dimanche 12 juillet 2009

Vol de terre au nom de « la sécurité » : le cas de Jayyous

samedi 11 juillet 2009 - 06h:13

William Parry - Washington Report



Quiconque examine les politiques et les méthodes israéliennes de nettoyage ethnique en Palestine se rendra rapidement compte que le mot « sécurité » est un stratagème éculé pour légitimer une politique coloniale, écrit William Parry.

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Des soldats israéliens vérifient les permis des fermiers qui veulent travailler sur leurs terres à Jayyous (photo W. Parry)

Il y a quelques mois, j’ai entendu des amis palestiniens exaspérés dire en plaisantant « bientôt nous aurons besoin d’un permis israélien pour dormir avec nos femmes ». Ils résumaient les obstacles qu’ils doivent sauter dans le cours normal de leur vie. Connaissant le catalogue de démarches et de conditions kafkaïennes qu’ils subissent patiemment pour avoir par exemple accès à leur terre ou pour gagner leur pain, cette plaisanterie ne me semblait pas exagérée.

Ce qui est incroyable et monstrueux, c’est le double jeu flagrant d’Israël au sujet du mur de séparation qu’il a érigé dans une bonne partie de la Cisjordanie. Israël l’appelle spécieusement une « barrière de sécurité ». Quiconque examine les politiques et les méthodes israéliennes de nettoyage ethnique en Palestine se rendra toutefois rapidement compte que le mot « sécurité » est un stratagème éculé pour légitimer ses politiques coloniales et pour soustraire ses actes à sa responsabilité morale en tant que nation. L’annexion, l’apartheid ou le mur de séparation, barrière, clôture- quelle que soit l’expression que l’on souhaite utiliser - est en fait un vol de terre qui détruit la vie, les moyens de subsistance, les collectivités et un peuple.

Les relations publiques israéliennes sont sophistiquées, efficaces et de longue portée. Les porte-parole habiles, connaissant bien les médias, utilisent nos télévisions et nos radios pour expliquer que le mur, les incursions, le blocus, les bombardements, les assassinats ciblés et les autres actions de ce type sont regrettables certes, mais nécessaires pour des raisons de « sécurité » afin de sauver les innocents Israéliens aspirant à la paix. Mais quand vous voyez de première main l’occupation illégale et destructrice de la Palestine, il devient évident que la « sécurité » - tout comme « l’antisémitisme » - est un terme dont la gravité intrinsèque est considérablement - et dangereusement - ébranlée et dégradée par la propagande israélienne.

Les questions de « sécurité »

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Abu Azzam téléphone à son avocat pour savoir si les autorités israéliennes ont renouvelé son permis lui permettant d’avoir accès à sa terre.(Photo W. Parry).

Alors qu’il il y a littéralement des dizaines de milliers d’exemples dans toute la Cisjordanie illustrant la vraie nature et les conséquences du mur d’annexion israélien, nous prendrons le cas des habitants de la ville palestinienne verdoyante de Jayyous. Cette ville, où vivent 3500 Palestiniens, possède deux choses que convoite Israël : des terres agricoles de première qualité et des nappes aquifères importantes. Le mur pénètre sur 3 km dans Jayyous à partir de la Ligne Verte et annexe purement et simplement des terres et des ressources en eau - 5.585 dounams de terre et quatre nappes aquifères pour être exact.

Jayyous est un village palestinien parmi d’autres qui a été témoin de manifestations pacifiques contre la destruction et l’expropriation de ses terres, manifestations qui ont été réprimées avec brutalité par l’armée israélienne. Ces manifestations hebdomadaires ont commencé en novembre 2008 et sont organisés par la campagne des Jeunes Stop the Wall à Jayyous afin de contester la décision de la Cour suprême israélienne qui a décidé de modifier l’itinéraire du mur à Jayyous détruisant ainsi des centaines de dounams de terres agricoles supplémentaires et déracinant 220 arbres de plus (6.000 arbres ont déjà été déracinés pour faire place au mur en 2003).

Sharif Omar, connu sous le nom de Abou Azzam, est l’un des fils de Jayyous les plus charismatiques ; bien qu’âgé de 67 ans, il est infatigable. Il est le principal propriétaire foncier de Jayyous et ses cultures lui inspirent autant de fierté que si c’étaient ses enfants : « nous cultivons tout ce que la terre nous donne - loquats, 12 types d’agrumes, des abricots, des olives, des goyaves, des avocats, des figues, des noix, des amandes, des grenades et des raisins » dit-il en riant chaleureusement.

En septembre dernier, Abou Azzam m’a reçu chez lui . Deux années auparavant, je l’avais rencontré, lui et sa femme, Seham, sur leurs terres, mais cette fois-ci il attendait le renouvellement de son permis pour y avoir accès - il attendait depuis 50 jours, retard qui avait de graves répercussions sur la productivité de son exploitation et sur sa santé mentale et physique. Bien que manifestement moins gai que d’habitude, il débordait toujours de générosité, d’hospitalité, de patience et de ténacité.

Cette petite guerre des permis est devenue un rituel, dit-il : trois mois sans permis, trois mois de lutte juridique pour le faire renouveler (les frais d’avocat prohibitifs s’élevaient à 2000 shekels). L’administration civile israélienne disait que c’était une question de « sécurité ». Pourtant, Abou Azzam venait d’obtenir l’autorisation de se rendre en Israël pour voir un de ses fils dans un centre de détention administrative - et par conséquent ce n’était pas pour des raisons de sécurité que le permis lui était refusé. Il estime qu’on le punit parce qu’il a parlé à des journalistes et à des groupes internationaux de solidarité au sujet du mur. L’administration civile lui fait entendre « vous pouvez aller au Royaume-Uni, en Inde ou en Suède pour parler du mur si vous voulez, mais vous n’irez pas sur vos champs. À vous de choisir ».

Les raisons de « sécurité » sont aussi l’explication officielle pour laquelle les trois fils d’Abou Azzam n’ont jamais obtenu de permis pour travailler la terre. « Mon fils aîné, Azzam, ne peut pas obtenir de permis pour se rendre sur nos terres à une centaine de mètres d’ici pour des raisons de « sécurité », dit-il, et il les pointe du doigt du haut de la colline sur laquelle se trouve la maison. « Toutefois Azzam travaille à Ramallah pour une société privée qui traite avec des sociétés israéliennes. Il a un permis pour entrer en Israël pour ses affaires. Vous voyez le côté ridicule de la chose ? dit-il, riant de cette absurdité évidente. » Ils veulent que notre vie devienne impossible pour que nous abandonnions la terre ».

Malheureusement, ce « nettoyage ethnique à coups de tracas bureaucratiques » marche. 85 % de la population de Jayyous travaillait auparavant dans l’agriculture. En automne dernier, dit Abou Azzam, sur les 700 fermiers de Jayyous, 216 seulement avaient des permis - et parmi ceux-ci beaucoup, comme lui, n’avaient pas de permis en règle. À cause de la rareté des permis, il y a un manque de main-d’oeuvre, la productivité recule et près de la moitié des 136 serres de Jayyous ont été abandonnées. Les restrictions imposées aux déplacements du fait des postes de contrôle (de « sécurité ») et les contrôles volants dans toute la Cisjordanie font que les marchands ne viennent plus à Jayyous pour acheter des produits en gros. Le transport vers les centres de peuplements locaux, et même les petits villages comme Azzun et Beita, nécessite beaucoup de main-d’oeuvre (décharger et recharger chaque caisse de 15 kilos à chacun des postes de contrôle) ; le transport prend entre quatre et six heures et il n’est par conséquent ni rentable ni supportable explique Abou Azzam.

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Le mur israélien - décrété illégal par la Cour internationale de Justice, mais approuvé par la Cour suprême israélienne - annexera de fait une grande partie des terres agricoles de Jayyous au profit de la colonie israélienne illégale de Zufim (arrière- plan)( Photo W. Parry).

Bien qu’il ait réussi à maintenir son niveau de production avec l’aide de sa famille, d’amis et de volontaires internationaux, il a perdu la moitié de son revenu. Les deux tiers des habitants de Jayyous dépendent maintenant de l’aide alimentaire, dit-il. Des dizaines d’habitants ont quitté définitivement Jayyous pour l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Australie et d’autres parties de la Cisjordanie où les perspectives de travail sont un peu meilleures.

Alors que Jayyous se bat pour la justice et sa survie, la colonie israélienne illégale de Zufim, qui occupe une grande partie des terres d’Abou Hassan, s’agrandit. Le nouvel itinéraire proposé pour le mur annexera une bonne partie des terres pour le compte de Zufim, sur lesquelles seront installés des logements et une zone industrielle, selon la coalition contre le mur Stop the Wall.

Quand la ville s’est opposée au mur, l’armée israélienne est intervenue brutalement. Le 18 février par exemple, 25 jeeps militaires et 75 soldats ont envahi le village, tirant des grenades sonores sur les maisons qu’ils envahissaient ensuite, fusils pointés, détruisant et pillant et raflant quelque 65 habitants, dont des membres du comité de la jeunesse et le fils du maire. Les détenus ont été interrogés dans une école locale que les soldats avaient également vandalisée et 17 des détenus ont été ensuite arrêtés. L’armée israélienne a aussi occupé des maisons, arborant un drapeau israélien sur chacune d’elles ; elle a bloqué les entrées du village avec des monticules de pierres et de terre et a décrété un couvre-feu indéfini.

Mohamed Jayyousi est le coordinateur de la jeunesse pour la campagne Stop the Wall. Malgré les menaces et la violence des Israéliens, Mohamed dit que les manifestations continueront. « Résister est exister ou nous continuerons à perdre encore plus de terres » dit-il. « Nous devons revenir aussi longtemps qu’il le faut pour montrer à Israël que nous n’accepterons pas le mur, que nous ne vivrons pas dans un ghetto, que nous ne serons pas des réfugiés sur notre propre terre. Nous n’avons pas d’autre choix ».

Lors de ma dernière visite à Jayyous, j’ai accompagné l’épouse de l’Abou Azzam, 60 ans, (elle a un permis, mais elle souffre du dos), son beau-fils et son petit-fils de huit ans somnolant jusqu’à la barrière agricole lors de son ouverture à 7:00 du matin. J’étais indigné de voir que je pouvais visiter les terres d’Abou Azzam alors qu’il ne le pouvait pas. Quand je suis rentré chez lui, nous sommes allés sur le toit de sa maison à partir duquel nous pouvions voir sa terre. « Chaque jour qui passe où je ne peux pas me rendre sur ma terre je me sens très en colère » dit-il, abandonnant un moment son habituel optimisme. Quand je lui ai demandé s’il abandonnerait jamais la lutte, il m’a fait un grand sourire et il a dit « William, nous avons un dicton en arabe : Al ard aghla min el ’ard- la terre est plus précieuse que l’honneur.

L’occupation israélienne continue sans entraves. Gaza reste une prison ouverte, la construction et l’expansion des colonies se poursuit, les démolitions de maisons palestiniennes continuent et près de cinq ans après que la Cour internationale de justice a décrété que le mur israélien était illégal et doit être démantelé, les Israéliens continuent à le construire quotidiennement sur les terres palestiniennes. Israël s’est entendu dire à répétition : il n’y aura de paix que lorsque il y aura de la justice.

Ça, Israël, c’estla sécurité.

William Parry est un écrivain et un photographe free-lance basé à Londres. Son livre, Against the Wall, sera publié par Pluto très bientôt.

Mai Juin 2009 - Washington Report - Cet article peut être consulté ici :
http://www.washington-report.org/ar...
Traduction : Anne-Marie Goossens