mercredi 21 octobre 2009

« La solution à deux Etats est un désastre »

mardi 20 octobre 2009 - 06h:57


Il faut revoir la situation palestinienne dans son ensemble par le dialogue afin de réorganiser les institutions, trouver une nouvelle représentation et un nouveau processus de prise de décision, explique Ramadan Abdullah Shallah de l’organisation du Jihad Islamique.

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Ramadan Abdullah Shallah est secrétaire général de l’organisation du Jihad Islamique, et a remplacé Fathi Al-Shaqaqi assassiné par les Israéliens - Photo : Al Jazeera

Le Jihad Islamique Palestinien [Palestinian Islamic Jihad - PIJ] a, depuis ses débuts dans les années 80, fidèlement défendu la résistance armée contre l’occupation israélienne et a toujours refusé de reconnaître ou de participer à des entretiens pour la paix.

Son siège est basé en Syrie, et le PIJ est beaucoup moins important que le mouvement Hamas. Mais les deux groupes partagent les mêmes racines : la confrérie égyptienne des Frères Musulmans.

Fathi Al-Shaqaqi, le dirigeant historique du groupe, a été assassiné à Malte en 1995 dans ce que beaucoup pensent être une opération d’un commando israélien. Ramadan Abdullah Shallah, un universitaire diplômé en Grande-Bretagne et intervenant dans les études sur le Moyen-Orient à l’université de la Floride du sud, a été choisi par la direction du mouvement pour remplacer Al-Shaqaqi en tant que sécrétaire général de l’organisation.

Al Jazeera a récemment interviewé Shallah, qui a expliqué que les actuels efforts pour remettre en selle le processus de paix étaient simplement des tentatives « pour revendre l’illusion de la paix ».

Al Jazeera : Les initiatives politiques de réconciliation entre les organisations palestiniennes semblent marquer le pas et Gaza reste sous blocus israélien. Selon le PIJ, quelles seraient les plus grandes menaces auxquelles sont confrontés les Palestiniens aujourd’hui ?

Ramadan Abdullah Shallah : Je pense que la plus grande menace pour le peuple palestinien aujourd’hui est l’absence de direction. Le peuple perd la capacité de décider de quelle manière poursuivre cette marche, cette lutte pour gagner sa liberté et son indépendance.

La direction palestinienne, l’ancienne direction palestinienne, s’est lancée dans le processus de paix il y a plus de 15 ans afin de mettre en place un état palestinien indépendant dans les frontières de 1967. Mais si nous regardons les réalisations aujourd’hui nous nous rendons compte que cette direction n’a rien accompli parce que les politiques israéliennes qui sont mises en application dans Jérusalem et en Cisjordanie ne laissent aucune chance à l’établissement de n’importe quel type d’état palestinien indépendant.

Ces politiques incluent la confiscation de la terre, les menaces à l’encontre de la mosquée Al-Aqsa, les menaces sur Jérusalem, les menaces contre le droit au retour des réfugiés palestiniens, et le siège imposé à la bande de Gaza, où plus de 1,5 million de personnes vivent dans la plus grande prison au monde sans le moindre support des pays arabes et musulmans.

Récemment nous avons été aussi les témoins de la position prise par l’autorité palestinienne [de Ramallah] concernant le rapport [du juge] Goldstone sur les crimes de guerre israéliens commis pendant la guerre sur Gaza l’hiver dernier. Nous considérons l’appel à retarder le vote sur les résultats de ce rapport comme une faute grave [un péché] plutôt que comme une erreur.

Dans ce dernier cas, la direction palestinienne a voulu aider les Israéliens et leur donner une porte de sortie face à ce dilemme, plutôt que de pousser la communauté internationale à mettre la pression sur les Israéliens et à les reconnaître comme des criminels de guerre.

Ceci signifie en réalité que le peuple palestinien aurait renoncé à son droit à défier et condamner son ennemi.

Pensez-vous vraiment que les Israéliens considèrent le rapport de Goldstone comme « un dilemme » ou une menace grave ?

Je pense que ce qu’il y avait de nouveau dans ce rapport, c’est le défi à la légitimité d’Israël parce que c’est la première fois que la communauté internationale se réunit pour exiger qu’Israël passe en jugement, et condamne aussi durement la politique israélienne. C’est la première fois que nous entendons le monde dire « non » aux actions, aux atrocités et aux agressions israéliennes.

La guerre criminelle lancée par Israël contre la population civile à Gaza a réellement attiré l’attention du monde entier et maintenant nous voyons les résultats des efforts exercés par les organismes de défense des droits de l’homme et la communauté internationale pour mettre en avant cette question.

C’est quelque chose de nouveau et de prometteur à entendre pour les Palestiniens, indépendamment de ce que le rapport dit à notre égard en tant que groupes de la résistance palestinienne.

Ce qu’il nous importe d’entendre, c’est que les médias, les institutions et les pays occidentaux condamnent Israël.

Vous avez dit que c’était un péché que le vote ait été retardé ; selon vous, qui est le pécheur dans cette affaire ?

Bien.. Tout le monde sait de qui il s’agit. Notre prise de position face à ce qu’a fait l’autorité palestinienne [AP] à propos du rapport Goldstone n’implique pas des questions personnelles. Nous nous concentrons sur la mesure prise, sur la position exprimée, plutôt que sur les individus eux-mêmes.

Nous croyons que l’action entreprise par le Président de l’AP est une faute politique et morale. D’autres formations palestiniennes - telles que le Front Populaire, et le Front Démocratique - ont condamné l’action de l‘AP comme étant un crime commis contre le peupe palestinien. Donc, si les associés de Mahmoud Abbas qualifient cela de crime, que puis-je dire de plus en exprimant le point de vue du Jihad Islamique ?

Pensez-vous que les critiques et les pressions venant de la société palestinienne pourraient mettre à mal l’Autorité palestinienne ?

Ce qui s’est passé à Genève est quelque chose de grave et de dangereux, et il existe différentes façons de donner suite à cette affaire. L’étape la plus importante maintenant est de rechercher diverses options pour réorganiser l’entité palestinienne et sa structure de décision afin de maîtriser à l’avenir comment les dirigeants palestiniens prennent leur décision.

Si Abbas avait été membre d’une direction palestinienne démocratique, je ne pense pas qu’il aurait pris la décision de reporter le vote. Il y aurait eu des contrôles et des contrepoids et bien évidemment, il aurait été conseillé par d’autres de ne pas prendre une telle décision.

Mais il a personnellement pris cette décision et maintenant il en paie le prix.

Ce qui est important pour nous aujourd’hui est de revoir la situation palestinienne dans son ensemble par le dialogue afin de réorganiser les institutions palestiniennes et de trouver une nouvelle représentation et un nouveau processus de prise de décision en politique.

Supposons que la politique palestinienne soit redéfinie et qu’un mode de prise de décision plus intégré soit mis en place, comme vous l’avez mentionné. George Mitchell, l’émissaire américain au Proche-Orient, a fait de nombreuses visites pour discuter du processus de paix avec les dirigeants arabes, israéliens et palestiniens. Quelle est la position du PIJ concernant les négociations avec Israël ?

Tout d’abord, nous ne croyons pas aux négociations avec Israël. Nous ne reconnaissons pas Israël comme une entité légitime dans cette région et le considérons comme un élément envahisseur qui a été implanté dans cette région en tant que représentant des intérêts occidentaux et des puissances coloniales.

Israël est un occupant et ils ont chassé la population autochtone de sa terre - la population palestinienne qui vit maintenant à l’état de réfugiés dans le monde. Le droit de rentrer dans leurs maisons leur a été refusé.

Nous ne font pas confiance aux soi-disant processus de paix. De notre point de vue, rien n’a été réalisé depuis la conférence de Madrid et les Accords d’Oslo signés par Yasser Arafat, le président palestinien défunt, en 1993.

Même certains membres de l’Autorité palestinienne aujourd’hui admettent que la situation était meilleure avant le processus de paix, du moins en termes de niveau de vie, de l’assurance de nos besoins de base en tant qu’êtres humains, et de liberté de mouvement.

Par exemple, regardez les colonies en Cisjordanie depuis ce soi-disant processus de paix. En 1993, on comptait quelque 100 000 colons en Cisjordanie, dont Jérusalem. Aujourd’hui, il y en a 500 000 - cette augmentation fulgurante a eu lieu au cours de ce soi-disant processus de paix.

Nous n’avons aucune sorte de paix. Maintenant, avec l’arrivée du Likoud d’extrême-droite au pouvoir et le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, nous n’avons même pas de « processus ». Le processus s’est arrêté.

Aujourd’hui, l’Autorité palestinienne tente de vendre l’espoir parmi les Palestiniens que les pourparlers avec les Israéliens vont reprendre et que nous allons évoluer vers un Etat palestinien dans le futur.

Il s’agit simplement d’une tentative de revendre les illusions et les mensonges de la dernière décennie. Nous ne croyons pas qu’il y ait la moindre chance d’établir un Etat palestinien en Cisjordanie et dans les frontières de 1967.

Netanyahou a dit très clairement que si les Palestiniens veulent avoir un Etat, ils doivent d’abord se plier à deux conditions : qu’Israël soit reconnu comme un Etat juif, et que le soi-disant Etat palestinien soit démilitarisé, ce qui signifie que nous n’aurions pas d’armée ni de souveraineté sur notre terre natale.

Un tel Etat palestinien serait asservi à la sécurité d’Israël.

C’est ce qui attend les Palestiniens.

Vous peignez un tableau très sombre.

Eh bien, la situation elle-même est sombre. Je ne tire pas cette image de ma propre imagination, car si vous regardez ce qui se passe à Jérusalem aujourd’hui, c’est un tableau très sombre.

Par exemple, si vous prenez les menaces qui pèsent sur la mosquée Al-Aqsa, qui est le symbole de la sainteté et du caractère sacré de la cause palestinienne - les Israéliens ne ménagent aucun effort pour creuser et détruire la mosquée ; ils creusent des tunnels sous Al Aqsa et le présumé Temple de Salomon sera construit à la place d’une mosquée Al Aqsa démolie.

De nos jours, dans Jérusalem, il y a une menace de démolition de plus de 11 000 maisons palestiniennes. Environ 180 ont déjà été démolies. Et cela peut sembler être quelque chose d’étrange pour vos lecteurs, mais lorsque les Israéliens décident de démolir une maison, ils imposent aux Palestiniens qui y vivent de payer le coût de l’opération.

C’est près de 25 000 dollars. Ils informent d’abord la famille que leur maison est « illégale » et qu’elle doit être démolie. Si la famille palestinienne ne peut pas payer, alors elle doit détruire elle-même sa propre maison.

Aussi, alors que nous sommes sur le sujet de Jérusalem, plus de 50 000 Palestiniens de Jérusalem ont perdu leurs cartes d’identité de Jérusalem - la maqdasiya Hawiya - dans le cadre de la poursuite par Israël du projet de judaïsation de la ville.

Aujourd’hui, les Palestiniens ne représentent plus que 35 pour cent de la population de Jérusalem-est et ouest. Le plan israélien est de réduire la population palestinienne de la ville de 80 pour cent. Ils tentent d’imposer une identité juive sur Jérusalem.

C’est le résultat du soi-disant processus de paix. Tout ce qui a été réalisé à Jérusalem l’a été dans le cadre des « pourparlers de paix ».

Le gouvernement de droite du Likoud a un plan pour en finir avec le dossier de Jérusalem et déclarer Jérusalem la capitale éternelle et unifiée d’Israël. Qu’est-ce donc l’AP attend ? Que pouvons-nous tirer de ce processus de paix ? Il ne reste rien de la terre des Palestiniens, plus rien à négocier, ni pour créer un Etat indépendant.

Si, comme vous dites, le processus de paix a échoué à accorder aux Palestiniens leurs droits, que propose le Jihad Islamique comme alternative ?

Eh bien, la première chose est que la communauté internationale reconnaisse que l’existence d’Israël en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, au moins, est une occupation illégale. Dès que nous aurons obtenu cette reconnaissance alors les Israéliens devront se retirer de cette terre.

S’ils ne sont pas d’accord pour se retirer pacifiquement, nous n’avons pas d’autre alternative que de continuer la résistance. En tant que mouvement national, nous nous considérons comme des combattants de la liberté, nous avons le droit de défendre notre terre, notre peuple et nos lieux saints comme Al-Aqsa.

Telle est l’alternative - la résistance légale et légitime à laquelle toutes les nations recourent contre le colonialisme et l’occupation étrangère.

Vous voulez qu’Israël accepte les résolutions 224 et 338 des Nations Unies qui appellent à un retour aux frontières d’avant 1967 ?

Je ne sais pas si nous sommes à la recherche de ces résolutions, mais s’ils acceptent et les appliquent et se retirent de notre terre, je ne vais pas rejeter les efforts des Palestiniens pour avoir une entité indépendante à l’intérieur des frontières de 1967.

Si Israël se retire sur les frontières de 1967, pourriez-vous faire la paix avec eux alors ?

Je ne vais pas répondre à cette question tant que je ne vois pas de changement dans leur pratique. Je ne réponds pas aux questions hypothétiques.

Toutefois, je considère que toute la terre de Palestine est à nous et que les Israéliens n’ont aucun droit de construire ce qu’on appelle Israël comme Etat juif sur cette terre.

Muammar Kadhafi, le dirigeant libyen, a appelé à une solution à un Etat. Est-ce faisable ?

Pour moi, comme pour le Jihad islamique, je ne pense pas qu’il est de notre devoir de vous suggérer des solutions politiques. Nous nous considérons comme des combattants de la liberté et notre devoir principal est de combattre l’occupation jusqu’à ce que nous récupérions nos droits.

C’est à l’autre côté - celui des Israéliens - de proposer des solutions, pas à nous, parce qu’ils sont responsables de la naissance de la cause palestinienne et du problème palestinien.

Toutefois, si l’on veut comparer les soi-disant solution à deux États et solution à un Etat, il y a de nombreuses remarques à faire. Personnellement, je n’accepte pas la solution à un Etat parce que cela reviendrait à reconnaître une existence juive et israélienne sur la Palestine, sans que les dirigeants israéliens et juifs reconnaissent nos droits en tant que Palestiniens à vivre dans ce pays et à disposer de notre liberté et notre dignité.

Plus largement en ce qui concerne la situation géopolitique dans la région, je crois que cette région est une patrie arabe et musulmane.

S’il y a une existence juive et une coexistence avec les Israéliens, toute la région deviendra le « Nouveau Moyen-Orient ». L’identité de la Oumma (la mère patrie musulmane) sera menacée, et la région entière sera redéfinie sur une nouvelle base si vous avez une nouvelle entité étatique - appelez cela comme vous voulez, Isratine ou Palisrael.

Je crois qu’Israël est une entité étrangère et ils n’ont pas le droit de vivre comme structure juridique dans cette région. Donc, si je reviens à comparer entre les deux solutions - en dépit de toutes mes remarques et observations - je considère cependant la solution à un Etat plus juste que la solution à deux États.

En vertu de la solution à deux Etats, les Palestiniens ont déjà reconnu - à l’avance - l’existence d’Israël sur 80 pour cent de la terre de Palestine. Ils sont en train de négocier avec les Israéliens sur les 20 pour cent restants. Mais la moitié de cette superficie se trouve déjà aux mains des Israéliens, donc ce qui nous reste à négocier et marchander, c’est seulement 10 pour cent de la Palestine.

Par contre, en vertu de la solution à un Etat, nous nous partagerions toute la terre de Palestine. Si nous mettons de côté tous les autres facteurs que j’ai mentionnés, politiquement, la solution à un Etat est meilleure que la solution à deux États.

Je ne dis pas cela en faveur de la solution à un Etat mais pour montrer que la solution à deux Etats est un désastre pour le peuple palestinien.

14 octobre 2009 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/focus/...
Traduction : Claude Zurbach