mardi 18 août 2009

Juif d’accord, sioniste, non

lundi 17 août 2009 - 07h:39

Joharah Baker
Miftah


Inutile de le dire, Uri Davis n’est pas un Israélien banal. Aujourd’hui, il est proposé pour être membre de l’un des organes de direction les plus hauts du Fatah, le Conseil révolutionnaire.

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Uri Davis

Peu de Palestiniens connaissaient le nom d’Uri Davis jusqu’à hier, quand les médias ont indiqué que le « membre juif du Fatah » avait été proposé pour siéger au Conseil révolutionnaire du mouvement. Davis, qui a été recruté pour le Fatah dans les années 80 par le dirigeant assassiné, Khalil Al Wazir, est né à Jérusalem au début des années 40 dans une famille d’immigrants juifs qui croyaient dans le rêve sioniste.

De toute évidence, Davis n’a pas fait sienne l’idéologie de ses parents, se désignant lui-même comme un « juif palestinien ». Universitaire, Davis s’est montré un fervent partisan des droits de l’homme, spécialement palestiniens, et s’est opposé à la nature d’Israël en tant qu’Etat juif. En 1987, il a publié le livre, « Israël : Etat d’apartheid », et il a écrit son autobiographie en 1995 sous le titre, « Autobiographie d’un juif palestinien antisioniste ».

Inutile de le dire, Uri Davis n’est pas un Israélien banal. Aujourd’hui, il est proposé pour être membre de l’un des organes de direction les plus hauts du Fatah. Le Conseil révolutionnaire, qui comprend 80 sièges, est le second organe le plus important dans le Fatah, après le Comité central de 18 membres. Jusqu’ici, il y a environ 700 candidats au Conseil, les résultats des élections sont attendus dans les tous prochains jours.

Que Davis soit élu ou non au Conseil n’est pas vraiment l’essentiel. Il est déjà membre du Fatah et depuis longtemps et même membre observateur du Conseil national de Palestine. Bref, il a fait ses preuves et il ne laisse aucun doute sur sa loyauté.

Sa situation exprime quelque chose de très important au sujet des Palestiniens, et qui devrait être rappelée plus souvent. Les Palestiniens n’ont jamais été opposés aux « juifs » en tant que tels. De par leur religion monothéiste, les Palestiniens respectent le judaïsme et ses adeptes tout comme ils révèrent les chrétiens et les musulmans. Ce n’est pas le judaïsme que les Palestiniens combattent, c’est le sionisme. Sinon, pourquoi le Fatah, le plus ancien et le plus vieux mouvement révolutionnaire, accepterait-il un juif (avec la nationalité israélienne) parmi ses membres ? Pourquoi le dirigeant du Hamas, Ismail Haniyeh, aurait-il accueilli les membres de Neturei Karta - juifs ultraorthodoxe et antisionistes - dans la Gaza assiégée ? (*) La réponse est simple. Le combat existentiel des Palestiniens est engagé contre un mouvement politique fondé sur une idéologie raciste qui octroie la supériorité d’un peuple sur un autre, sur le seul critère de la race. Le sionisme arrive à exploiter le judaïsme, reliant les deux, et les rendant inextricablement inséparables.

Toutefois, des gens comme Uri Davis, comme l’universitaire juif américain, Norman Finkelstein, et beaucoup d’autres, sont la preuve que cette théorie est erronée et ils sont prêts à faire front à des raz-de-marée de critiques pour faire entendre leurs voix. Ils sont appelés les « juifs qui ont la haine de soi », ils sont méprisés par la majorité des Israéliens qui pensent que soutenir le droit des Palestiniens à la libération de l’occupation équivaut à une haute trahison - apparemment de l’Etat et de leur identité, en tant que juifs.

Si on voit la question sous cet angle, il est clair que les juifs sionistes sont principalement à blâmer pour avoir créer un tel lien étroit entre judaïsme et sionisme. Ce ne sont pas les Palestiniens ni les Arabes, ni nul autres, qui ont établi cette relation. Par conséquent, Israël ne devrait pas se déchaîner contre quiconque émet la plus petite critique à son égard en les stigmatisant comme « antisémites » ou, dans le cas d’Uri Davis, ou même du chef de cabinet de la Maison-Blanche, Rahm Emmanuel, comme juifs qui ont « la haine de soi ».

Depuis des années, Israël joue la carte de la religion pour créer des clivages entre les peuples de la région et pas seulement avec les juifs. Remontons aux années 90, quand la Première Intifada était à son apogée, Israël essayait d’attiser les musulmans et chrétiens palestiniens en prétendant que les musulmans (environ 95% de la population palestinienne) persécutaient la petite minorité chrétienne. Ces accusations n’ont eu aucune portée étant donnée qu’elles étaient sans fondement. Palestiniens chrétiens et Palestiniens musulmans ont toujours entretenu ensemble des relations saines et n’ont jamais permis à Israël de les monter les uns contre les autres.

Cela dit, les Palestiniens ne nient pas qu’ils sont opposés au sionisme, auquel la plus grande partie de leurs problèmes actuels peut être rattachée. La dépossession, l’occupation, la discrimination et l’oppression des Palestiniens trouvent leur cause directe dans le rêve sioniste, qui n’est viable que si les aspirations de l’autre sont niées.

C’est ce que croit quelqu’un comme Uri Davis et c’est pourquoi il a choisi de ne pas mettre ses pas dans ceux de ses parents. Il a évidemment pris conscience des injustices faites aux Palestiniens en son nom et aussi, à tort, au nom du judaïsme. C’est pourquoi il a refusé de laisser Israël parler pour lui.

En ce sens, le Fatah doit être loué pour avoir brisé une barrière sociale et psychologique, et pour avoir marqué un point très important. Quiconque, quels que soient sa religion, sa race ou ses principes, soutient le droit légitime des Palestiniens à la libération et à se libérer de l’oppression est accueilli à bras ouverts. Cela ne veut pas dire que cette règle est sans exception. En effet, il y a des Palestiniens qui ne séparent pas la religion du mouvement politique, et considèrent que « juif » et « sioniste » sont synonymes. Mais ils sont une minorité et ils suivront, espérons-le, l’exemple des Palestiniens à l’esprit ouvert, qui ont le courage de faire la distinction entre les deux, alors même qu’Israël ne la fait pas.

L’exemple d’Uri Davis, membre du Fatah, est parfait. Il met en lumière un point fondamental qui résume les relations embrouillées entre Palestiniens et Israéliens. Juif, d’accord. Pas sioniste.

Joharah Baker écrit pour le programme communication et information au Miftah (Initiative palestinienne pour la promotion d’un dialogue mondial et la démocratie). On peut la contacter à l’adresse : mip@miftah.org

10 août 2009 - MIFTAH - traduction : JPP