mercredi 24 mars 2010

"Israël sait qu’il n’a de comptes à rendre à personne"

mardi 23 mars 2010 - 06h:30
Une interview d’Amer Makhoul - Ittijah
Interview réalisée par le journaliste Alejandro Fierro.
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Assurée d’une totale impunité, l’armée israélienne d’occupation ne se sent forte que lorsqu’elle s’en prend à des enfants et d’une façon générale à des gens sans défense.
Il semble que la situation spécifique de la communauté palestinienne d’Israël est éclipsée par la problématique des Territoires Occupés (Gaza et la Cisjordanie)
La perception générale est que notre cause se réduit à la Cisjordanie et à Gaza, à l’exclusion du reste : les réfugiés, les Palestiniens de 1948, c’est à dire de nous qui sommes 1,4 million. En fait, même Israël essaie de déligitimer notre rôle essentiel dans la cause palestinienne, par le biais de certaines lois comme celles qui interdisent le droit de commémorer la Nakba (la “catastrophe”, comme les Palestiniens appellent la guerre de 1948) ou la tentative de nous imposer un serment de loyauté. Cette délégitimation n’est pas l’initiative d’un gouvernement en particulier, mais elle émane d’un consensus social.
Quelle est la situation actuelle de ces (quasi) 1,5 million de personnes ?
C’est une situation de risques et de périls, malgré tous les efforts que réalise Israël pour donner une image de pays démocratique. Après s’être “déconnecté” de Gaza en 2005, Ariel Sharon a commencé à évoquer le développement de la Galilée et du Néguev où vivent la plupart des Palestiniens d’Israël. Le “développement” signifie la confiscation de terres et la construction de colonies juives proches ou à l’intérieur des communautés palestiniennes. En outre, il y a près de 300.000 réfugiés, des personnes qui ont été expulsées en 1948 de plus de 500 villes et villages. Ce sont des réfugiés sur leur propre terre. Mais il y a un autre problème : la situation de 100.000 personnes qui vivent dans des petits villages qui ne sont pas reconnus par les Hébreux malgré leur existence antérieure à la création d’Israël. La plupart de ces personnes sont des bédoins. Or il y a un plan pour donner à 59 familles juives des terres du Néguev dont l’étendue dépasse celles qu’occupent les bédoins. Ainsi se réalise le rêve de Ben Gourion de judaïser le Néguev aux dépends des Palestiniens. Enfin, nous ne devons pas oublier les 42.000 habitations palestiniennes sur lesquelles pèse un ordre de démolition.
Que peut-on faire pour intégrer les Palestiniens de 1948 dans le conflit palestinien ?
En premier lieu, il faut lutter contre le discours historique hégémonique en vogue en Israël selon lequel notre cause se limite à Gaza et à la Cisjordanie et qu’elle est une conséquence de la guerre de 1967. La réalité est que le conflit commence en 1948 avec la partition, décrétée par les Nations Unies, et la guerre qui s’ensuit. 1967 n’est qu’une étape du conflit. Dans la chronologie, il faut inclure le fait que le conflit commence en 1948 et, pour cette raison, la situation des Palestiniens qui vivent en Israël, celle des réfugiés, le droit au retour ou la question de Jérusalem constituent une partie essentielle dans la résolution du problème, ce qu’Israël ne cesse de nier, bien évidemment. Cependant le plus gros problème est l’occupation militaire.
Y a-t-il encore en Israël des organisations et mouvements avec lesquels vous pouvez travailler ?
Très peu et la collaboration est de plus en plus marginale. En plus nous n’avons pas l’espoir de les voir modifier l’opinion des Israéliens. Il y a en ce moment un consensus total en Israël pour ignorer les droits du peuple palestinien, refuser le retour des réfugiés ou conserver Jérusalem Est occupé comme leur capitale. Ce qui peut vraiment faire changer l’attitude des Israéliens, c’est la résistance palestinienne et surtout la pression internationale. Les Etats-Unis et l’Union Européenne doivent assumer une fois pour toutes leurs responsabilités. Israël se sent de plus en plus fort et sait qu’il n’a de comptes à rendre à personne. Les USA surprotègent Israël et l’Union Européenne est incapable de tenir ses promesses. Pour cette raison, les deux sont coupables de ce crime.
Barack Obama peut-il changer quelque chose ?
La relation entres les Etats-Unis et Israël est plus forte que le président américain. La question n’est pas de savoir ce que pense Obama mais ce que pense la société américaine, et les USA n’ont pas modifié leur perception du Moyen-Orient. Il y a également une responsabilité des protagonistes arabes face aux Etats-Unis, de la Ligue Arabe et de l’Autorité Palestinienne.
Et peut-on espérer quelque chose de la part de l’Union Europénne ?
La dérive vers la droite de l’Europe avec la débacle des partis socio-démocrates remplit de joie Israël. La social-démocratie montrait un certain soutien au peuple palestinien. De plus, la posture de l’Union Européenne est de plus en plus faible face aux États-Unis. Avant l’instauration de l’U.E., l’Allemagne ou la France avaient une politique spécifique. L’unification a signifié paradoxalement un affaiblissement politique de l’Europe. Finalement l’U.E. considère le Moyen-Orient sous un angle économique et Israël constitue, pour les entreprises européennes, un bon endroit où elles peuvent investir.
Quelle est relation entre les Palestiniens de 1948 et ceux des Territoires Occupés ?
Nous sommes un seul peuple, une seule nation. Malgré la séparation imposée par Israël et malgré les différences dans les prérogatives de chaque communauté, il y a un très fort sentiment d’unité et d’appartenance. Un sentiment que les autorités israéliennes essaient de détruire. Par exemple, plus de mille activistes qui s’opposaient au siège de Gaza ont été interrogés l’an dernier par la Shabak (service secret d’Israël) à cause des programmes qu’ils menaient pour interconnecter les Palestiniens de Gaza, de la Cisjordanie, d’Israël et de la diaspora. En tant que peuple, nous avons le droit d’établir une relation entre nous en dépit de la volonté des Juifs d’interdire tout contact.
Y a-t-il une solution pour que cesse l’affrontement entre le Fatah et le Hamas ?
C’est un conflit très douloureux mais il faut d’abord mettre au clair un point : contrairement à ce que les Israéliens essaient de nous faire croire avec ce prétendu débat Hamas / Abou Mazen et Abou Mazen / Hamas, les principaux acteurs palestiniens ne sont ni le Fatah ni le Hamas. Par exemple, les Palestiniens de 1948 sont partisans de la résistance à l’occupation et sont complètement désabusés vis à vis du processus de paix. Sur ce point il y a une grande similitude avec le Hamas. Mais cela signifie-t-il qu’ils soutiennent le Hamas ? Pas forcément. En ce qui concerne l’affrontement entre le Fatah et le Hamas, la communauté internationale ne peut pas éluder sa responsabilité car le principal crime dans toute cette affaire a été de ne pas respecter les résultats des élections.
Quelle solution les Palestiniens d’Israël préfèrent-ils ? Deux États ou un seul État ?
Il n’y a pas de consensus sur ce sujet. Je dirais cependant que la majorité opte pour une solution de deux États, mais moi je m’incline pour un seul État avec deux groupes nationaux. La solution de deux États n’est pas viable parce qu’Israël est colonial par nature et poursuivrait ses pratiques coloniales comme il l’a fait jusqu’ici. L’option d’un seul État a de moins en moins d’adeptes et en même temps il y a de plus en plus de personnes qui reconnaissent l’impossibilité de résoudre tous les aspects du problème dans le cadre de deux États : les réfugiés ne sont pas une problématique de deux États, les Palestiniens de 1948 ne le sont pas non plus etc... Quoi qu’il en soit, le plus urgent est peut-être de lutter d’abord pour les droits du peuple palestinien et d’étudier ensuite les contours d’un État qui nous encadrerait.
Un sujet important : la stratégie de judaïsation de certaines villes comme Nazareth, Acre ou Jérusalem avec l’expulsion de la population arabe et l’établissement de communautés juives.
Les plans de judaïsation font partie du stratagème complexe de colonisation d’Israël, de sa sécurité etc.. Depuis 1948, ils ont créé des centaines de villages, de villes, de kibboutz, de colonies mais il ne s’est créé aucune nouvelle communauté palestinienne. La stratégie est claire et consiste à installer au milieu des populations arabes les colons qui étaient implantés à Gaza ou dans des écoles militaires ou religieuses (les “yéshivas”). Nazareth et Acre sont deux exemples de l’établissement de Juifs au sein des communautés palestiniennes ou en périphérie pour mettre un frein à ce que la terminologie hébraïque définit comme “l’invasion palestinienne des voisinages juifs”.
Quel rôle la religion joue-t-elle dans ce conflit ?
Ce n’est pas un problème de religion. Les Juifs ultra-orthodoxes ne sont pas les plus radicaux vis à vis des Palestiniens. Leur fondement n’est pas le sionisme, mais la Torah. Le problème, ce sont les sionistes (qu’ils soient laïques ou religieux) et non la religion juive. Quant à l’islamisme, ce n’est qu’une facette de la société arabe. Dans la communauté palestinienne d’Israël, on peut trouver des islamistes, des communistes, des nationalistes, des démocrates... Cette pluralité est une caractéristique de tous les Palestiniens et notre plateforme, Ittijah, a des responsabilités vis à vis de toute la communauté et non d’une seule partie de celle-ci.
Ittijah dénonce constamment le caractère raciste d’Israël, un État qui se définit comme “la seule démocratie de la région”.
Le Liban est beaucoup plus démocratique qu’Israël. Même l’Autorité Palestinienne est plus démocratique qu’Israël malgré le fait que les élections se déroulent sous occupation militaire. Israël ne peut se targuer d’être une démocratie. C’est un produit clairement colonial. Avigdor Lieberman (le Ministre des Affaires Étrangères, leader du parti ultra-nationaliste et xénophobe Yisrael Beitenou) n’est pas un produit du racisme mais un produit d’Israël, le fruit de ce qui se vit dans la rue. Tous les gouvernments d’Israël ont été responsables des guerres, des lois racistes qu’ils ont approuvées et pas uniquement Lieberman. Si Shimon Péres, responsible de très graves crimes contre l’humanité reçoit le Prix Nobel de la Paix, alors il faudrait aussi le donner à Le Pen. C’est un type de colonialisme très centre-européen. Israël a été créé comme un État raciste et colonial et son système, raciste et discriminatoire est plus fort que Netanyahou ou Lieberman.
Ittijah soutient la campagne de boycott, de désinvestissements et de sanctions contre l’État d’Israël.
C’est une campagne très importante parce qu’elle se base sur l’idée qu’Israël doit payer un prix pour son attitude et que la communauté internationale doit assumer ses responsabilités. Et cela est fondamental. Israël doit payer pour ce qu’il fait. Jusqu’à ce jour, Israël démolit des immeubles et des infrastructures à Gaza qui ont été construits avec l’argent de l’Union Européenne et voilà qu’ensuite l’Europe redonne de l’argent pour reconstruire ce qu’Israël a détruit.
* Amer Makhoul est le fondateur et actuel directeur de Ittijah, la plate-forme qui fédère 64 organisations de Palestiniens résidents en Israël (ceux qu’on appelle “Palestiniens de 1948”). Ittijah oeuvre pour la reconnaissance de cette communauté comme faisant partie intégralement de la cause palestinienne et travaille constamment à la dénonciation de la discrimination à laquelle Israël soumet les Palestiniens de 1948.
10 février 2010 - En Lucha - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.enlucha.org/?q=node/1921
Traduction de l’espagnol : Sami Zannad
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8400