samedi 14 novembre 2009

« Obama doit proposer un plan d’action pour la paix »

publié le vendredi 13 novembre 2009

Entretien avec Bashar el Assad
Le président syrien s’entretient du Proche-Orient, vendredi à Paris, avec Nicolas Sarkozy. Il estime que ses relations avec Washington ne se sont pas encore suffisamment améliorées.

LE FIGARO - Monsieur le président, vous effectuez votre deuxième visite en France en moins de dix-huit mois. Et le président Sarkozy est venu entre-temps à Damas. Qu’attendez-vous de ces relations désormais excellentes entre la France et la Syrie ?

Bachar el-ASSAD. Nous disons toujours que l’Europe a un rôle à jouer s’agissant du Proche-Orient. Historiquement, il n’y a pas de doute que la France a toujours eu un rôle de pilote en Europe. Il est évident que lorsque le président Sarkozy a mis en avant son dynamisme politique, toute l’Europe l’a suivi. Un an et demi après la reprise des bonnes relations entre la France et la Syrie, nous avons d’abord bâti un climat de confiance et nous pouvons, à présent, élaborer une vision plus claire pour l’avenir.

Qu’en est-il du rôle américain ? Nous n’avons rien constaté jusqu’à présent, notamment en ce qui concerne le processus de paix. Quel sera le rôle de la France dans ce domaine ? La France doit agir, la paix sera donc le sujet principal de nos entretiens.

Le deuxième sujet est bien entendu économique. Les relations économiques franco-syriennes ont récemment commencé à bouger. Je rencontrerai un certain nombre d’hommes d’affaires français et nous verrons comment relancer, à nouveau, ces relations. À cela, il faut ajouter les relations culturelles entre nos deux pays.

Vous dites que peu de choses se sont passées depuis l’élection du président Obama ? Où en êtes-vous avec les États-Unis ?

Il est normal que, plus un pays est important, plus on attende de lui. Les États-Unis sont la plus grande puissance mondiale et jouent un rôle partout dans le monde. Il est donc normal de dire que les États-Unis peuvent faire plus que les autres. La première chose à laquelle on s’attendait de la part de la nouvelle Administration concernait la question de la paix. Nous avons enregistré un certain mouvement à ce sujet. Nous avons reçu l’émissaire américain George Mitchell. Nous avons entamé un dialogue au sujet de la paix. Mais ce dialogue n’est pas allé au-delà d’un échange de vues. Il n’y a pas eu une vision commune. Il n’y a pas eu un plan exécutif. Par ailleurs, nous nous attendions à une amélioration des relations avec la Syrie. De fait, les relations se sont améliorées, mais de manière mesurée. Nous n’en sommes pas encore au regain de confiance entre la Syrie et les États-Unis. Il y a toujours des sanctions américaines contre la Syrie. Lorsque les relations bilatérales ne sont pas bonnes, il est difficile de se diriger ensemble vers la paix, alors que les États-Unis sont l’un des principaux parrains de la paix.

Quels seraient, pour vous, les éléments qui pourraient aider à débloquer le processus de négociation de paix israélo-palestinien ?

Vous avez toujours besoin de parties prenantes qui souhaitent la paix. Vous avez aussi besoin d’un parrain ou d’un médiateur. Pour notre part, nous souhaitons la paix, et il y a d’ailleurs une initiative arabe de paix. Malheureusement, le nouveau gouvernement israélien ne souhaite pas relancer le processus de négociation, alors que la Syrie a exprimé maintes fois son désir de reprendre les négociations. La Turquie a aussi exprimé sa volonté de jouer un rôle de médiateur. Mais le point faible, c’est le parrain américain. Ce que le président Obama a exprimé au sujet de la paix était une bonne chose. Nous sommes d’accord avec lui sur les principes, mais, comme je viens de le dire, quel est le plan d’action ? Le parrain doit élaborer un plan d’action. Il doit être proactif et prendre l’initiative, ne pas rester passif en attendant que les autres agissent. Pour être clair, nous estimons qu’il y a une référence, celle de Madrid : elle s’appuie sur l’application des résolutions du Conseil de sécurité et sur le principe de l’échange de la terre contre la paix. Le gouvernement israélien doit annoncer qu’il est d’accord avec ces principes. C’est l’adoption de ces principes de base qui permettra de relancer la paix.

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a annoncé qu’il ne souhaitait pas continuer sa mission. Le regrettez-vous ?

J’entretiens de bonnes relations avec le président Mahmoud Abbas. Évidemment, nous ne sommes pas d’accord sur tout. Il y a des sujets politiques de divergence. Mais je le respecte sur le plan personnel. Je dirais qu’il a pris une décision personnelle. Je ne l’ai pas rencontré. S’il s’en va, je ne sais pas qui le remplacera. Je ne peux pas dire que je regrette ou pas sa décision. C’est la sienne. Peut-être pense-t-il n’avoir pas pu faire ce qu’il souhaitait. L’important est, en fin de compte, ce que souhaite le peuple palestinien.

Israël a saisi un bateau venant d’Iran dans lequel il y avait beaucoup d’armes probablement destinées au Hezbollah. Cette livraison permanente d’armes au Hezbollah n’est-elle pas un obstacle vers la paix ?

Premièrement, c’est un des mensonges que propage Israël. Quelle est la preuve que ces armes étaient destinées au Hezbollah ou à quelqu’un d’autre ? Il est évident qu’un État a le droit d’acheter des armes. Ensuite, où vont ces armes ? Cela le concerne et relève de sa souveraineté. La question est de savoir si Israël a le droit d’effectuer cet acte de piraterie en pleine Méditerranée et de saisir un bateau. Israël était-il mandaté par les Nations unies pour agir de la sorte ? Le problème est bien cet acte qui va à l’encontre du droit international et non pas le contenu de la cargaison du bateau. S’il est interdit à tous dans la région d’acquérir des armes, est-ce qu’Israël a le droit d’acquérir librement des armes des États-Unis et de l’Europe ? Nous pensons qu’il y a là deux poids, deux mesures. Je dois vous dire que nous ne disposons d’aucune information sur la présence d’armes à bord du navire. Je reprends simplement les hypothèses développées par les médias, mais je ne sais pas si c’est vrai ou faux.

La formation d’un gouvernement d’union nationale au Liban semble vous satisfaire. Est-ce la marque d’une normalisation durable des relations entre la Syrie et le Liban ?

Avant la formation du gouvernement libanais, j’ai affirmé publiquement et à plusieurs reprises mon soutien à un gouvernement d’union nationale au Liban. Par conséquent, la formation de ce gouvernement nous paraît satisfaisante pour le Liban. Cela instaure la stabilité au Liban. Quand il n’y a plus de division au Liban, il devient plus facile pour un pays comme la Syrie d’établir avec lui des relations normales. La formation d’un gouvernement d’union nationale signifie automatiquement une amélioration des relations syro-libanaises, en vue de leur normalisation.

Vous êtes allié de l’Iran et ami du président Ahmadinejad. Pensez-vous qu’il devrait accepter la proposition occidentale de fourniture d’uranium à la Russie et à la France pour l’enrichir, permettant ainsi la construction du nucléaire civil en Iran avec, en contrepartie, le renoncement au nucléaire militaire ?

Tout d’abord, il n’y a aucune preuve d’un projet nucléaire militaire iranien. Même sur le plan scientifique, le niveau de l’enrichissement de l’uranium atteint par l’Iran est bien loin du niveau requis pour des fins militaires. Deuxièmement, pour formuler toute opinion sur ce sujet, nous nous appuyons sur le traité de non-prolifération des armes de destruction massive. Cela donne le droit à n’importe quel État d’enrichir de l’uranium à des fins civiles.

Quant à la dernière proposition occidentale concernant le transfert de l’uranium iranien à l’étranger pour l’enrichir, cela pose une autre question : quelles sont les garanties offertes de restitution de ce combustible à l’Iran ? Les Européens proposent que l’uranium soit transféré dans sa totalité. Pourquoi ne pas le transférer de manière graduelle ? L’Iran est flexible et a accepté le transfert de l’uranium par étapes : on prend une partie pour l’enrichir et, quand elle est restituée, on en prend une autre et ainsi de suite.

Tout le débat est là, les Occidentaux veulent un transfert total, ce que refusent les Iraniens.

Ceci est logique à mon sens. Les Iraniens acceptent le transfert graduel et, comme je viens de le dire, quelles sont les garanties offertes par les Européens ? Il n’y en a aucune. Alors pourquoi l’Iran doit-il prendre ce risque ? Puisque les Iraniens acceptent le principe, l’Europe et les États-Unis devraient cesser d’exiger le transfert en une seule fois.

Notre compatriote Clotilde Reiss est toujours retenue à l’ambassade de France à Téhéran. Avez-vous bon espoir de son retour en France ?

M. Sarkozy a évoqué cette question avec moi l’été dernier et, quand j’étais en Iran, on m’a dit qu’elle avait quitté la prison pour l’ambassade. C’est également une position flexible des Iraniens. Cela veut dire que l’Iran ne veut pas en faire un problème politique, bien que la France ait adopté une position très dure après l’élection présidentielle en Iran. Je pense que vous devriez aborder cette question comme relevant de la justice et non comme une affaire politique. L’aspect politique viendra ensuite, à travers une bonne relation avec l’Iran. Voilà mon conseil.

Vous avez dit au Figaro l’année dernière : « Nous empruntons le chemin de la démocratie, mais c’est un long chemin. » Avez-vous avancé sur ce chemin et êtes-vous prêt à faire libérer les prisonniers politiques ?

C’est la justice qui libère des détenus. Nous autres, en Syrie, avons une loi claire qui tranche toutes ces questions. Le président peut accorder un pardon après le jugement des tribunaux si la personne a reconnu sa culpabilité.

En ce qui concerne le chemin de la démocratie que nous parcourons, nous avons élargi le dialogue après avoir surmonté énormément de crises. Il y a aujourd’hui davantage de dialogue en Syrie. Ainsi, nous discutons de la possibilité d’élargir la représentativité du Sénat. Je ne peux pas dire que nous effectuons des pas rapides, mais je dis toujours que nous allons lentement mais sûrement.

L’Union européenne a proposé à la Syrie un accord d’association. Tout semblait prêt pour une signature, mais vous refusez de signer. Allez-vous le faire rapidement ?

Tout semblait prêt pour la signature du point de vue des Européens, mais, de notre point de vue, les choses n’étaient pas prêtes. Comme je l’ai dit il y a déjà cinq ans au président de la Commission européenne d’alors, Romano Prodi, il faut d’abord éliminer un certain nombre de points économiques et administratifs qui sont, pour nous, négatifs. Le soutien des Européens à notre développement est insuffisant. Je pense que l’Europe doit faire preuve de davantage d’indépendance politique. Les Européens ont complètement viré du côté des États-Unis, au détriment de la Syrie. Un partenaire doit être un ami et nous ne l’avons pas constaté de la part de l’Europe ces dernières années. Le gouvernement syrien examine actuellement cet accord d’association, il déterminera les points nécessaires et qui n’y figurent pas. À ce moment-là, nous en discuterons avec la Commission européenne.

Propos recueillis à Damas par Étienne Mougeotte

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