jeudi 17 juin 2010

Aéroport Ben Gourion : plate-forme pour la panique ethnocentrique d’Israël

jeudi 17 juin 2010 - 05h:43
Avirama Golan - Ha’aretz
Il est difficile de convaincre l’opinion juive en Israël que ce qui se pratique à l’aéroport international Ben Gourion relève d’une injustice méthodique, si ce n’est pire. La panique ethnocentrique sape le principe de l’égalité civile.
(Ethnocentrisme : tendance à considérer sa propre culture comme la norme de toutes les autres.
Le Petit Larousse 2008)
Dans une petite pièce latérale de l’aéroport...
(JPG) Voici une histoire qui n’est connue seulement que de quelques citoyens d’Israël. Remontons à quelques semaines, un professeur en sociologie de 43 ans, de l’université hébraïque de Jérusalem, membre de la rédaction de la prestigieuse revue scientifique Sociology, boucle sa valise et se rend à l’aéroport international Ben Gourion. De là, il compte décoller pour Londres, où il est invité à la réunion annuelle du conseil de rédaction de la revue. Il suit sa file, montre son passeport et son billet d’avion et aussitôt, on le dirige sur une file séparée.
Ce conférencier, qui s’appelle Nabil Khattab et qui vit à Beit Safafa, n’est pas surpris. Il le dit, il accepte avec complaisance les contrôles même longs pour la sécurité, et notamment qu’on lui ouvre sa valise, qu’on fouille son bagage à main et aussi son ordinateur portable. Il accepte même les questions inquisitrices (où il va ? qui il va rencontrer ? où est l’invitation ? qui est la personne qui l’a invité ? donnez le nom des personnes ; y a-t-il des représentants de pays ennemis ? qui est-ce ?), bien que la relation entre tout cela et la sécurité lui échappe quelque peu.
Ces dernières années, le contrôle sécurité est devenu d’un compliqué, lourd, éreintant, un contrôle qui atteint son summum quand on doit aller dans une petite pièce sur le côté. La personne sur laquelle on veut enquêter est donc conduite dans la pièce et là, elle endure un contrôle corporel minutieux - les cheveux, les oreilles, le cou, les aisselles, chaque centimètre de son corps jusqu’à la plante des pieds, en passant par les parties intimes. Même ce contrôle humiliant, Khattab l’accepte docilement.
Pourtant cette fois, l’agent sécurité veut lui sonder la partie basse du corps avec un bâton recouvert d’un tissu, et il commence à le rentrer dans le pantalon de Khattab.
« C’était déjà intolérable, » raconte-t-il, « Je ne pouvais ne rien dire. Avec la plus grande retenue possible, j’ai demandé à l’agent d’arrêter. Ça n’a aucun rapport avec la sécurité, lui ai-je dit. Si vous me soupçonnez de transporter sur moi des explosifs et du métal, passez-moi au détecteur de métal et si la machine bipe, je reviendrai pour votre examen. »
L’agent répond que s’il n’est pas d’accord pour subir l’examen avec le bâton, il ne sera pas autorisé à prendre son avion. Khattab explique, il représente l’université hébraïque dans une importante revue scientifique, il ne peut pas ne pas être présent à la réunion.
En vain. Furieux et offensé, il prend sa valise et s’en va. Dix minutes plus tard, Khattab change d’avis, mais quand il essaie de revenir dans la pièce latérale, on lui dit que puisqu’il a quitté le terminal voyageurs, il lui faut repasser le contrôle en reprenant depuis le début. Quand, finalement, il arrive à la pièce, l’agent sécurité lui demande de retirer son pantalon. « Je ne l’ôterai que si vous le demandez à tous les passagers, » répond-il, et il rentre chez lui.
Son épouse le convainc de ne pas laisser tomber. Il prend une place sur le vol suivant pour Londres, paie la différence et retourne à l’aéroport. Le contrôle se déroule relativement rapidement, toujours avec un contrôle corporel. Mais sans bâton.
Voilà. La question qui se pose, c’est de savoir si un contrôle intrusif avec un bâton est bien nécessaire. Si oui, pourquoi ne lui a-t-on pas fait la deuxième fois ? Si non, pourquoi ont-ils voulu lui faire la première fois ?
N’empêche que, même sans bâton, le contrôle sécurité des citoyens arabes d’Israël est nettement différent. Même les autorités aux Etats-Unis, qui se sont laissé emporter par la paranoïa depuis le 11 Septembre, même elles ont réalisé qu’il était impossible de faire des contrôles sécurité par « profiling » (contrôle au faciès) et elles ont décidé d’effectuer des contrôles aléatoires sur l’ensemble des passagers. En Grande-Bretagne et en Allemagne, ils procèdent à un contrôle approfondi de tous les passagers : c’est beaucoup plus cher et beaucoup plus long, mais cela évite de violer les droits civils.
Aujourd’hui, il est difficile de convaincre l’opinion juive en Israël que ce qui se pratique à l’aéroport international Ben Gourion relève d’une injustice méthodique, si ce n’est pire. La panique ethnocentrique sape le principe de l’égalité civile. Peut-être que s’ils ouvraient aussi les valises des Levy et des Cohen, s’ils leur posaient ces innombrables questions personnelles et sondaient leur corps avec un bâton, peut-être que le système reverrait ses contrôles sécurité !?
Aujourd’hui, nous n’avons pas la Knesset qu’il faudrait pour décider cela. Peut-être que la Haute Cour de justice, qui est saisie à ce sujet, sera en mesure de le décider.
16 juin 2010 - Ha’aretz - traduction : JPP