Serge Dumont
Détenu  cinq mois par Tripoli, le photographe Raphaël Hadad, que Tripoli  prenait pour un agent du Mossad, a été libéré hier au terme de  rocambolesques négociations.
Jusqu’à hier matin, personne  ni en Israël ni ailleurs n’avait jamais entendu parler de Raphaël Hadad,  34 ans, un obscur poète, photographe et guide touristique partageant  son temps entre Jérusalem et Tunis. Mais tout a changé depuis que la  censure israélienne a autorisé les médias de l’Etat hébreu à révéler que  Hadad avait été détenu depuis cinq mois par le Moukhabarat, les  services de renseignements du colonel Kadhafi. Et qu’il venait d’être  libéré au terme de négociations secrètes impliquant rien moins que le  Mossad, la DGSE et les services secrets italiens, ainsi que l’homme  d’affaires autrichien Martin Schlaff, dont les liens avec l’homme fort  de Tripoli sont connus.
Certes, Jérusalem et Tripoli n’ont pas négocié  directement. Mais c’est bien la première fois que les deux pays -  toujours officiellement en état de guerre - entament des pourparlers.
Inconscient.
Tout a commencé en mars lorsque Hadad fut mandaté par  l’association israélienne Or Shalom (organisation regroupant les Juifs  ayant fui la Libye) pour photographier les vestiges architecturaux  laissés par la communauté juive libyenne. Le photographe a pu entrer en  Libye grâce à son passeport tunisien, et sa mission était connue des  autorités de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste  (c’est le nom officiel), puisqu’il était accompagné par un policier.
Or, le 19 mars, au quatrième jour de ses repérages,  l’Israélo-Tunisien a subitement cessé de donner de ses nouvelles alors  qu’il s’était engagé à contacter régulièrement ses mandants.
En raison de la chape de silence imposée sur cette  affaire par les services de sécurité israéliens, la presse de l’Etat  hébreu s’est contentée de lui consacrer quelques entrefilets sans  substance. A contrario, plusieurs sites d’informations en arabe ont  prétendu qu’un « espion israélien » venait d’être « démasqué par  Al-Qaeda » et que son sort était lié à celui des otages français  disparus en Afrique du nord. En réalité, Hadad était détenu au secret  par les Moukhabarat libyens, qui l’ont longuement interrogé en pensant  tenir un agent du Mossad. Lorsqu’ils ont compris que leur prisonnier  était un inconscient doublé d’un excentrique, ils ont quelque peu allégé  ses conditions de détentions. En tout cas, ils l’ont autorisé à  téléphoner à des membres de sa famille vivant en Tunisie afin de les  informer de la situation.
Dès la disparition de son ressortissant, Israël a tenté  d’obtenir de ses nouvelles par l’intermédiaire d’hommes d’affaires juifs  italiens d’origine libyenne. Le président tunisien Ben Ali et le  secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, ont également été  sollicités. Sans résultat. Quant au directeur général du Mossad, Meïr  Dagan, il est intervenu auprès de la DGSE ainsi que des services  italiens. Objectif ? Faire passer aux Libyens un message expliquant que  Hadad n’est pas un agent secret, mais un « original ».
Ces contacts ont permis de confirmer que la vie du  poète-photographe n’était plus en danger. Mais de là à espérer une  libération rapide… C’est alors que Martin Schlaff, 57 ans, entre en  scène. Lié au régime est-allemand durant la guerre froide, ami personnel  de Vladimir Poutine, ce milliardaire aux cheveux poivre et sel possède  l’un des carnets d’adresses les mieux fournis au monde. Parmi ses  contacts, de nombreux dirigeants arabes et africains, mais également  Seif el-Islam et son père, Muammar al-Kadhafi. Une aubaine pour le  ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman - un autre  de ses vieux amis -, qui lui a demandé d’entrer dans le jeu des  négociations secrètes entre Jérusalem et Tripoli. A l’époque, la  Fondation Kadhafi venait d’affréter l’Almathea, un navire chargé de 2  000 tonnes de produits de première nécessité destinés à la population de  Gaza. Or Ehud Barak, le ministre de la Défense de l’Etat hébreu,  n’était pas informé des pourparlers secrets en cours et menaçait  d’ordonner l’arraisonnement du navire. Le succès de Schlaff n’était donc  pas assuré.
Faucons
Que s’est-il passé en coulisses ? A en croire  l’entourage de Lieberman, le fils de Kadhafi voulait un succès d’image.  Il a donc proposé d’échanger la libération de Hadad contre  l’autorisation accordée à l’Almathea de faire escale dans le port de  Gaza City devant l’objectif des caméras. Mais le marché était  inacceptable pour les dirigeants d’Israël. Surtout pour les faucons du  gouvernement, dont Lieberman est le chef de file.
En fin de compte, par l’intermédiaire de Schlaff,  Tripoli a accepté que sa cargaison humanitaire pénètre dans la bande de  Gaza par voie terrestre. Quant aux Israéliens, ils ont autorisé la  Fondation Kadhafi à financer la remise en état de quelques immeubles  touchés durant l’opération Plomb durci (l’invasion de la bande de Gaza  de janvier 2009), ainsi que la construction de vingt maisons  préfabriquées destinées à des familles palestiniennes. Le 14 juillet,  l’Almathéa a effectivement accosté dans le port égyptien d’El-Arish, où  sa cargaison a été déchargée deux jours plus tard. Après une semaine,  elle a été acheminée en camion vers l’enclave palestinienne. Quant à  Hadad, il a été relâché dimanche et s’est envolé pour Vienne à bord de  l’avion privé de Schlaff. Il est rentré hier en Israël, où il risque  cependant d’être condamné à plusieurs années de prison pour « s’être  rendu en territoire ennemi sans autorisation ».
 
 
