mercredi 24 juin 2009

Le " Grand Moyen-Orient " et l’impératif de stratégies diplomatiques renouvelées
publié le mercredi 24 juin 2009

Barah Mikaïl
Les chantiers qui s’imposent à Barack Obama sont, pour le moins, colossaux.

Plus que tout, la gestion par l’Administration Bush (2001-2009) des affaires du " Grand Moyen-Orient " a alourdi la tâche incombant aujourd’hui au nouveau président américain. Pour preuve : l’enfoncement toujours aussi abyssal du conflit israélo-palestinien, doublé de perspectives israélo-arabes de renouement bien faibles ; l’affirmation toujours d’actualité des violences en Afghanistan, ainsi qu’au Pakistan ; la confiance poussée de l’Iran en lui-même, et ses répercussions sur les scènes régionale comme internationale ; et bien sûr, une situation politico-sécuritaire irakienne qui, en dépit des quelques améliorations auxquelles elle peut prétendre maintenant, ne rend pas moins les déplacements dans ce pays toujours aussi déconseillés, et le statut socio-économique des Irakiens en général, très peu reluisant.

Une responsabilité collective

Certes, le propos ici n’est pas de dédouaner les gouvernements nationaux concernés. Ceux-ci ont en effet une part non négligeable de responsabilité dans cet état des faits, ce quand bien même chacune des situations susmentionnées répond aussi et nécessairement à des singularités. De l’incapacité des Israéliens à se définir autrement qu’au travers de conceptions nationales sécuritaires, à l’attachement des Iraniens à abonder dans le sens d’un radicalisme politique, en passant par le raidissement des postures inter-palestiniennes, la soif de pouvoir du président afghan Hamid Karzai, les ambitions tout aussi personnelles de certains membres de l’échiquier politique pakistanais, ou encore l’attachement de l’exécutif irakien à la consécration de ses propres considérations… force est de le constater, pas un des scénarii présents ne le cède à un quelconque optimisme. Et partant, aucun de ces pays ne semble à même de pouvoir clore de manière durable la parenthèse des violences qui l’entretiennent. Cela étant dit, le " vent du changement " que fut censé apporter un B. Obama pourrait-il venir à souffler dans les meilleurs délais ? Là encore, les choses sont à nuancer. Incontestablement, du point de vue de la méthode, le nouveau président fait preuve d’une posture bien plus appréciable que celle de son prédécesseur. En témoignent, la politique de " bonnes intentions " qu’il a entamée dans une certaine mesure vis-à-vis de l’Iran, la promesse de retrait militaire d’Irak qu’il paraît effectivement vouloir faire aboutir, ou encore les ouvertures qu’il a d’ores et déjà esquissées vis-à-vis de pays bannis par G. W. Bush, comme c’est particulièrement le cas avec la Syrie. Pour autant, on aurait aussi pu s’attendre à plus de détermination, et de pragmatisme, de sa part pour ce qui relève de certains autres champs conflictuels. Car, aussi miné soit-il, le terrain israélo-palestinien demeure incontournable, et nécessite bien des pressions pour que ses protagonistes s’envisagent autrement que par des méfiances réciproques, et ce qui en découle en matière de violences. De la même manière, quand bien même " l’onde de choc talibane " menace réellement les perspectives sécuritaires au Pakistan et en Afghanistan, cela ne rend pas moins indispensable de reconnaître combien le vide politique à l’échelle du pays, que ce soit du fait de pratiques actuelles (Afghanistan) ou en partie passées (Pakistan), a aussi sa part d’explication. A ce titre, afficher une disposition à discuter avec les " Taliban modérés ", comme cela semble pouvoir être le cas avec B. Obama, a certes un avantage : celui de reconnaître que le politique a parfois ses droits que le sécuritaire ne connaît pas. Mais, rapportée aux réalités du terrain, cette même attitude souffre aussi de limites annoncées.

Un nécessaire renouvellement des approches

Ainsi, distinguer les Taliban selon qu’ils sont " modérés " ou " radicaux " ne pourra avoir d’effet autre que celui de radicaliser jusqu’aux Taliban les plus " dociles ", par crainte de leur part de paraître comme étant trop en phase avec les Etats-Unis. Cela les discréditerait en effet tant aux yeux des membres autres du mouvement que vis à- vis de leur base populaire connue - les Pachtounes. En contrepartie, accentuer les investissements militaires en Afghanistan, comme annoncé et d’ores et déjà mis en œuvre par Obama, répond certes à la nécessité qu’il y a de pouvoir mettre à mal tous les acteurs et organisations dynamitant les processus locaux d’évolution. Mais il n’y a pas pour autant à s’attendre à ce qu’une telle stratégie soit payante en soi. Non seulement elle n’a pas marché en Irak, en dépit de ce que pensent et disent les Etats-Unis aujourd’hui. Mais de plus, il n’y a pas de raisons pour l’Afghanistan, et peut-être bientôt le Pakistan, de pouvoir se relever du chaos qui le mine autrement qu’au départ de solutions de fond (rapprochement des postures inter-politiques, mise en place de perspectives économiques viables, renforcement de la posture des gouvernants politiques…) développées par des acteurs ayant la confiance des populations concernées. Or, ni les Etats-Unis, ni l’OTAN, ni les " Occidentaux " en général n’ont, à quelques menues exceptions près, la confiance des opinions publiques vivant au " Grand Moyen-Orient ". Un fait évident, mais que ceux-ci sont les derniers à vouloir reconnaître, pour des raisons évidentes d’attachement à leur dit leadership. Il est pourtant une voie que " les Occidentaux " seraient bien inspirés d’explorer, s’ils veulent parvenir à des résultats probants : celle de l’encouragement de médiations de la part d’acteurs faisant partie des régions et zones concernées. Le cas turc est un exemple intéressant à cet égard, et qu’il conviendrait de mieux explorer. Depuis qu’elle a redéfini certains des fondements de sa politique proche-orientale, Ankara s’est en effet engagée dans la mise en place de tractations potentiellement importantes pour l’avenir de la région.

Parmi celles-ci, la mise en place de " négociations indirectes " syro-israéliennes, suspendues pour l’heure, opération à l’encontre de la bande de Gaza oblige, mais qui pourraient reprendre de manière assez imminente.

Or, outre qu’elle s’avère assez favorable car à l’émanation d’un pays ayant une assez bonne connaissance des logiques politiques régionales et du traitement qui en est nécessaire, cette même configuration pourrait très bien être favorable à d’autres situations dans lesquelles Washington et ses alliés occidentaux peinent à peser : le Qatar pour les perspectives arabo-iraniennes, Doha et Riyadh pour les évolutions soudanaises, l’Arabie Saoudite et la Chine pour ce qui relève de l’Afghanistan, et, pourquoi pas, l’Iran et l’Arabie Saoudite pour ce qui relève des évolutions tant pakistanaises qu’irakiennes. Scénarii fous, à première vue s’entend, cela est fort possible. Dans le même temps, l’on voit mal comment les faits pourraient avancer autrement que par des tactiques irréalisables en apparence, mais pourtant nécessaires, pour ne pas dire incontournables.

Le déficit de crédibilité des " Occidentaux "

Non seulement " les Occidentaux ", Etats-Unis en tête, ne sont plus pris au sérieux par les opinions publiques du " Grand Moyen-Orient " ; mais de plus, l’ONU souffre elle-même d’un déficit de légitimité à leurs yeux, tant " l’instance des instances " endosse sans nuances les orientations des membres permanents de son Conseil de sécurité.

Or, une telle situation est d’autant moins tenable que les conflits contemporains précités portent en germe, comme par réaction au délitement des capacités persuasive et coercitive de l’ONU, un risque propre de décomposition nationale. Irak, Soudan, Afghanistan, sans oublier le cas des Territoires palestiniens, donnent des représentations frappantes de ce risque. Dès lors, l’on voit mal comment l’on pourra faire l’économie, à l’avenir, d’une forme de " diplomatie renouvelée des petits pas " pour avancer favorablement concernant les zones contemporaines de crise. On ne serait pas pour autant dans un multilatéralisme néanmoins tant souhaité et attendu, certes. Mais, à tout prendre, opter pour une telle configuration, demeure plus souhaitable que d’entretenir des attentes probablement vaines face à une Administration Obama qui, aussi bien intentionnée pourra-t-elle être, ne réussira cependant que très difficilement à récupérer les frasques d’un George W. Bush.

par Barah MIKAÏL (Aujourd’hui la Turquie, juin 2009)

publié par l’IRIS

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