samedi 9 janvier 2010

“Ils m’ont viré de mon boulot, et je ne sais pas pourquoi”

Cisjordanie - 09-01-2010
Par Khaled Amayreh
Sous couvert de lutter contre l’influence du Hamas en Cisjordanie, l’Autorité Palestinienne basée à Ramallah a licencié des centaines d’enseignants et autres fonctionnaires de leurs postes pour des “raisons de sécurité” non expliquées. Les licenciements ont été ordonnés par les services de sécurité financés par les Etats-Unis, comme les Renseignements Généraux (Mukhabarat) et la Force de Sécurité Préventive (PSF), l’une et l’autre tristement célèbres pour leur violation systématique des droits humains et civils des citoyens palestiniens.


L’Autorité Palestinienne ne communique pas les raisons exactes qui se cachent derrière ces licenciements et invoque souvent le mantra que « le gouvernement a le droit de licencier tout fonctionnaire sans explication. »

De plus, les services de sécurité ont donné instruction à certains groupes pour les droits de l’homme de cesser de recevoir les plaintes de victimes de la politique de renvoi, en violation flagrante de la loi.

Se considérant comme injustement traités, de nombreux enseignants lésés ont dernièrement décidé de poursuivre l’Autorité Palestinienne, dans l’espoir que le système juridique palestinien, qui lutte pour se débarrasser de l’intervention invasive et du mépris effronté de l’appareil sécuritaire, écoute leurs griefs.

Toutefois, étant donné l’hégémonie manifeste des agences de sécurité sur tous les aspects de la vie en Cisjordanie, il est plus que vraisemblable que les fonctionnaires congédiés continueront de souffrir, du moins jusqu’à ce que la règle du droit soit restauré et que la structure d’Etat policier prenne fin.

L’une des conséquences tragiques de cette véritable inquisition dirigée principalement contre les fonctionnaires à orientation islamique est que beaucoup des licenciés ont cherché du travail dans les colonies juives pour continuer à subvenir aux besoins de leurs familles.

D’autres envisagent même de partir, voire d’émigrer définitivement. Malheureusement, le gouvernement de l’Autorité Palestinienne n’a pratiquement rien fait pour endiguer ce phénomène scandaleux.

Cette semaine, un des enseignants licenciés, viré du jour au lendemain de son travail il y a plusieurs mois pour des raisons qu’il dit ne pas connaître ni comprendre, a décidé de poursuivre, entre autres, le Premier Ministre de l’AP Salam Fayyad et le Ministre de l’Education.

Ce qui suit est un extrait d’un appel qu’il a décidé de faire circuler publiquement, dans l’espoir d’obliger le gouvernement de l’AP de le rétablir à son poste.

“Je m’appelle Ahmed M. Abdul Qader Qazzaz, j’ai 43 ans, je suis marié et j’ai cinq enfants. J’habite la ville Dura, près d’al-Khalil (Hébron), et j’ai obtenu une maîtrise de Littérature anglaise à l’Université d’Hébron en 1991.

Je viens d’une grande famille combattante qui a constamment privilégié et continue de privilégier l’enseignement. De plus, ma famille a une longue histoire de résistance à l’occupation israélienne. Mon oncle paternel, Ahmed, a été tué le 28 février 1966 pendant un affrontement armé avec l’armée israélienne près de Beir al-Saba’, près de l’ancienne ligne d’armistice.

Mon père, qui a 70 ans, a été arrêté plusieurs fois par les autorités de l’occupation israélienne et a passé six ans en détention israélienne pour des faits de résistance (il a aussi été arrêté par les autorités jordaniennes avant 1967).

Mes frères Abdul Qader, Anwar, Amjad et Mahmoud ont été arrêtés eux aussi par les Israéliens à différentes occasions, et Mahmoud a été incarcéré pendant 5 ans, accusé de faire partie de la branche militaire du Fatah, les Brigades des Martyrs Aqsa, dans les collines du sud d’Hébron.

Néanmoins, il semble que cette longue histoire de résistance contre les occupants sionistes ont peu impressionné les autorités sécuritaires de l’AP, comme le prouve les mauvais traitements et les persécutions subis par notre famille.

En 1996, j’ai été embauché comme enseignant dans un pensionnat local, l’Ecole islamique al-Siddiq (un établissement privé). En 2006, j’ai décidé d’intégrer une école publique pour bénéficier d’une retraite. J’ai réussi l’examen des nouveaux enseignants avec les meilleures notes de tous les candidats. La même année, le Ministère de l’Education m’a embauché officiellement comme enseignant du secteur public mais m’a demandé de rester au pensionnat islamique tout en continuant à percevoir mon salaire du gouvernement, comme n’importe quel autre fonctionnaire.

En avril 2009, on m’a notifié que j’avais un problème avec les Renseignements Généraux et que je devais le régler avec eux. Lorsque je suis allé dans leurs bureaux à Dura, on m’a dit que le problème était résolu et que je serais rétabli rapidement à mon poste.

Néanmoins, la dernière semaine d’octobre 2009, j’ai eu la surprise de recevoir une lettre laconique me disant que j’étais licencié parce que les deux services de sécurité, les RG et la Force de Sécurité Préventive ne voulaient pas m’accorder une habilitation. Cette lettre m’a choqué parce que j’ai toujours été un très bon enseignant, sans affiliation politique ni passé d’activisme politique.

Décidé à ne pas me soumettre à cette injustice pure et simple, j’ai décidé de poursuivre en justice le Premier Ministre Salam Fayyad et le Ministre de l’Education, ainsi que deux autres responsables. Mon affaire porte le numéro 2900/876 et est en attente auprès de la Haute Cour palestinienne de Justice à Ramallah.

En réalité, je ne suis pas la seule cible des persécutions de l’appareil sécuritaire de l’AP.

Il y a deux ans, ma sœur Haifa a été licenciée de son poste d’enseignante en dépit du fait qu’elle excellait dans son domaine de compétence, comme le prouve son dossier. Elle aussi fait appel à la justice.

De plus, mon frère Omar a lui aussi été licencié de son poste d’enseignant 9 jours à peine après sa nomination. Lui non plus n’a reçu aucune raison convaincante pour expliquer ou justifier son licenciement brutal.

Et il y a quelques mois, ce fut mon tour.

J’en appelle donc et j’exhorte le Premier Ministre Fayyad et son gouvernement à reconsidérer cette pente grave et dangereuse qui sape gravement le processus éducatif et attaque son caractère sacré et sa crédibilité.

En tous cas, c’est l’expression d’une mauvaise gouvernance que de mettre le champ éducatif à la merci des fluctuations politiques en Palestine occupée, car celle a de fait des conséquences désastreuses sur la qualité de l’enseignement que reçoivent nos enfants.

J’en appelle et j’exhorte également, dans les termes les plus forts, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et son Conseil central et révolutionnaire à réintégrer immédiatement mon frère, ma sœur et moi-même à nos postes.

Enfin, je fais appel au Ministère de la Justice et à la Haute Cour de Justice pour défendre la valeur de la justice dans notre pays tourmenté. En effet, si nous ne promouvons pas la justice dans notre traitement mutuel, comment pouvons-nous attendre des autres qu’ils nous traitent équitablement ?"
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=13234&type=temoignage&lesujet=Collabos