Serge Dumont  
Le  hameau d’Al-Arakib, dans le désert du Néguev, a a été rasé mardi pour  la troisième fois. La politique de sédentarisation par Israël est un  échec
Il faut s’armer de patience  pour trouver Al-Arakib. Car ce village bédouin situé un peu au nord de  Beer-Sheva, la « capitale du désert du Néguev », n’est pas reconnu par  l’Etat hébreu et il ne figure pas sur les cartes. Pourtant, le 27  juillet dernier, 1250 policiers accompagnés de 12 bulldozers ont envahi  ce hameau et l’ont rasé en moins d’une heure. Depuis lors, ses habitants  reviennent quotidiennement sur place et assemblent à la hâte des  baraquements qui sont aussitôt détruits par des forces de l’ordre  stationnant en permanence dans les environs.
Mardi, Al-Arakib a donc été démoli pour la troisième  fois en moins de deux semaines, mais les habitants ont d’ores et déjà  promis de le reconstruire. « On nous expulse de nos terres ancestrales  juste avant le ramadan, mais nous ne partirons pas d’ici. Nous  n’acceptons pas d’être traités comme des chiens », fulmine Awad Abou  Farikh, le porte-parole des habitants.
Une forêt sur les ruines
En attendant, le territoire d’Al-Arakib ressemble à un  champ de bataille sablonneux. Les ruines des 45 habitations détruites  sont dispersées au gré du vent. Quelques boîtes métalliques rouillées  traînent ici où là. « Un jour, une Intifada bédouine éclatera. Les juifs  vont payer pour ce qu’ils nous font », jure Awad, un ouvrier qui campe à  l’endroit où il résidait avant l’« attaque » et dont les yeux brillent  de frustration.
De fait, ces dernières heures, quelques plantations  appartenant à des kibboutzim voisins ont été saccagées et plusieurs  véhicules incendiés. Principalement visés, les camions du Fonds national  juif (KKL), une organisation qui récolte de l’argent auprès des  communautés juives de la diaspora pour « reverdir le désert » et qui  promet de planter une forêt sur les ruines d’Al-Arakib. Mais une partie  de l’espace dégagé abritera également des installations militaires. A  long terme, quelques hectares devraient également accueillir certains  des colons de Cisjordanie évacués dans le cadre d’un accord de paix avec  l’Autorité palestinienne.
« Nous avons perdu nos terres au terme de onze ans de  procédure judiciaire parce que les tribunaux israéliens exigeaient des  actes de propriété écrits alors que notre patrimoine se transmet selon  la tradition orale. Face à une administration hostile, notre parole ne  valait donc rien », soupire un ancien du village, un cheikh qui promet  de « déclencher une guerre d’indépendance bédouine ».
Depuis le début des années 1950, de nombreux Bédouins se  sont engagés volontairement dans l’armée israélienne. Au début, ils  servaient d’éclaireurs. Plus récemment, ils constituaient certaines des  unités d’élite qui ont participé à la deuxième guerre du Liban (2006) et  même à l’opération « Plomb durci », l’invasion de la bande de Gaza où  nombre d’entre eux ont pourtant de la famille. A en croire notre  interlocuteur, cette période bénie est terminée. « Nos jeunes n’ont plus  envie d’aller se faire tuer pour un pays qui leur crache au visage »,  dit-il.
Grosso modo, la moitié des 200 000 Bédouins d’Israël vit  dans les villages non reconnus. La plupart de ces hameaux sans  électricité ni égouts ni eau courante se trouvent dans le désert du  Néguev. Certes, depuis le début des années 1970, l’Etat hébreu tente  d’attirer leurs habitants dans des villes de développement, mais cette  politique ne porte pas ses fruits. En témoigne, la cité de Rahat qui  passe pour l’exemple le plus achevé de cette politique de  sédentarisation et où le niveau de délinquance est le plus élevé de  l’Etat hébreu. Quant au chômage, il y atteint 38,7% contre 8% dans le  reste du pays.
« Poussés à l’extrémisme »
En tout cas, c’est au nom de la politique de  sédentarisation que les autorités israéliennes ignorent les villages  fantômes. En 2005, le tribunal de Beer-Sheva a ainsi débouté une famille  bédouine qui demandait l’autorisation de raccorder son taudis au réseau  électrique national. Agée de 3 ans, la fille des plaignants souffrait  d’un cancer et son état nécessitait l’utilisation permanente d’appareils  médicaux électriques. Mais cet argument n’a pas ému les juges et les  Bédouins ont été déboutés. Leur fille est morte quelques mois plus tard.
Depuis lors, plusieurs décisions judiciaires semblables  ont été rendues. Au moins dix villages non reconnus ont également été  rasés. « Il est difficile de comprendre pourquoi Israël pousse une  partie de ces citoyens vers l’extrémisme et le crime, écrivait le  quotidien Haaretz à propos des événements d’Al-Arakib. Les Bédouins ne  méritent pas cela. »
 
 
