samedi 18 octobre 2014

Compétition féroce pour les contrats de reconstruction dans Gaza

Les Palestiniens à Gaza attendent avec impatience la conférence des donateurs pour la reconstruction de Gaza, prévue le 12 octobre au Caire, sur invitation de l’Égypte et de la Norvège et sous l’égide du président palestinien Mahmoud Abbas.
Khan Yunis, 26 juillet 2014 - Des secouristes palestiniens extraient un corps des décombres de l’immeuble où ont été massacré dans un bombardement israélien, 20 membres de la famille Al Najar (dont 10 enfants) - Photo :AP/ Eyad Baba

La conférence réunira des représentants de pays du monde entier, ainsi que des hommes d’affaires et des organisations locales et internationales. La conférence des donateurs a donné lieu à une compétition entre hommes d’affaires et entreprises au sujet des contrats de reconstruction de la bande de Gaza.
Un responsable économique à Gaza a déclaré à Al-Monitor : « Les préparatifs battent leur plein en vue de la [compétition pour remporter] la plus grande part des projets de construction prévus qui suivront la conférence. Cela se fait par une communication avec les organismes internationaux compétents (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient et le Programme des Nations unies pour le développement en particulier) et en coordination avec le gouvernement palestinien de consensus national, qui supervise tous les projets de reconstruction ».
Un ministre palestinien de premier plan, qui a demandé à rester anonyme, a expliqué à Al-Monitor « l’évolution rapide qui a lieu en secret pour préparer la reconstruction de Gaza » : « Certaines institutions économiques veulent se tailler la part du lion dans les fonds alloués à cette reconstruction. Ainsi, elles se vendent elles-mêmes aux pays donateurs, à la fois arabes et occidentaux, et cherchent à démontrer leur capacité à mettre en œuvre des projets de reconstruction dans le respect des normes internationales. »
Le ministre a décrit la concurrence rude entre le Conseil économique palestinien pour le développement et la reconstruction (PECDAR), dirigé par Mohammad Shtayyeh, membre du Comité central du Fatah, et le Fonds d’investissement palestinien, dirigé par Mohammed Mustafa, ministre de l’Économie. Ces deux institutions se sont préparées à cette concurrence vis-à-vis des plans de reconstruction de Gaza. Ni Mohammad Shtayyeh, ni Mohammed Mustafa n’ont pu se prononcer pour Al-Monitor sur ce qui les différencie et sur les plans qu’ils soumettront lors de la conférence sur la reconstruction.
Le 6 septembre, lors d’une conférence de presse à Ramallah, Mohammad Shtayyeh a affirmé que les destructions causées à Gaza ont laissé derrière elles 2 millions de tonnes de décombres. Selon lui, la reconstruction devrait durer cinq ans, si le blocus israélien sur Gaza est levé.
Le 11 septembre, Mohammed Mustafa a indiqué que 80 institutions arabes et régionales ont été invitées à la conférence du Caire en plus des pays donateurs.
À la mi-Septembre, le PECDAR a publié un rapport détaillé comprenant un plan général pour la reconstruction de Gaza. Ce rapport, dont Al-Monitor a obtenu une copie, contient 200 journaux grand format ainsi que des cartes, tableaux et statistiques, et conclut que le coût total de la reconstruction de la bande de Gaza s’élève à 7,8 milliards de dollars.
Al-Monitor a reçu une estimation chiffrée de la part d’un haut fonctionnaire du ministère des Travaux publics à Gaza, sous couvert d’anonymat : « En termes de matériaux de construction [nécessaires pour la] reconstruction de Gaza, il faut au total 1,5 million de tonnes de ciment, 227 000 tonnes de fer et 5 millions de tonnes de gravier. »
Le Fonds d’investissement palestinien a toutefois répondu qu’il présenterait son propre programme de reconstruction lors de la conférence du Caire.
« Les préparatifs sont en cours pour imprimer le plan final qui sera présenté à la Conférence du Caire et qui proposera son propre programme de reconstruction de Gaza », a indiqué à Al-Monitor une source travaillant au Fonds d’investissement palestinien et souhaitant rester anonyme.
Ceci a incité le rédacteur en chef du quotidien Al-Eqtisadiah à Gaza, Mohammed Abu Giab, à s’exprimer lors d’une interview accordée à Al-Monitor : « Le rapport actuel entre le PECDAR et le Fonds d’investissement palestinien n’est pas une compétition entre deux entreprises du secteur privé : les deux parties proposent leurs projets et leurs plans en fonction de leur influence au sein des organes exécutifs officiels palestiniens. »
« La monopolisation du projet de reconstruction de Gaza par ces deux parties empêche le reste des entreprises du secteur privé de proposer leur participation à ce grand projet. Toutes deux considèrent ce projet comme une opportunité d’investissement pour générer plus de profits et de bénéfices, bien loin des normes universellement adoptées », a-t-il ajouté.
Mohammed Abu Giab affirme également que « certaines entreprises organisent leurs documents, contrats et accords en secret pour sucer le sang de Gaza et piller l’argent des gens sous prétexte de faciliter et de soutenir la relance et la reconstruction du secteur privé ».
Les économistes ont accusé les principaux détenteurs de capitaux palestiniens d’accumuler les parts du gâteau de la reconstruction de Gaza. Cette bataille entre les principales institutions économiques pour la reconstruction de Gaza et les inquiétudes suscitées ont poussé les représentants des organisations non gouvernementales et les organismes du secteur privé à tenir une réunion, le 21 septembre à Gaza, à laquelle Al-Monitor a assisté.
Les participants se sont mis d’accord sur la formation d’un organisme national pour la reconstruction de Gaza. Celui-ci planifierait, superviserait et contrôlerait le processus de reconstruction en toute transparence. L’organisme a également exigé l’unification du plan de reconstruction, la clarification des références, la suppression des obstacles qui entravent la reconstruction, la remise en service des usines nécessaires pour les matériaux de construction, l’importation des machines et équipements nécessaires et la réouverture de tous les postes frontaliers pour répondre aux besoins du marché, sans aucune condition préalable.
Le parti le moins présent dans la guerre qui fait rage en coulisses pour les fonds de reconstruction de Gaza est le Hamas, qui s’est abstenu de s’exprimer publiquement.
Toutefois, un haut responsable du Hamas a déclaré à Al-Monitor sous couvert d’anonymat : « Nous avons reçu des informations à ce sujet ; en tant que mouvement, nous n’avons pas à nous occuper de la nature du mouvement économique qui permettrait d’accélérer la reconstruction de la bande de Gaza. [Et ce] en dépit de nos réserves quant à l’absence de mécanismes de contrôle et de transparence due à l’absence du Conseil législatif palestinien de la réalité politique. Nous sommes convaincus qu’une fois rétabli, ce conseil pourra adopter des lois qui empêcheraient toute manipulation de l’argent public. »
À la mi-septembre, le Coordonnateur spécial des Nations Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Robert Serry, a annoncé un plan visant à envoyer des matériaux de construction dans la bande de Gaza, ainsi que 250 à 500 inspecteurs internationaux pour surveiller la mise en œuvre du processus de reconstruction, dans le but de s’assurer que le Hamas n’ait pas accès aux matériaux de construction.
Al-Monitor a interrogé ce même responsable du Hamas à propos du plan de Robert Serry. « Le Hamas ne veut pas intervenir directement dans la reconstruction de la bande de Gaza, afin de ne pas être accusé d’entraver l’issue de la reconstruction dans son ensemble, même si nous savons que le projet humanitaire est politisé. »
Le responsable a également évoqué le risque de corruption susceptible de toucher la reconstruction de Gaza : « Nous savons également que d’importantes sommes d’argent ont été levées pour contribuer au projet de reconstruction, et que celles-ci ne devraient pas se retrouver dans les poches de certaines personnes influentes proches des postes décisionnels de l’Autorité palestinienne. Tout le monde devrait pouvoir entrer en compétition dans une atmosphère de liberté concurrentielle, tout en unifiant les chaînes de consommation et de financement de telle sorte que le processus de reconstruction de la bande de Gaza ne soit pas entravé. »

* Adnan Abu Amer est doyen de la Faculté des Arts et responsable de la Section Presse et Information à Al Oumma Open University Education, ainsi que Professeur spécialisé sur l’Histoire de la question palestinienne, la sécurité nationale, les sciences politiques et la civilisation islamique. Il a publié un certain nombre d’ouvrages et d’articles sur l’histoire contemporaine de la Palestine.
Traduction : Info-Palestine.eu - Valentin B.