mardi 30 novembre 2010

Horizons de la résistance en Cisjordanie : entre la coordination sécuritaire et l’impasse du règlement

publié le lundi 29 novembre 2010
al Zaytouna

 
Dans la situation présente en Cisjordanie qui s’ajoute à l’impasse des négociations, la scène palestinienne pourrait donner naissance à la résistance, si Mahmoud Abbas se retirait, ou si la déception augmentait en Cisjordanie, si on assistait à l’effondrement de l’Autorité ou à la réalisation d’une réconciliation palestinienne qui adopte la résistance comme alternative au règlement.
Résumé : la résistance palestinienne en Cisjordanie vit actuellement une terrible situation, où le déploiement de la résistance armée contre l’occupation israélienne semble difficile. La présidence de l’Autorité palestinienne et le gouvernement de Ramallah se sont engagés, et de manière répétée, à refuser la résistance armée et à poursuivre ses membres. Ils ont mis en action la coordination sécuritaire avec « Israël » comme un des engagements envers la Feuille de route.
Alors que le mouvement Fateh a accordé son soutien et sa couverture politique à l’Autorité, celle-ci a démantelé et frappé, sinon neutralisé, les cellules de la résistance dans le Fateh au cours de cette période. Quant aux autres organisations de l’OLP, non seulement elles subissent la poursuite par l’Autorité de leurs éléments, mais leurs faibles capacités et leur situation politique affaiblissent leur aptitude à l’initiative militaire. Bien que les mouvements du Hamas et du Jihad islamique aient maintenu leur liberté de décision politique et militaire, les mesures sécuritaires mises en place par les appareils sécuritaires de l’Autorité, par le biais de la coordination sécuritaire avec les forces de l’occupation, leur rendent difficile la tâche de mener une résistance efficace à l’intérieur de la Cisjordanie.
Dans la situation présente en Cisjordanie qui s’ajoute à l’impasse des négociations, la scène palestinienne pourrait donner naissance à la résistance, si Mahmoud Abbas se retirait, ou si la déception augmentait en Cisjordanie, si on assistait à l’effondrement de l’Autorité ou à la réalisation d’une réconciliation palestinienne qui adopte la résistance comme alternative au règlement.
Introduction : Etudier le thème des horizons de la résistance en Cisjordanie nécessite obligatoirement la recherche d’une décision politique.
Premièrement : au niveau de la présidence de l’Autorité :
le président Mahmoud Abbas adopte une position stratégique avouée consistant à refuser la résistance. Il considère que l’intifada a eu des conséquences négatives profondes sur le peuple palestinien et sa cause. Il est fermement décidé à adopter le choix des négociations, rien que les négociations.
Deuxièmement : au niveau du gouvernement à Ramallah :
le premier minisre M. Salam Fayyad affirme son respect de la Feuille de route et ses exigences politiques et sécuritaires, y compris la répression de la résistance et la coopération sécuritaire avec les Israéliens. Tout comme il affirme vouloir proclamer l’Etat palestinien d’ici deux ans, alors qu’un an est déjà passé. Le plan de Salam Fayyad comprend deux points : former les appareils ministériels palestiniens et exécuter un développement (projets) centrés sur l’infrastructure, qui permettent de proclamer l’Etat.
Ce plan se déroule sous occupation israélienne qui a imposé des réalités sur le terrain, la plus importante étant les barrages dont le nombre dépasse les 600 barrages, et les colonies installées en Cisjordanie, ainsi que les routes de contournement spécifiques aux Israéliens, le mur de l’apartheid, les denses programmes de judaïsation d’al-Qods, et la domination administrative et sécuritaire israélienne sur la majeure partie de la Cisjordanie (zone C). C’est pourquoi le processus de développement et la préparation d’un tel type d’Etat palestinien se fait sur la base d’une coopération stratégique avec « Israël ». Cette situation mène au danger issu de l’approbation du plan de la paix économique, que le chef de gouvernement israélien Benyamin Netanyahu avait proposé. Il est évident que le plan de la paix économique est une décision politique qui s’oppose au principe de la résistance à l’occupation.
Troisièmement : au niveau du mouvement Fateh :
il faut d’abord préciser que le mouvement dont il s’agit est le mouvement Fateh en Cisjordanie. Cela a été entériné lors du 6ème congrès du mouvement (Bethlehem). Le mouvement souffre d’un état de décrépitude et de dislocation. Théoriquement, le mouvement Fateh en Cisjordanie adopte le slogan du droit du peuple palestinien à exercer toutes les formes de lutte, y compris la lutte armée, mais sur le plan pratique, il n’encourage que la lutte pacifique (manifestations et protestations). Même dans ce cadre, son rôle n’est ni actif ni dirigeant. Mais il est possible de dire que le mouvement Fateh, en Cisjordanie, n’est pas un mouvement de la résistance armée à l’occupation, et sa structure actuelle ne peut contribuer à une résistance de ce type.
Quatrièmement : au niveau des organisations armées :
les organisations armées présentes en Cisjordanie vivent une étrange situation, puisqu’elles sont une extension des organisations présentes à l’extérieur, à Damas précisément, filiales ou dissidentes. Celles qui sont à Damas critiquent l’Autorité et affirment l’option de la résistance, alors que celles qui sont présentes en Cisjordanie ne dépassent pas le cadre général imposé par l’Autorité, ou jouent parfois le rôle consistant à lui assurer une couverture politique, relative notamment à la question des négociations.
A l’origine de cette situation se trouve le financement, car le financement des organisations provient de Mahmoud Abbas, en tant que président du comité exécutif de l’OLP qui est chargé depuis 1979 (sommet arabe après Camp David) de financer les organisations de la résistance, à partir de sommes que se sont engagés à payer les Etats arabes, pendant dix ans (50 millions de dollars annuellement). Lorsque l’engagement arabe a pris fin, la présidence de l’OLP (Arafat) a poursuivi le financement. C’est à cause de ce financement que les filiales présentes en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza sont contrainte de s’aligner sur la ligne politique de Abbas, craignant sa suppression, alors que les filiales se trouvant à l’extérieur penchent parfois vers d’autres positions.
Ce financement a débuté arabe, mais dépend aujourd’hui dans une grande mesure des Etats donateurs. Même le président Abbas ne possède pas un financement spécifique pour l’OLP ou le mouvement Fateh. Lorsqu’il a besoin d’argent, il le demande à Salam Fayyad et au ministère des finances. A son tour, Abbas en donne une partie aux organisations qui l’entourent pour gérer leurs affaires (salaires des permanents, bureaux et déplacements). Il est difficile pour les organisations palestiniennes, avec ces données, de quitter l’administration politique du président Abbas et du gouvernement de Fayyad, d’autant plus que la répression sécuritaire les attend.
Cinquièmement : l’Organisation de libération de la Palestine :
l’OLP n’est plus une institution présente sur le terrain. Historiquement, elle fut la direction politique du peuple palestinien, mais à présent, elle est une institution sans véritable contenu. Ses institutions officielles (conseil national) ne s’est pas réuni depuis environ vingt ans, et il ne reste que le comité exécutif qui a perdu son quota légal, dont les nouveaux membres ont été choisis en août 2009, en violation de son règlement intérieur, qui impose de choisir ses membres au cours d’une réunion officielle du conseil national. C’est plutôt l’article d’urgence qui a été adopté pour convoquer à une réunion et désigner parmi les présents. Depuis l’accord d’Oslo jusqu’à présent, cette institution n’a eu que des rôles marginaux ; elle se réunit chaque fois que le président de l’Autorité souhaite prendre une nouvelle décision, afin de l’approuver (à l’exception de la récente position de quelques organisations lors de la discussion sur les négociations directes). Malgré cette dernière position, le comité s’est réuni et a pris la décision de participer aux négociations, avec l’approbation de cinq membres sur neuf, qui ont assisté à la réunion. Le nombre total de ses membres est cependant 18, ce qui montre encore une fois la faible représentativité de l’OLP et sa place pour l’Autorité et sa présidence.
De plus, les autres institutions de l’OLP ont été démantelées et certaines ont été rattachées (le fonds national) à l’Autorité palestinienne et au ministère des finances. Quant au département politique, il assume le rôle d’ambassadeurs de l’Autorité et non de l’OLP, indépendante de l’Autorité. Par conséquent, l’OLP n’est plus l’institution apte à prendre des décisions politiques palestiniennes, et ne peut jouer un rôle pour concevoir une nouvelle politique de résistance à l’occupation, même lorsque l’échec des négociations est reconnu par les parties négociatrices.
Sixièmement : les appareils sécuritaires de l’Autorité
Les Etats-Unis qui avaient adopté la Feuille de route, au temps du président Bush, ont pris l’initiative de nommer un gouverneur (le général Keith Dayton) pour définir les horizons d’une relation stratégique israélo-palestinienne. Ce général a entrepris, avec l’accord des deux parties, de mettre un plan de formation d’un nouvel appareil sécuritaire palestinien, où les jeunes entre 18 et 25 furent choisis parmi ceux qui ne vivent pas dans les milieux de la résistance armée à l’occupation. Il s’est engagé à les former selon un nouvel horizon politique, où ils constituent un appareil sécuritaire malléable, pouvant mettre fin à l’action de la résistance palestinienne sous le prétexte de protéger la sécurité et l’autorité unique. Pour arriver à cette nouvelle personnalité de l’homme sécuritaire, il fut donné à ces jeunes un solgan patriotique satisfaisant leur conscience et consistant à dire : l’intifada palestinienne a semé le désordre et l’insécurité, empêchant ainsi l’établissement d’un Etat palestinien, votre rôle donc est d’imposer l’ordre et la sécurité et de supprimer « les fauteurs de troubles », pour instaurer l’Etat palestinien. C’est ce qui explique la sauvagerie de cet appareil sécuritaire dans les poursuites, les arrestations, les interrogatoires et la torture.
Cette politique fut accompagnée d’un vaste programme pour se débarrasser de la génération de la réssitance ou de toute personne ayant vécu la période de la résistance, par le biais des organisations ou sur le terrain, par les moyens suivants : proclamer l’abandon de la résistance et obtenir une promesse de non –poursuite par la sécurité israélienne, et la retraite dans les ministères, les départements et les anciens appareils sécuritaires pour tous ceux qui ont atteint l’âge de 60 ans, sans nommer d’autres à leur place, sauf s’il s’agit d’institutions prévues dans le plan de reconstruction, selon la nouvelle vision. L’application du système de retraite, dans les appareils sécuritaires, selon une règle plus vaste et plus globable, à partir de 45 ans, par la séduction de plusieurs personnalités par un échelon plus élevé et un salaire plus important si elle acceptait de prendre sa retraite plus tôt.
L’éloignement de la génération de la résistance aux confins de la vie militante et politique, et même salariale, et la formation de nouveaux appareils sécuritaires et administratifs, d’après les conceptions du général Dayton, ont imposé, dans les faits, une nouvelle réalité palestinienne encadrant l’action de la présidence, de l’Autorité et des ministères, puis ont instauré une politique répressive organisée et permanente contre toute opposition à cette nouvelle politique.
A partir de là, une coopération sécuritaire entre l’Autorité palestinienne et les appareils sécuritaires israéliens a été instaurée, avec un échange d’informations et une participation commune à la répression, et où toute information sur l’activité contre l’occupation est transmise. L’Autorité informe Israël pour que ce dernier procède aux arrestations et Israël informe l’Autorité pour que celle-ci agisse de même.
Parmi les premières victimes de l’appareil sécuritaire formé par Dayton figure l’organisation de la résistance dans le mouvement Fateh qui a été entièrement liquidée, puis a eu lieu la tentative de mettre la main sur la bande de Gaza, qui a échoué, et ensuite furent ciblées les autres organisations de la résistance agissant en Cisjordanie.
Septièmement : au niveau du mouvement Hamas
Contrairement à l’ensemble des organisations de lutte et notamment celles qui se trouvent dans l’OLP, le mouvement Hamas possède ses propres ressources financières qui lui permettent de jouir d’une décision politique et militaire plus indépendante des engagements et des politiques de l’Autorité palestinienne. C’est pourquoi, malgré l’arrestation par le gouvernement de Fayyad de milliers de cadres du Hamas et l’assassinat de plusieurs résistants des Brigades d’al-Qassam, et malgré les milliers de raids et de destructions et le démantèlement de l’infrastructure de l’aile militaire du Hamas en Cisjordanie, plusieurs dirigeants et porte-paroles du mouvement continuent à affirmer leur refus des politiques de l’Autorité et à dénoncer les pratiques des appareils sécuritaires qui en dépendent, et promettent des actes de revanche contre l’armée de l’occupation.
Les Brigades d’al-Qassam n’ont exécuté que quelques opérations militaires au cours des cinq dernières années (depuis l’arrêt de l’intifada al-Aqsa), ce qui prouve la difficulté de mener des actions de résistance dans les conditions actuelles. Il est difficile de prévoir la capacité de l’Autorité à poursuivre l’interdiction de la résistance armée, surtout après l’arrêt des négociations, l’impasse à laquelle est arrivé le règlement et la montée de la colère populaire envers les excès des appareils sécuritaires de l’Autorité, les violations de l’ennemi des lieux saints, de la terre et des propriétés, la chute du slogan affirmant que la protection de la sécurité de l’occupation serait un prélude à l’instauration de l’Etat palestinien. Ce qui concerne le Hamas, les poursuites, les difficultés et l’encerclement sécuritaire s’applique également au mouvement du Jihad islamique.
Résumé
Une résistance à l’occupation à partir de l’intérieur des appareils sécuritaires, ou de l’intérieur des centres du pouvoir présent en Cisjordanie n’est pas envisageable.
Nous faisons face, à présent, à une situation quelque peu étrange, qui n’a jamais eu lieu dans l’histoire des révolutions, où la direction actuelle, issue de la révolution palestinienne, a fini par adopter des politiques sécuritaires interdisant la résistance, sous prétexte de respecter un projet de règlement pacifique, et s’appuie, dans une large mesure, financièrement et politiquement, sur le soutien des Etats-Unis et des Etats donateurs qui ont publiquement agi pour la détruire, changer sa structure et modifier ses objectifs, car il n’est pas possible que les Etats donateurs acceptent de financer des institutions et des organisations qui agissent contre l’occupation israélienne.
L’un des défis qu’affrontent la situation palestinienne en Cisjordanie est qu’elle est infiltrée par un ensemble de pouvoirs, présents dans le gouvernement de Ramallah, dans le comité exécutif de l’OLP, dans le mouvement Fateh et dans les appareils sécuritaires, qui sont prêts à écarter Abbas ou d’autres si jamais ces derniers envisagent d’adopter la position du président Arafat lorsque le processus de négociations a été stoppé et qu’il a recouru à l’intifada armée. Ces forces influentes vont essayer de poursuivre les négociations, et même finalement accepter ce que proposerait Israël.
Les scénarios possibles :
1 – Abou Mazen refuse les propositions israéliennes et américaines et exprime son refus en s’isolant chez lui, comme il l’a souvent répèté. Il faut alors rechercher la personne qui peut le remplacer.
2 – Abou Mazen accepte les pressions et signe la proposition américano-israélienne, qui serait un accord-cadre pour être exécuté sur dix ans.
3 – Mahmoud Abbas annule l’Autorité, ce qui nécessite de revoir plusieurs échéances et de prendre les positions adéquates, comme les accords d’Oslo, les messages de reconnaissance et la modification de la charte.
4 – La possibilité d’émergence d’une nouvelle position arabe, qui décide d’abandonner (la stratégie de la paix) pour entamer une période de pression politique et économique sur les Etats-Unis et l’Occident en général, dans l’espoir d’obtenir une nouvelle position de leur part envers l’occupation israélienne, tout en remarquant que si une telle voie est adoptée, même sur le long terme, elle peut entraîner une nouvelle confrontation militaire arabo-israélienne.
5 – L’intensification des efforts pour ordonner l’intérieur palestinien et trouver une direction politique (référence) du peuple palestinien. Pendant de longues années, l’OLP fut, avec sa charte et sa stratégie, la direction, mais celle-ci a périclité parce qu’elle a été marginalisée et démantelée, ce qui a entraîné l’émergence de la demande de reconstruction de l’OLP. Cette demande peut être réalisée par deux moyens : l’entente de tous sur la reconstruction, mais si cela semble difficile, la reconstruction de l’OLP par l’entente entre quelques parties seulement.
6 – Possibilité de la reprise de la résistance palestinienne à l’intérieur de la Cisjordanie, à cause de l’état de frustration et d’impasse du projet de règlement. Nous assistons, dès à présent, à certains de ses balbutiements, malgré la gravité du plan opposé dont nous avons vu les éléments.
Propositions
1 – Reconsidérer (sur le plan national) le choix de la résistance et la cessation par l’Autorité de décrire les résistants par « terrorisme » et la résistance par « violence ».
2 – La cessation par le gouvernement de Ramallah des mesures d’interdiction des branches de la résistance et la cessation de leur poursuite et des mesures prises pour briser l’infrastructure de la résistance, l’abandon du programme de coordination sécuritaire qui nuit, à la fois, à la résistance et à l’unité nationale.
3 – Les organisations de l’OLP ne doivent pas se plier aux conditions politiques et sécuritaires de l’Autorité en contrepartie du soutien financier, et doivent tenter d’ordonner la situation interne palestinienne. Elles peuvent adopter les pas suivants :
A – déclarer leur retrait du comité exécutif de l’OLP ou à la rigueur, geler leur participation, ce qui menace la légitimité de sa direction et de ses décisions.
B – Mener un processus de réforme de l’OLP et l’activer sur les bases de la déclaration du Caire en 2005.
(Le centre al-Zaytuna remercie M. Bilal Hassan dont le texte original a servi de trame pour ce rapport).
[->/http://www.alzaytouna.net/arabic
30/10/2010