dimanche 18 octobre 2009

Mahmoud Zahar : « Nous sommes l’autorité légale ! »

samedi 17 octobre 2009 - 18h:37

Christophe Ayad - Libération


« Libération » a rencontré Mahmoud al-Zahar, haut responsable du mouvement palestinien. Il revient notamment sur les accusations de crimes de guerre dont son parti fait l’objet.

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Mahmoud Al-Zahar, Ministre palestinien des Affaires Etrangères

Mahmoud al-Zahar est le ministre des Affaires étrangères du gouvernement du Hamas, qui dirige la bande de Gaza. Membre du bureau politique et parmi les dirigeants les plus influents du parti islamiste, il est considéré comme un « faucon ». Alors que le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l’homme de l’ONU examinaient hier le rapport Goldstone, qui accuse Israël et le Hamas de crimes de guerre lors de la guerre de Gaza en janvier dernier, il revient sur la controverse qu’a occasionnée ce texte côté palestinien. Pour Libération, il s’explique aussi sur les relations avec Israël, le sort du soldat franco-israélien Gilad Shalit (détenu à Gaza depuis juin 2006), l’administration Obama et la réconciliation entre le Hamas et le Fatah.

Comment réagissez-vous au rapport Goldstone ?

C’est un texte très important, qui dépasse largement les suites qui seront données au niveau des Nations unies. Mais nous ne sommes pas d’accord avec les accusations qui concernent le Hamas. Le rapport accuse le Hamas d’avoir utilisé des civils [palestiniens] comme boucliers humains et d’avoir visé des civils [israéliens]. Or tout le monde sait que lorsque l’armée israélienne a attaqué des hôpitaux ou des écoles, on n’a retrouvé aucun combattant du Hamas parmi les victimes. Quant aux attaques visant Israël, aucun civil [israélien] n’a été tué pendant la guerre.

Le point positif de ce rapport, c’est qu’il donne aux familles de Gaza - comme la famille Samouni, qui a perdu 18 de ses membres - une base pour poursuivre en justice les responsables israéliens devant les justices française, britannique ou suisse.

Comment réagissez-vous à la décision initiale de Mahmoud Abbas de reporter à mars 2010 l’examen du rapport Goldstone à l’ONU ?

Nous sommes fâchés de cette décision. Abou Mazen [le nom de guerre de Mahmoud Abbas, ndlr] s’est rendu coupable de deux crimes. D’abord, il a encouragé l’agression israélienne : ce sont les Israéliens eux-mêmes qui le disent et jamais le Fatah n’a démenti. Ensuite, il a empêché la communauté internationale de prendre connaissance du rapport et de poursuivre les criminels. Comment qualifier cela ? Comment voulez-vous que les gens qui ont perdu leurs proches, leurs maisons, leurs hôpitaux, leurs écoles réagissent ? Le peuple palestinien est en colère, pas seulement le Hamas. Tous les responsables du Fatah reconnaissent que cette décision était une erreur, tous sauf Abou Mazen, qui ne veut pas s’excuser et continue d’insulter le Hamas.

N’a-t il pas fini par changer d’avis ?

Oui, mais nous avons de grands doutes. C’est peut-être un piège. Il compte sur un échec à l’ONU afin de pouvoir dire aux gens : « Vous voyez bien, j’avais raison de ne pas demander que le rapport Goldstone soit présenté. »

Cette controverse est-elle la seule raison de la demande par le Hamas de reporter la signature de l’accord de réconciliation interpalestinien, prévue le 25 octobre au Caire ?

Il n’y a pas de report. Le Hamas a donné son accord pour une signature le 25 octobre, il signera. Mais il faut faire la part des choses. Signer un document d’entente n’est pas difficile. Une vraie réconciliation, elle, nécessite une atmosphère appropriée. Et là, ce n’est pas le moment. Nous considérons que l’autre partie a participé à l’agression contre le peuple palestinien.

Vos relations avec l’Autorité palestinienne peuvent-elles s’améliorer ?

Qu’entendez-vous par l’Autorité palestinienne ? L’Autorité, c’est la présidence, le Conseil législatif et le gouvernement. Le terme du mandat d’Abou Mazen est passé depuis janvier : il n’est donc plus président d’après notre Loi fondamentale. Le Hamas détient la majorité au Conseil législatif et dirige le gouvernement. Nous sommes donc l’autorité légale.

Quels sont les obstacles à une réconciliation avec le Fatah ?

Essentiellement, l’absence de volonté politique du Fatah. L’année dernière, j’ai fait six rounds de négociations, d’une semaine chacun, avec eux. A la fin, je leur ai dit : « Vous ne voulez pas d’une réconciliation, vous faites traîner, vous vous tirez dans les pattes ; quand vous serez prêts, appelez-nous. » C’était il y a un an. Mais maintenant, pourquoi sont-ils si pressés de signer ? Parce qu’ils pensent que c’est la bouée de sauvetage qui les sortira du pétrin dans lequel ils se sont mis avec le rapport Goldstone.

Le mandat du Conseil législatif arrive à son terme en 2010. Des élections auront-elles lieu ?

Nous ferons de notre mieux, mais j’en doute fort. Abou Mazen dit qu’il veut aller aux élections. Mais la dernière fois [en 2006, ndlr], il a refusé les résultats, tout comme Israël, les Américains, certains pays européens et arabes. Que va-t-il se passer s’il perd à nouveau ? Cette fois-ci, il croit qu’il peut gagner en trichant et avec l’aide d’Israël. Mais si cela se passe ainsi, ce seront les dernières élections de l’histoire palestinienne.

Le blocus israélien se poursuit et pourtant le Hamas ne tire plus de roquettes vers Israël. Pourquoi ?

Nous avons trouvé de nouvelles voies [les tunnels, ndlr] pour alléger nos souffrances et faire entrer des médicaments, de la nourriture, de l’essence. Ce n’est pas l’idéal, mais nous n’avons pas le choix. En outre, notre projet est de libérer la Palestine. Or il n’y a plus un seul Israélien à Gaza. Maintenant, c’est au tour de la Cisjordanie d’être libérée de l’occupation, mais qui nous en empêche ? Abou Mazen !

Qu’attendez-vous de l’administration Obama ?

Si nous avions attendu quoi que ce soit d’une administration américaine, nous aurions participé depuis longtemps au processus de paix. Nous avons aujourd’hui des preuves innombrables qu’on ne peut rien attendre de l’administration Obama. Ce n’est pas un problème de volonté personnelle, c’est le système du pouvoir américain et l’impact des lobbys qui veulent ça.

En juin, le chef du Hamas exilé en Syrie, Khaled Mechaal, se disait prêt à accepter un Etat palestinien dans les frontières de 1967 et une trêve de dix ans avec Israël. Aujourd’hui, il reparle de libérer la Palestine « de la mer [Méditerranée] au fleuve [Jourdain] ». Pourquoi ce durcissement ?

Primo, Israël n’a aucun droit sur notre terre : c’est un principe idéologique non négociable. Secundo, si nous parvenons un jour à établir un Etat dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, nous pourrons proposer une trêve. Mais nous ne reconnaîtrons pas Israël et nous ne demanderons pas à Israël de nous reconnaître.

Dernièrement, plusieurs mesures ont été prises pour obliger les femmes et les collégiennes à porter le voile ou interdire aux hommes de se baigner torse nu. Pourquoi ?

C’est une question d’uniforme, c’est tout. Vos avocats, vos étudiants, vos députés doivent respecter des règles vestimentaires. Chez nous aussi. Quant aux plages, nous avons nos traditions, c’est tout. Mais nous ne forçons personne.

Le Hamas pourrait-il un jour proclamer un Etat palestinien dans la seule bande de Gaza ?

Pourquoi ferions-nous cela ? Pour justifier les fantasmes des Occidentaux sur « l’émirat de l’obscurantisme » ? Les Palestiniens croient en leur patrie, pourquoi y renonceraient-ils ? En attendant, nous sommes le gouvernement officiel de la Cisjordanie et de Gaza. C’est notre travail de gouverner, de faire régner la sécurité, d’assurer la santé, de rendre la justice.

Des négociations semblent bien engagées sur le sort du soldat Gilad Shalit. Quelles conditions le Hamas pose-t-il à sa libération ?

Des négociations sont en cours par l’intermédiaire des Allemands, je ne peux rien dire de plus. Nous avons un but noble, qui est de libérer les 11 000 prisonniers palestiniens détenus en Israël. Cela justifie tous les moyens licites, y compris négocier indirectement avec Israël, que ce soit via l’Allemagne ou l’Egypte. Mais j’ai de grands doutes sur la volonté d’Israël d’aboutir.

16 octobre 2009 - Libération - Vous pouvez consulter cet article à :
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