samedi 12 juin 2010

Israël et le spectre de la Shoah

Ecrit par L. Moulard
11/06/2010
Il y a probablement une dimension relevant de la psychanalyse dans l'imaginaire collectif en Israël. Comme le violeur qui a été violé dans son passé, même si je n'irai pas jusqu'à dire que pour vivre avec, un processus d'érotisation du traumatisme de la Shoah a eu lieu.
Cependant, les positions européennes et états-uniennes restent empreintes de ce traumatisme. Traumatisme de ne pas avoir ouvert les yeux à temps. "On aurait pu intervenir plus tôt". Comment sanctionner le violeur lorsqu'on a été complice du drame déclenchant sa psychose ?
Image Certes, cela n'explique pas tout et la métaphore est imparfaite. Surtout que l'on assiste à un tournant générationnel : Obama, Sarkozy, Cameron & Cie n'ont pas vécu la Seconde Guerre Mondiale. La mémoire des Etats n'est certainement pas aussi courte que celle des gens, mais il apparaît de plus en plus que les opinions publiques portent moins la culpabilité du génocide contre les Juifs.
D'un autre côté, il y a cette espèce d'auto-censure du politiquement correct qui pousse les gens à enfouir et enfouir encore leurs sentiments à l'égard de certains actes de l'Etat hébreux. Si bien que l'on assiste parfois au lâché de vapeur. Le couvercle de la cocotte-minute s'ouvre et des relents anti-Juifs s'échappent. Vicieuse est la manière dont la Shoah poursuit encore les Juifs.
Car c'est sur la Shoah que s'est fondée la légitimité de l'existence d'un Etat pour les Juifs. La Shoah, l'Affaire Dreyfus, les pogroms... On ne peut le contester. Cependant, lorsque des rescapés d'Auschwitz montent à la tribune pour défendre l'Etat hébreux contre les réactions d'hostilité suite à des actes indéfendables, et ce en brandissant l'étendard de la Shoah, c'est une autre histoire. C'est justement l'histoire de "la boucle est bouclée". On ramène la Shoah au devant de la scène, mises en garde contre un nouvel holocauste, croyant ainsi défendre la cause des Juifs. Mais on perpétue cette situation ambivalente pleine de perversité en maintenant le monde dans sa culpabilité.
De la culpabilité, on enfouit, on enfouit encore, puis de la vapeur anti-sémite s'échappe. On enfouit une fois de plus, et un jour... On explose ? Un jour, on en vient à dire des bêtises anti-sémites. "On en a marre de ces Juifs". La mémoire de la Shoah, dont la raison d'être tient en "plus jamais ça", cette mémoire lorsqu'elle est exacerbée en culpabilité, perpétue le sentiment anti-juif.
La situation d'exception dans le droit international qui en découle, pousse forcément à la révolte quand une sanction servirait mille fois mieux la cause d'Israël et sa sécurité au Moyen-Orient. Car suivant une certaine logique, la situation d'exception de l'Etat hébreux donne en même temps une légitimité pour des actes d'exception à des Etats comme l'Iran, à des acteurs comme le Hamas. Lorsqu'il n'y a plus de règles, le chaos se présente, sourire au lèvre. Et c'est l'escalade.
Alors pourquoi Israël ne veut-il pas se ranger dans la rassurante routine du droit international lorsqu'il sait que les Etats-Unis et l'Europe, qui concentrent plus de la moitié des sièges au conseil de sécurité de l'ONU, sont liés à lui, presque coûte que coûte ? Serait-ce un sentiment de peur d'être abandonné, "les autres pourraient ne pas arriver à temps", qui le pousse à prouver qu'il peut se défendre seul ? Ou bien Israël pense-t-il qu'il est déjà seul ?
L'angélisme du droit international n'a jamais sauvé un peuple, malheureusement. Seul la realpolitik et l'équilibre des forces comptent. Mais lorsque Israël transforme un conflit territorial en conflit religieux et civilisationnel pour s'attacher l'engagement occidental, l'Iran et la Turquie, l'Indonésie et le milliard de musulmans entrent également dans la danse. Comment un pays de 7,5 millions d'habitants et grand comme un département français peut ne pas être dépassé ?
N'est-ce pas lorsque l'on est dépassé que l'irrationnel et la démesure prennent le pas ?
Un pouvoir ne s'arrête que lorsqu'il trouve un autre pouvoir pour l'arrêter. Israël ne fait pas exception, et il ne se reconnaît aucune limite. La colonisation continue, ses champignons poussent aux endroits stratégiques. Politique du fait accompli, le temps jouant pour lui. Avec le temps, seuls les échanges territoriaux seront possibles, en l'occurrence les terres riches en eau contre des bouts du désert du Neguev.
Aucun dirigeant israélien n'est assez fort pour imposer une décision raisonnable. Et typique de nos sociétés faussement démocratiques, faussement laïques, c'est toujours l'homme providentiel, le messie que l'on attend pour changer la donne. C'est peut-être le plus triste dans l'histoire. On en vient à s'en remettre au coup d'éclat, à la fortune, à un messianisme sorti de derrière les fagots. A quoi bon crier "Démocratie !" à travers le monde quand nous-même nous ne croyons plus en sa capacité à changer les choses ?