lundi 30 novembre 2009

Processus de paix : les Palestiniens sans stratégie

publié le dimanche 29 novembre 2009

Laurent Zecchini
Les quelques protestations, émanant de la droite du Likoud et du Conseil des colons, qui ont salué l’annonce d’un gel partiel de la colonisation dans les territoires palestiniens occupés, ont donné à la décision du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, le zeste de crédibilité qui lui faisait défaut. Mais cette initiative, jugée insuffisante par les Palestiniens, ne parvient pas à masquer une question de fond : peut-on encore parler de "processus de paix" israélo-palestinien ? Celui-ci n’a pas connu un tel état de déliquescence depuis qu’il a été engagé, deux ans avant la signature des accords d’Oslo (1993) [1] .

Cette appellation commode permet aujourd’hui aux différents acteurs de donner l’impression qu’ils sont dans un "processus" dont la paix est l’objectif, alors qu’ils ratiocinent sur la façon de l’engager. Le mouvement palestinien est profondément divisé, et l’administration américaine, après avoir fait lever de grands espoirs, n’est plus considérée comme un médiateur impartial. Israël, de son côté, paraît se figer dans l’intransigeance, sans doute enhardi par la faible résistance que lui oppose une administration Obama victime de son inexpérience.

Confronté à cette absence de perspective, le mouvement palestinien développe un sentiment de frustration qui l’incite à échafauder des alternatives relevant d’une dangereuse fuite en avant. C’est dans ce registre qu’il faut ranger la tentation de baisser les bras devant l’objectif d’obtenir deux Etats (l’un palestinien, l’autre israélien) par la négociation, la velléité de déclarer unilatéralement un Etat palestinien indépendant, le projet de démanteler l’Autorité palestinienne ou de faire ressurgir la vieille idée d’un Etat "binational".

La décision de Mahmoud Abbas de ne pas se représenter à la présidence de l’Autorité palestinienne est une manifestation de ce désarroi. M. Abbas a le sentiment que sa persévérance à maintenir le cap de la paix a été stérile, et que l’Amérique, une fois de plus, privilégie sa relation spéciale avec l’Etat juif. Il en veut pour preuve l’impunité avec laquelle le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, conforte la colonisation juive dans les territoires palestiniens occupés.

Si les Palestiniens campent sur leur exigence d’un gel total de la colonisation, c’est parce qu’ils y voient un test de la volonté de paix de M. Nétanyahou, et parce que le chef de la Maison Blanche a cautionné cette revendication. "Mahmoud Abbas ne pouvait se montrer moins "palestinien" que Obama", relève l’ancien ministre Yossi Beilin. Celui qui fut l’un des architectes des accords d’Oslo et de l’Initiative de Genève (2003), plan de paix officieux, avait annoncé par avance l’initiative de M. Nétanyahou d’accepter un gel momentané de la colonisation en Cisjordanie.

Mais comme celui-ci est limité à dix mois, ne concerne ni Jérusalem-Est ni la "croissance naturelle" (démographique) des colonies, il ne pouvait être considéré comme une concession suffisante par Mahmoud Abbas. Ce qui renvoie les Palestiniens au mouvement brownien qui les agite aujourd’hui. Le négociateur palestinien, Saëb Erakat, a avancé l’idée d’une demande de reconnaissance d’un Etat palestinien indépendant par le Conseil de sécurité de l’ONU. Il a vite fait marche arrière devant les réactions négatives des Américains et des Européens, pour qui un Etat palestinien ne peut voir le jour par un fait accompli. Yasser Arafat n’avait que brièvement agité cette menace en 1999, parce qu’il avait compris qu’elle aurait accouché d’un Etat palestinien réduit à la portion congrue, dont la marge de manoeuvre aurait été limitée à un banal conflit de frontières avec Israël.

"La solution des deux Etats reste la plus morale, souligne Sari Nusseibeh, président de l’université palestinienne Al-Qods, mais pas forcément la plus réaliste. Les Israéliens veulent un Etat juif qui leur permette de nous contrôler, que nous soyons dans leur Etat ou à l’extérieur. Leur intérêt réside clairement dans l’établissement d’un Etat palestinien, mais ils font tout pour l’empêcher."

Les ministres de M. Nétanyahou ont brandi une panoplie de mesures de représailles au cas où le mouvement palestinien persisterait dans sa démarche onusienne, révélant ainsi la vieille hantise démographique d’Israël : dans un Etat où cohabiteraient Juifs et Palestiniens, les premiers constitueront inexorablement une minorité. La seule option pour obtenir un vote du Conseil de sécurité en faveur de la reconnaissance d’un Etat palestinien pourrait être la démarche prudente du premier ministre palestinien Salam Fayyad, qui s’efforce de bâtir lentement un Etat de droit en Cisjordanie.

Mais ce scénario ne semble plus en adéquation avec l’impatience palestinienne. De plus en plus de voix s’élèvent pour défendre l’idée d’une dissolution de l’Autorité palestinienne. "C’est la seule menace crédible, explique Yossi Beilin. Elle consiste à dire aux Américains et aux Israéliens "vous n’êtes pas sérieux dans vos efforts de paix. Dès lors nous n’avons plus d’intérêt à collaborer avec vous, nous vous rendons les clés de la Cisjordanie, à vous de l’administrer."

Il s’agirait alors d’un cadeau empoisonné pour Israël, obligé de reprendre en charge, notamment financièrement, la sécurité et les problèmes quotidiens de 3,7 millions de Palestiniens. Cette perspective irait de pair avec des mouvements de désobéissance civile, une porte ouverte sur la violence. Mais il y a des garde-fous. Yossi Beilin et Sari Nusseibeh soulignent que l’establishment palestinien et les 120 000 fonctionnaires dont les salaires sont payés par l’Autorité palestinienne ont intérêt au maintien du statu quo.

Quelle que soit l’option choisie, estime le professeur Nusseibeh, "la communauté internationale doit sortir de ce monde d’illusions où l’on parle de "processus de paix ". Depuis dix-huit ans, l’échec de celui-ci est flagrant : il est temps de dénoncer cette supercherie".

[1]

Un processus long mais sans paix

1991 La conférence de Madrid rassemble pour la première fois des Israéliens et les responsables d’Etats arabes n’ayant pas normalisé leurs relations avec Israël.

1993 Signature des accords d’Oslo entre Israël et l’OLP, complétés par des accords supplémentaires en 1994 et en 1995.

1998 Renégociations d’Oslo à Wye (Etats-Unis).

1999 Oslo est renégocié en Egypte à Charm el-Cheikh. La période intérimaire pour obtenir un accord final s’est achevée sans résultats.

2000 Echec en juillet des négociations de Camp David (Etats-Unis)

2001 Les négociations de Taba (Egypte) échouent en janvier.

2003 Après trois ans d’Intifada, en juin, la "feuille de route", plan de paix international pour aboutir à un Etat palestinien en 2005, au plus tard, est lancée.

2007 Début du processus d’Annapolis pour arriver à un Etat palestinien, si possible en 2008.

2009 Washington n’obtient pas un "gel total" de la colonisation, Mahmoud Abbas, artisan des accords d’Oslo et président depuis 2005 de l’Autorité palestinienne créée par ces accords, annonce son intention de ne pas se représenter.