer sur les dossiers majeurs que sont Jérusalem, les réfugiés, les frontières de l’Etat palestinien et... la colonisation ?Cette volte-face est certainement liée au rapport des forces politiques dans le système politique des Etats-Unis. Les Israéliens et Netanyahu tout particulièrement le connaissent bien. Ils savent que l’Administration ne peut rien faire sans le Congrès où justement Israël a beaucoup de soutiens.
Et sans doute davantage encore depuis la récente victoire des Républicains aux dernières élections, même si les démocrates ont conservé la majorité au Sénat. Barack Obama est donc sans doute dans l’incapacité de trouver les appuis politiques dont il a besoin au Congrès. Par ailleurs, son Administration doit être aux prises avec les problèmes posés par la diffusion des dépêches diplomatiques via le site Wikileaks ; il est fort probable que cette affaire a dû considérablement gêner le département d’Etat. Enfin, d’autres « fronts » sont apparus peut-être plus urgents et en particulier avec ce qui se passe entre les deux Corée.
-La reconnaissance de l’Etat palestinien par les pays d’Amérique du Sud a été reçue avec froideur. La France dit qu’elle ne veut pas « anticiper » la discussion de paix. Pourquoi cette hésitation ?
Le quai d’Orsay a beaucoup travaillé sur cette hypothèse d’une reconnaissance de l’Etat palestinien, surtout si les Palestiniens faisaient une proclamation unilatérale de leur Etat qui compléterait celle de 1988. Mais il est évident que le débat n’est pas tranché et qu’en tout cas, l’Elysée n’osera jamais franchir ce pas sans l’aval des Etats-Unis qui, eux-mêmes, ne feront rien dans cette direction sans l’accord d’Israël. Autant dire qu’il ne faut rien attendre de décisif dans cette direction. La position française est donc très frileuse. Il ne faut déplaire ni à Washington ni à Tel-Aviv... La France n’ose même pas soutenir les pays qui ont eu le courage de faire cette reconnaissance comme le Brésil ou l’Argentine. Et du coup, on oublie qu’une large majorité d’Etats aujourd’hui a reconnu l’Etat palestinien ! Tout se passe comme si cela ne comptait pas... si les Etats-Unis ne le font pas.
-Le président palestinien Mahmoud Abbas a soulevé dernièrement l’éventualité d’une dissolution de l’Autorité palestinienne si aucun accord de paix ne peut être conclu avec Israël et que le monde ne reconnaît pas un Etat palestinien. Quelle conséquence aurait une telle décision sur la Palestine ?
La dissolution de l’Autorité palestinienne est en effet en discussion chez les Palestiniens. Beaucoup y sont favorables, car de cette façon au moins les choses seraient claires. Leur argumentation est simple : il y a une occupation militaire qui décide de tout et il faut en finir avec cette « Autorité » qui n’en est pas une et qui ne préfigure en rien un Etat. Sur le terrain, cela poserait quand même beaucoup de problèmes, car si elle n’a aucune consistance politique, l’Autorité palestinienne est quand même présente dans bien des domaines. L’actuel Premier ministre, Salam Fayad, est très présent au quotidien et cherche par tous les moyens à construire les institutions de cet Etat tant désiré et en même temps si lointain.
-Pourquoi aujourd’hui, la France et l’Europe semblent absentes du terrain, contrairement aux USA ?
L’UE et la France voudraient bien jouer un rôle, mais elles en sont politiquement incapables. Surtout depuis l’élargissement à 27, l’UE est paralysée par ses contradictions dès qu’il faut aborder une question difficile de politique étrangère et celle du Proche-Orient est certainement plus complexe. Alors malheureusement, je crois qu’il ne faut rien attendre de l’UE. C’est d’autant plus regrettable que les positions de l’UE, encore récemment réaffirmées et précisées à Bruxelles en décembre 2009, fournissent le cadre d’un règlement global juste et équilibré.
Jean-Paul Chagnollaud. Spécialiste de la question palestinienne, rédacteur en chef de la revue Confluences Méditerranée et directeur de la collection Comprendre le Moyen-Orient chez l’Harmattan.
publié par el Watan