mercredi 15 juillet 2009

Dans les tunnels de Gaza, des enfants défient la mort pour gagner leur vie


15/07/2009

Selon un rapport du Centre palestinien pour la démocratie et la résolution de conflit, plus de la moitié des 16 000 Palestiniens travaillant dans les tunnels ont moins de 18 ans.  Mohammed Abed/AFP
Selon un rapport du Centre palestinien pour la démocratie et la résolution de conflit, plus de la moitié des 16 000 Palestiniens travaillant dans les tunnels ont moins de 18 ans. Mohammed Abed/AFP
REPORTAGE Creuser des souterrains rapporte plutôt bien, les adolescents parvenant à gagner 30 dollars en 12 heures.

Anwar, 15 ans, ne sait ni lire ni écrire, mais se dit doué pour creuser des tunnels. À présent, il cherche à se faire embaucher car l'aviation israélienne a détruit son ancien lieu de travail en bombardant l'un des innombrables tunnels reliant Gaza à l'Égypte. Sa voix rauque et son allure de dur le vieillissent, mais son corps maigre fait de lui un candidat idéal pour un travail dangereux et exténuant.
Comme des milliers d'autres enfants de la bande de Gaza, territoire déshérité ravagé par la guerre, Anwar a besoin d'argent pour sa famille. Ce type de travail rapporte plutôt bien, les enfants parvenant à gagner 30 dollars en 12 heures. « J'ai six frères, c'est moi qui nourrit la famille. L'école, ça ne sert à rien », déclare fièrement l'adolescent. Interrogé à propos de l'offensive israélienne qui a coûté la vie à plus de 1 400 Palestiniens au début de l'année, il hausse les épaules : « Le pire durant cette guerre est que j'ai dû dépenser toutes les économies que j'avais faites en travaillant dans les tunnels. »

Les avions israéliens ont pilonné la région frontalière de Rafah durant les 22 jours de combats (27 décembre-18 janvier). Et les attaques contre les tunnels se sont poursuivies, en réponse à des tirs de roquettes, Israël maintenant son blocus sur la bande de Gaza. « On fait passer n'importe quoi : de la nourriture, des chaussures, des jouets, des réfrigérateurs, des fours et même des voitures qui sont démontées », explique Anwar. Israël justifie les raids contre les tunnels en expliquant qu'ils servent à faire entrer des armes et particulièrement des roquettes et des obus de mortier. Mais Anwar assure que son tunnel ne sert qu'au passage de marchandises : « Jamais d'armes, le gouvernement (du Hamas) a des tunnels spéciaux pour cela. »
Des adultes en charge des souterrains indiquent que les Égyptiens agissent contre cette contrebande en les inondant, en les enfumant avec du gaz, ou encore en les faisant exploser. « Trois personnes sont mortes dans des tunnels cette semaine », affirme un homme qui refuse de donner son identité à l'entrée d'un tunnel. Des tentes ou des tas de briques recouvrent l'entrée de dizaines de ces souterrains dans le secteur. Une tour de surveillance qui surplombe cette « cité des tunnels » marque la frontière égyptienne à 200 mètres de là. « Ce tunnel a été détruit cinq fois du côté égyptien », explique le Palestinien alors que des travailleurs empilent de la terre et des gravats dans un charriot relié à une poulie électrique.
Selon un récent rapport du Centre palestinien pour la démocratie et la résolution de conflit (PCDCR), plus de la moitié des 16 000 Palestiniens travaillant dans les tunnels ont moins de 18 ans, de même que 15 des 115 tués durant les deux années de blocus israélien.
Le Hamas, qui contrôle Gaza, affirme que creuser des tunnels est légal tant que le blocus n'est pas levé et la municipalité de Rafah impose une taxe de 10 000 shekels (2 500 dollars) pour chaque ouverture. Ce qui l'est moins, selon la loi palestinienne, est d'employer des enfants de moins de 16 ans, précise Iyad Abou Hujaier du PCDCR. Selon lui, la plupart de ces jeunes utilisent du Tramado, un analgésique censé atténuer l'anxiété. « J'ai décidé de ne plus y aller, mais mon père est mort et j'ai été obligé d'y retourner il y a environ un mois », raconte Oussama, 14 ans. Son copain Mohammad, 15 ans, qui passe avec lui ses vacances dans un centre de jeunes financé par l'Unicef, est tout aussi décidé : « Je ne retournerai pas dans les tunnels, c'est horrible là-bas. »
Mais Anwar, lui, n'est pas prêt à renoncer. « Lorsque je serai grand, je veux creuser comme un professionnel parce que cela rapporte beaucoup d'argent », dit-il.

Patrick MOSER (AFP)
l'orient le jour