dimanche 23 mai 2010

Le Mur en Palestine : barrages et passages

dimanche 23 mai 2010 - 06h:00
Dominique Muselet
J’ai eu l’occasion de faire dernièrement un petit périple dans le nord d’Israel où j’ai eu des contacts avec des Arabes israéliens et palestiniens et avec des Juifs qui oeuvrent dans des organisations des droits de l’homme. Une d’elles s’appelle Machsom Watch.
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Mai 2006 - Anata/Shu’fat Checkpoint - Photo : Neta Efroni
Elle est composée de femmes juives qui se sont donné pour mission de maintenir une présence aux barrages érigés par l’état d’Israël le long du Mur entre Israël et les territoires occupés qu’on appelle pudiquement en Israël "les territoires" pour ne pas prononcer "occupés" ou "Palestine".
La langue de bois a atteint un niveau de subtilité ici digne des pires oppressions de l’histoire de l’humanité. Ainsi le mot "Machson" (barrage) lui-même n’est plus employé par l’armée qui l’a remplacé par le mot "maavarim" qui veut dire passage. Evidemment ça change tout !
Ces femmes juives sont là, en tant que témoins devant lesquels Tsahal, l’armée israélienne et ses sous-traitants n’osent pas se conduire trop mal avec les Palestiniens et elles interviennent auprès des soldats ou de leur hiérarchie pour essayer de résoudre les cas les plus dramatiques. Beaucoup passent leurs journées au téléphone et en démarches pour la plupart inutiles.
J’ai visité 3 barrages à Bartaa avec deux femmes de Machsom Watch.
Bartaa est un endroit un peu particulier. C’est une ville [1] qui est pour moitié Palestinienne et pour moitié Israélienne, car la ligne verte, frontière de 48 prescrite par l’ONU, passe au milieu de la ville.
Les habitants de la partie palestinienne du village sont enfermés entre le Mur d’un côté, situé à l’extérieur de la ville en plein territoire palestinien, et la ligne verte, qui coupe le village en deux. Ils n’ont pas le droit d’aller en Israël, c’est-à-dire dans la partie Israélienne du village, de laquelle aucun barrage ne les sépare, mais ils sont coupés de leurs terres (ils sont pour la plupart agriculteurs) et de leur pays, la Palestine, par le Mur érigé à la sortie de leur ville.
Le plus grand de ces barrages, territoire de l’armée Israélienne sur le sol Palestinien, ressemble à une prison entourée de grilles et de barbelés surmontée de tourelles et de tours d’où des soldats braquent en permanence des armes sur les palestiniens qui se présentent a l’entrée des 100 mètres de couloir grillagé qui les mènent aux pièces intérieures où ils doivent se déshabiller après avoir présenté leurs papiers.
La plupart veulent simplement venir dans la partie Palestinienne de Bartaa qui est devenue une sorte de no man’s land commercial où les Israéliens viennent profiter des produits palestinien et de la main d’oeuvre bon marché.
Les Palestiniens qui veulent aller en Israel, doivent avoir un permis spécial et ce permis est si difficile à obtenir que beaucoup de Palestiniens se rendent en Israël sans permis pour essayer de gagner deux sous au noir ; s’ils sont attrapés ils vont en prison.
Les Palestiniens ne savent jamais combien de temps il va leur falloir pour arriver de l’autre cote du barrage, alors ils se sont levés a 3 ou 4 heures du matin, ils sont venus à pied ou en taxi collectif jusqu’au barrage car même s’ils ont une voiture, ce qui est rare, ils n’ont pas le droit de la passer du côté israélien. Des taxis israéliens attendent donc de l’autre coté et les emmènent sur leur lieu de travail.
A côté du passage piéton, une vingtaine de voitures et camionnettes, toutes au bord de la ruine attendent, sous le soleil brûlant, de pouvoir passer. La moitie est chargée de fruits, légumes, oeufs et autres produits frais dont Israël est friand parce qu’ils sont très bon marché. C’est pourquoi on les laisse passer mais cela prend des heures.
Chaque chargement est entièrement démonté et attend là, en plein soleil. Des chiens sont amenés pour renifler tous les coins de la voiture. Les chauffeurs palestiniens maigres et loqueteux se protègent comme ils peuvent du soleil en se couchant par terre le long de leur véhicule.
Le contrôle est effectué par une société de sécurité. Les soldats de Tsahal les encadrent seulement et ne se salissent plus les mains depuis que l’armée s’est aperçu que ce "travail" avait une influence négative sur les recrues.
Pour donner a cet ensemble carcéral un air printanier, des fleurs et des arbres ont été plantés récemment le long des grillages et les Palestiniens qui n’ont pas d’eau dans les territoires car elle est confisquée par Israël assistent a l’arrosage soigneux des espaces verts du barrage.
Pendant ce temps, les voitures des colons juifs passent librement sur une allée parallèle à celle ou les Palestiniens attendent des heures en plein soleil.
Je contemple tout ce dispositif inhumain fait de violence et de cruauté gratuites et je me sens hébétée, déprimée, impuissante, même pas en colère, bizarrement car tout le monde ici, Palestiniens comme Juifs, fait figure de rouages d’une infernale machine de déshumanisation et destruction que plus personne en Israël ne contrôle et qui un jour, à force d’escalade, explosera et détruira tout le monde, les bourreaux comme les victimes, si personne ne la débranche.
La partie palestinienne de Bartaa où les Israéliens circulent librement, est devenue un immense bazar où l’on trouve de tout, même des ateliers de couture où les femmes palestiniennes des territoires occupés, qui ont de la chance, peuvent venir se faire exploiter.
Les Israéliens viennent y acheter, en toute sécurité, les marchandises palestiniennes infiniment moins chères que les produits israéliens.
Les Palestiniens, acculés par la misère au point qu’ils ne survivent que grâce à l’aide internationale (Gaza fait partie des 10 endroits les plus pauvres du monde, et le reste de la Palestine est à peine mieux lotie) viennent y vendre le peu qu’ils ont, pour presque rien. Ils n’ont pas le choix, ils n’ont pas d’autre débouché.
Pardon, je me trompe, ils ont une autre possibilité, ils travaillent aussi pour les colons juifs des colonies juives "légales" et " illégales" qui les exploitent encore plus quand ils ne volent pas carrément leurs terres et leurs olives....
Les deux autres barrages sont beaucoup plus petits.
Le deuxième barrage permet a des enfants palestiniens d’aller à l’école qui est restée de l’autre cote du Mur et à des paysans d’aller travailler à leurs champs eux aussi restés de l’autre côté du Mur, en faisant un grand détour car il est interdit aux Palestiniens d’emprunter, de traverser ou de s’approcher de la magnifique route réservée aux colons juifs.
Le troisième barrage qui est constitué de barbelés avec des portes et cahutes à l’abandon, n’est ouvert que deux heures par jour pour permettre à d’autres Palestiniens d’aller à d’autres champs. Il y avait là 3 soldats de Tsahal, deux garçons et une fille de 20 ans, avec tout leur harnachement et leurs armes sous un soleil de plomb qui faisaient autant pitié que les Palestiniens.
Tous ces barrages (il y en a des centaines dont une grande partie se trouve a l’intérieur des territoires Palestiniens eux-mêmes) se ferment au moindre prétexte et sont bien sur complétement fermés pendant les fêtes juives.
Les territoires occupés et surtout Gaza sont une grande prison où les prisonniers arabes affamés et humiliés ne rêvent que de s’immoler pour retrouver leur liberté.
Les territoires occupés sont interdits aux Juifs pour raison de sécurité mais de toutes façons les Juifs en général et les Juifs israéliens en particulier ne veulent pas savoir ce qui s’y passe (il leur suffirait pourtant de lire Haaretz qui a condamné et décrit l’occupation depuis le début et qui est un des meilleurs quotidiens du monde) et l’Europe et les USA, soutiennent Israël, leur bras armé au Moyen-orient.
[1] En Israël, il y a très peu de villes ou villages où les Arabes et les Juifs vivent ensemble. J’en connais trois, Haifa, Jaffa et Névé Shalom. Dans l’état hébreu, Les agglomérations où vivent les Arabes israéliens sont toutes appelées " village arabe ", quelle que soit leur taille.
25 septembre 2007 - Communiqué par l’auteure
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8742