mardi 6 juillet 2010

La diplomatie palestinienne relookée fait grincer des dents

mardi 6 juillet 2010 - 08h:50
Carole Vann - Le Temps/InfoSud
Depuis 2005, l’Autorité palestinienne mise sur une diplomatie plus pragmatique et basée sur la recherche du consensus. Si elle fait le bonheur des pays occidentaux, celle-ci inquiète les milieux palestiniens.
Le détail passerait inaperçu s’il n’essuyait une pluie de critiques dans les milieux palestiniens. Tout est parti de l’assaut sanglant des commandos israéliens le 31 mai contre la flottille turque visant à forcer le blocus de la bande de Gaza. Une résolution réclamant une enquête internationale a été votée début juin lors de la 14e session du Conseil des droits de l’homme à Genève. Rien de surprenant à cela si ce n’est qu’un projet de cette résolution incluant les amendements européens indique que l’Autorité palestinienne (AP) aurait été prête à s’allier aux propositions très consensuelles de l’Union européenne. En effet, les pays occidentaux s’alignent sur le Conseil de sécurité à New York, entretenant notamment le flou sur la nature de l’enquête demandée. Alors que les pays arabo-musulmans, emmenés par la Turquie, réclament une enquête internationale et indépendante. (Voir : L’Autorité palestinienne a voulu saper les efforts de la Turquie pour une enquête des Nations-Unies sur la Flottille)
Mais voilà, l’information suscite le mécontentement. Des articles virulents de sites spécialisés sur le Moyen-Orient accusent le leadership palestinien de jouer double jeu et de « saper les efforts de la Turquie pour une enquête de l’ONU ». Imad Zuheiri, numéro deux de la mission de Palestine auprès de l’ONU à Genève, se défend : « Nous avons rejeté en bloc cette mention de manière officielle. Nous ne faisons jamais cavalier seul. Nous travaillons avec les groupes - arabe et islamique - auxquels nous appartenons », insiste-t-il. Il reconnaît toutefois que l’actuelle ligne d’action de son pays consiste à « s’engager positivement avec toutes les parties concernées pour rassembler le plus de pays possible autour de la question de la Palestine ».
Imad Zuheiri, jeune et brillant diplomate, jonglant aisément entre le français, l’arabe et l’anglais, est un digne représentant de la nouvelle vague de la diplomatie palestinienne lancée entre 2005 et 2006, sous l’impulsion du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Naser al-Qudwa. Arrivé tout droit de New York, celui-ci professionnalise alors les diplomates palestiniens, en élaborant notamment un code de conduite. Parallèlement, de talentueux éléments sortant d’universités américaines ou européennes sont placés à des postes clefs. C’est dans cette lancée que Leila Shahid est nommée ambassadrice à Bruxelles. La tentative de modernisation est toutefois passablement minée par les affrontements internes entre le Hamas et le Fatah.
« Cette association entre des anciens porteurs de la mémoire et des nouveaux plus aguerris aux outils modernes du marketing nous permet de nous positionner différemment sur la scène internationale, tout en gardant la même priorité : mettre fin à l’occupation israélienne », affirme Imad Zuheiri.
Toutefois cette recherche de dialogue­ et de consensus, très appréciée par les diplomates occidentaux, inquiète les milieux palestiniens. « Aujourd’hui, la diplomatie palestinienne est un instrument de la politique américaine et européenne. Elle devient tellement malléable qu’elle en arrive à négliger sa mission première auprès de l’ONU qui est de défendre la légitimité internationale du peuple palestinien », reproche Rashid Khalidi, historien à Columbia University à New York.
Difficile donc pour cette nouvelle vague de s’imposer sur la scène internationale comme entité autonome. Ces tentatives de positionnement ne sont d’ailleurs pas nouvelles. L’Autorité palestinienne avait déjà créé la surprise en rejetant dans un premier temps le rapport Goldstone sur l’opération « Plomb durci » et celui du rapporteur spécial de l’ONU pour les territoires palestiniens, Richard Falk.
Yves Besson, ancien diplomate suisse spécialiste du Moyen-Orient, rappelle le contexte : « Washington tient le couteau par le manche, les Européens paient ; il ne faut donc fâcher ni l’un ni les autres, ni d’ailleurs les pays arabes. Il faut ajouter les tiraillements internes avec le Hamas et les nouveaux rapports de force entre la Turquie et l’Egypte. L’AP doit naviguer au milieu de tout cela. » Pour le diplomate suisse, si les tactiques varient, la stratégie palestinienne n’a toutefois pas bougé depuis la résolution votée par le Conseil national à Tunis en 1988 : faire respecter les résolutions 242 et 338 des Nations unies et récupérer Jérusalem-Est.
6 juillet 2010 - Le Temps
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