lundi 24 novembre 2014

Troisième Intifada : ce sont les Palestiniens qui en décideront

Compte tenu des nombreuses variables en jeu, seul le peuple palestinien pourra nous dire quand le moment sera venu pour pour nouvelle Intifada, et pour une bonne raison : ce choix leur revient à eux seuls.

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17 Novembre 2014 - Un jeune Palestinien masqué jette des pierres lors d’une manifestation contre les forces israéliennes à Abu Dis - Photo : AA
Quand un journaliste tente de faire le travail d’un historien, le résultat peut être très surprenant, car se servir de l’Histoire comme d’une simple note en bas de page dans un bref article de nouvelles ou d’analyse politique, produit souvent plus de mal que de bien. Maintenant, imaginez que ce journaliste soit tout sauf fiable, le résultat n’est même plus en mesure d’être « curieux », mais ressemble plus à une plaisanterie.
Prenons pour exemple les vues historiques sélectives qui sont celles de Thomas Friedman du New York Times - exposées dans le livre The Imperial Messenger écrit par Belen Fernandez, sur ses manigances pseudo intellectuelles, ses contradictions et la constante défense du statu quo.
Dans un article intitulé, La Troisième Intifada, publié en février dernier, Friedman tente d’expliquer deux des événements les plus lourds de conséquences dans l’histoire collective du peuple palestinien, si ce n’est dans la région entière : « Depuis un certain temps à présent, je me suis demandé pourquoi il y a eu pas de troisième Intifada. Il n’y a donc pas de troisième soulèvement palestinien en Cisjordanie, le premier étant celui qui à contribué à stimuler le processus de paix d’Oslo et le second celui qui a conduit - avec plus de tirs à balles réelles du côté israélien et des attaques-suicide du côté palestinien - à la rupture du processus d’Oslo. »
Ta-da, ça y est : l’histoire palestinienne pour les nuls, par, vous savez qui ? Friedman. Peu importe que les raisons qui ont conduit à la première insurrection en 1987 comprenaient le fait que les Palestiniens se rebellaient contre la culture élitiste très loin des réalités qui opérait à partir de la Tunisie et qui prétendait parler au nom du peuple palestinien. C’est une petite clique au sein de la direction de l’OLP et du Fatah qui ne vivait même pas en Palestine au moment où a été signé dans le secret à Oslo en 1993 un accord totalement ruineux. Au détriment des exigences légitimes de leur peuple pour la liberté, cet arrangement leur a valu aux signataires quelques avantages. Le soulèvement n’a pas aidé à « stimuler le processus de paix d’Oslo ». Le « processus » a plutôt été mis en branle, avec le soutien et le financement des États-Unis et d’autres, pour écraser l’Intifada, ce qu’il a fait.
Bien qu’il y ait une certaine vérité dans le fait que le deuxième soulèvement a conduit à l’effondrement d’Oslo, la logique de Friedman suggère un haut niveau d’incohérence de la part du peuple palestinien dans ses révoltes : il se serait rebellé pour imposer la paix, et ils se serait à nouveau révolté pour la détruire... Bien sûr, son aparté apparemment inoffensif sur l’utilisation par Israël de munitions pour tuer au cours de la seconde insurrection (comme si des milliers de Palestiniens n’avaient pas été tués et blessés par balles réelles lors de la première), tandis que les Palestiniens utilisaient les attentats-suicide, justifie aux yeux du lecteur non averti le choix des armes par Israël.
Selon l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme, B’Tselem, 1489 Palestiniens ont été tués au cours de la première Intifada (de 1987 à 1993) dont 304 enfants. Cent quatre-vingt cinq Israéliens auraient été tués dont 91 soldats.
Plus de 4000 Palestiniens ont été tués au cours de la seconde intifada, et plus de mille Israéliens. Toutefois, selonB’Tselem, le coût élevé de tués et de blessés n’a guère diminué après ce qui a été considéré comme la fin de la seconde Intifada, fin 2005. Dans « les 10 années qui ont suivi le début de la seconde Intifada, » l’organisation israélienne a rapporté que « les forces de sécurité israéliennes ont assassiné 6371 Palestiniens, dont 1317 étaient des mineurs. Au moins 2996 personnes abattues ne participaient en rien aux hostilités lorsqu’elles ont été tués. .. Un nombre supplémentaire de 248 policiers palestiniens ont été assassinés à Gaza pendant l’opération Plomb durci, et 240 ont été victimes d’assassinats ciblés ».
Ces chiffres peuvent encore exprimer beaucoup de choses, essentielles pour comprendre la nature des révoltes populaires palestiniennes. Les victimes viennent de divers horizons : des camps de réfugiés, des villages, des petites villes et des villes. Jusqu’à la guerre dévastatrice d’Israël contre Gaza l’hiver 2008-09, les chiffres ont été à peu près également répartis entre Gaza et la Cisjordanie. Certaines des victimes étaient des Palestiniens de citoyenneté israélienne. Les balles et obus israéliens ciblent tout un éventail de gens, à commencer par les passants, les manifestants désarmés, les lanceurs de pierres, les combattants de la résistance armée, les militants communautaires, les dirigeants politiques, les responsables militants, les hommes, femmes, enfants...
D’une manière tout à fait tragique, les réponses israéliennes aux soulèvements palestiniens sont la plus forte confirmation du caractère populaire de l’Intifada, lequel contredit toutes les affirmations des dirigeants israéliens qui prétendent nous faire croire que ces soulèvements sont organisés et manipulés à des fins politiques précises.
Pendant des années, de nombreux journalistes se sont efforcés de vouloir répondre aux questions concernant une troisième Intifada à venir. Certains l’ont fait à bon escient, d’autres de façon malhonnête comme dans ce reportage de NBC News : « la violence palestinienne frappe les Israéliens : la troisième Intifada a-t-elle commencé ? » Peu nombreux sont ceux qui prétendent à l’objectivité, avec des résultats mitigés comme dans ce reportage de CNN : « À Jérusalem, l’auto-Intifada est loin d’un soulèvement ».
Mais la plupart d’entre eux, en utilisant une approche arrogante pour comprendre le fonctionnement du collectif palestinien, n’ont pas réussi à comprendre ce qu’est en premier lieu une insurrection. L’échec de Friedman est particulièrement significatif parce que, étant « le messager de l’empereur » [journaliste officiel] il ne pouvait se représenter l’impact des phénomènes populaires sur les élites politiques. Il se soucie rarement de ces petites choses pour lesquelles luttent des millions de personnes, comme la liberté, la dignité, et, parfois, la survie elle-même. Cette mentalité coupée des réalités définit trop souvent l’approche des médias américains : aborder les questions d’un lieu lointain comme le Moyen-Orient avec une vue stéréotypée, sinon une approche chauvine.
La compréhension de NBC est tout aussi erronée, mais typique du discours dominant dans lequel une Intifada signifie mécaniquement « la violence palestinienne qui prend pour cible les Israéliens. » Cette présentation des faits est plutôt déconcertante, compte tenu de l’énorme écart constaté dans les Intifadas précédentes entre les victimes palestiniennes et israéliennes.
Même l’approche quelque peu plus réfléchie qui explique une intifada par l’indignation populaire résultant de l’absence d’horizon politique, peut même si parfois inconsciemment, sembler déformée.
Il est intéressant de noter que pratiquement aucun de ces médias n’a eu la prescience de prédire les soulèvements précédents. Certes, la violence peut être prévue dans une certaine mesure, mais le cours de l’action collective de toute une nation, séparée par des divisions géographiques, politiques, d’organisations et d’autres tout aussi problématiques, ne s’analyse pas en quelques phrases et se laisse encore moins anticiper.
De nombreux incidents dans le passé n’ont jamais abouti à une Intifada, bien qu’ils aient pu unir divers secteurs de la société palestinienne et alors qu’un certain degré de violence était également une caractéristique importante, car une Intifada n’est pas un appel à la violence convenu entre un certain nombre de personnes qui constitueraient alors une masse critique. Une Intifada, bien que souvent articulée avec un ensemble clair de revendications, n’est pas non plus influencée par un agenda politique tout à fait précis.
Les Palestiniens menèrent une insurrection en 1936 contre l’administration coloniale du mandat britannique en Palestine, lorsque celle-ci faisait son maximum pour aider les sionistes à établir un « État juif » et refusait aux Palestiniens toute aspiration à l’indépendance, niant ainsi l’esprit même du mandat des Nations Unies. Le soulèvement s’est transformée en une révolte dont le résultat a été une forte montée de la conscience politique dans tous les secteurs de la société palestinienne. Une identité palestinienne, qui existait pourtant depuis des générations, s’est alors cristallisée et sa cohésion est devenue plus forte que jamais.
Si analysée d’un point de vue rigide, l’Intifada de 1936 à 1939 a échoué, son succès a pourtant été le renforcement d’une identité auparavant fragmentée délibérément ou selon les circonstances. Les Intifadas qui se sont plus tard produites ont obtenu des résultats similaires. L’Intifada de 1987 a permis la reprise en mains de la lutte palestinienne par un jeune génération dynamique née en Palestine même, unifiant les identités mais aussi les récits. L’Intifada de 2000 a contesté l’incohérence historique d’Oslo, une dérive majeure du cours de la résistance défendue par chaque génération palestinienne depuis 1936.
Bien que les Intifadas affectent le cours de la politique, elles ne sont guère conçues comme des déclarations politiques en elles-mêmes et n’ont rien à voir avec les représentations dévalorisantes qu’en font la plupart des journalistes et des politiciens. Elles ont valeur de processus général, remarquable et sans compromis qui, indépendamment de son impact sur les discours politiques, est destiné à « secouer » le statu quo, contestant avec défi tout ce qui contribue à l’oppression d’une nation.
Il n’est donc pas question de « la violence ciblant les Israéliens », ou de ceux qui y contribuent parmi les Palestiniens. Il s’agit plutôt de l’éveil de toute une société, voulant avec effort redistribuer toutes les priorités, véritable pas en avant sur la voie de la libération, à la fois dans le sens imagé et réel.
Et compte tenu des nombreuses variables en jeu, seul le peuple palestinien pourra nous dire quand ils sera prêt pour une Intifada, car lui seul pourra en décider.
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Ramzy Baroud est doctorant à l’université de Exeter, journaliste international directeur du sitePalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre,Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé àDemi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach