jeudi 25 juin 2009

Le langage qui absout Israël

mercredi 24 juin 2009 - 06h:07

Saree Makdisi - Los Angeles Times



Un vocabulaire politique spécial nous empêche de voir ce qui se passe au Moyen-Orient

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Netanyahu, "escroc et fraudeur" selon les Palestiniens...

Dans son discours de dimanche dernier, le premier Ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a exclu catégoriquement la création d’un État palestinien souverain, ce qui aurait dû être considéré comme un coup mortel porté à la recherche de la solution des deux États au conflit israélo-palestinien.

Lundi matin toutefois, dans tous les États-Unis, les journaux titraient que Netanyahou avait appuyé la création d’un État palestinien. La Maison-Blanche s’est félicitée de ce discours qui représentait « un important pas en avant ».

Quand on en vient à Israël, il est si facile de faire fi de toute réalité parce que l’interprétation des déclarations israéliennes est faussée selon une pratique suivie de longue date par les commentateurs et les journalistes aux États-Unis.

En fait, un vocabulaire spécial a été mis au point pour le conflit israélo-palestinien aux États-Unis. Ce vocabulaire filtre et structure la manière dont les événements sont interprétés ici et il est par conséquent difficile aux lecteurs de comprendre pleinement la nature de ces événements ; il est même vraisemblable que les journalistes ont du mal à porter un regard critique sur ce qu’ils écrivent.

L’effet de ce vocabulaire spécial est que les États-Unis acceptent, voire appuient, chez Israël ce qu’ils rejetteraient carrément de la part de tout autre pays.

Voici un exemple classique.

Aux États-Unis, le débat classe souvent les hommes et les mouvements politiques palestiniens entre « extrémistes » et « modérés ». Ces derniers ont l’air attrayants tandis que les premiers doivent être - nécessairement, n’est-ce pas ?- inacceptables. Mais c’est à peine si ceux qui utilisent ces expressions se demandent jamais ce qu’elles signifient. Selon les normes de qui applique-t-on ces étiquettes manifestement subjectives ?

Quand on en vient aux hommes politiques israéliens, ceux-ci sont libellés d’après une norme entièrement différente : « colombes » ou « faucons ». Contrairement aux expressions réservées aux Palestiniens, ces deux termes aviaires n’ont aucune connotation intrinsèquement négative.

Alors pourquoi n’y a-t-il pas de dirigeants palestiniens appelés « faucons » ? Pourquoi les politiciens israéliens sont-ils rarement appelés « extrémistes » ? Ou en fait, « militants » ?

Il y a d’innombrables exemples de ces deux poids deux mesures linguistiques. Les médias américains utilisent communément l’expression « Arabes israéliens », terme déraciné et qui fait délibérément écran, pour désigner les citoyens palestiniens d’Israël alors ceux-ci se nomment eux-mêmes - et sont - Palestiniens.

De même, les habitats israéliens construits dans les territoires occupés en violation du droit international sont toujours appelés (NdT : cette remarque vaut pour l’anglais seulement ) « settlements » voire « voisinages » plutôt que ce qu’ils sont vraiment : des « colonies ». Ce mot peut être dur à entendre, mais il est bien plus correct (« ensemble de personnes qui s’installent dans une nouvelle localité formant une communauté soumise ou connectée à leur État patrie »).

Ces distinctions subtiles font toute la différence. Dans l’inconscient, ces termes modèlent la façon dont on appréhende les gens et les événements. S’agissant d’Israël, on dirait que nous utilisons un dictionnaire qui ne s’applique à personne d’autre pour autoriser des actions ou des déclarations qui seraient condamnées dans n’importe quel autre cas.

C’est ce qui a permis à Netanyahou d’être félicité pour avoir appuyé un « État » palestinien en dépit du fait que le genre d’entité éventuelle dont il a parlé pour les Palestiniens n’a rien à voir avec un État.

Si vous regardez le mot « État » dans le dictionnaire, vous verrez probablement que l’on parle de l’intégrité territoriale, de pouvoir et de souveraineté. L’entité dont Netanyahou parlait dimanche dernier n’avait aucun de ces traits constitutifs. Un « État » sans territoire défini, qui n’est pas autorisé à contrôler ses propres frontières ou son espace aérien, et ne peut pas conclure de traités avec d’autres états, n’est pas un État, pas plus qu’une pomme n’est une orange, ni une voiture un aéroplane. Alors, comment les grands journaux étasuniens peuvent-ils dire « le Premier ministre israélien appuie un État pour les Palestiniens » comme l’a fait le New York Times ? Ou : « Netanyahu cède sur l’objectif des deux états » comme l’a dit ce journal ?

Parce qu’on utilise un vocabulaire différent.

C’est la raison pour laquelle l’exigence la plus extraordinaire posée par Netanyahou dans son discours de dimanche soir n’a suscité aucun émoi ici.

« La vérité », dit-il, « est que dans une partie de notre patrie, au coeur de notre patrie juive, il y a actuellement une importante population palestinienne ».

En d’autres termes, comme Netanyahou l’a dit à plusieurs reprises, il y a un peuple juif ; ce peuple a une patrie et par conséquent un État. Pour ce qui est des Palestiniens, il s’agit d’un assortiment - - même pas d’un groupe - - d’intrus sur des terres juives. Bien entendu , Netanyahou balaie d’un revers de la main le fait qu’ils ont derrière eux une narration de la patrie qui concurrence la sienne et qui est liée à la même terre, narration qui mérite d’être reconnue par Israël.

Loin de là : les Palestiniens doivent, dit-il, accepter qu’Israël est l’État du peuple juif (incidemment c’est une exigence israélienne relativement nouvelle) et ils doivent le faire alors qu’il est entendu qu’ils n’ont pas les mêmes droits. « Nous » sommes un peuple, disait Netanyahou ; « eux » sont simplement une « population ». « Nous » avons droit à un État - un État véritable. « Eux » n’ont pas ce droit.

Et le porte-parole de notre président afro-américain appelle cela « un important pas en avant » ?

Dans toute autre situation - y compris dans notre propre pays - un contraste aussi brutalement franc entre ceux qui sont considérés comme ayant des droits inhérents et ceux qui ne les ont pas serait immédiatement taxé de raciste. Pourtant, on passe cela à Netanyahou, non pas parce que la plupart des Étasuniens soutiendraient sciemment le racisme, mais parce que dans ce cas, un vocabulaire politique spécial intervient et les empêche de le reconnaître pour ce qu’il est.

* Saree Makdisi est professeur d’anglais et de littérature comparée à l’UCLA. Il est l’auteur notamment de « Palestine Inside Out : An Everyday Occupation. »