vendredi 1 août 2014

Les racines de la Résistance palestinienne

La manifestation de la semaine dernière à Qalandia est la plus importante depuis la première intifada : pourquoi les Palestiniens protestent-ils aujourd’hui avec une ampleur inégalée depuis plus de 10 ans ?
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Un manifestant palestinien s’apprête à lancer vers les forces d’occupation un pneu en flamme, lors d’affrontements avec les forces israéliennes dans le camp de réfugiés de Qalandia
Une grande partie des manifestants qui ont traversé Ramallah en direction du checkpoint de Qalandia, le jeudi 24 juillet, n’avaient jamais participé à une action de cette ampleur. La foule, qui regroupait 20 à 50 000 personnes, incluait beaucoup de jeunes militants qui étaient encore des enfants quand la seconde intifada a éclaté il y a presque 14 ans. Il faut savoir que chaque intifada est l’oeuvre d’une nouvelle génération. Certains commentateurs disent même que la manifestation de Qalandia est la plus grosse depuis la première intifada.
Le massacre qui est actuellement perpétré contre les Palestiniens de Gaza rappelle étrangement les bombardements de l’Opération Cast Lead qui ont commencé le 27 décembre 2008, bien que, vu que le nombre des morts dépasse déjà les mille, il semble que le massacre de 2008 soit en passe d’être éclipsé par cette nouvelle tuerie. Pendant l’Opération Cast Lead, des manifestions avaient éclaté dans toute la Cisjordanie et en "Palestine occupée depuis 1948", mais rien de comparable au soulèvement actuel de la Palestine. Alors qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi les Palestiniens se soulèvent-ils aujourd’hui comme ils ne l’ont pas faire depuis plus de 10 ans ?
La base est solidaire
Les intifadas ne viennent pas de nulle part. Elles n’ont rien à voir avec le retour spontané des "cycles de violence" collective comme disent les médias occidentaux. Au fil des années, la communauté Palestinienne s’est organisée loin des médias et les jeunes militants ont amélioré les méthodes qui ont fait leurs preuves lors des soulèvements précédents.
Dans les villages autour de Naplouse que les colons attaquent régulièrement, les communautés ont constitué des "comités populaires" pour défendre les villages la nuit et ces comités ont réussi à de nombreuses reprises à repousser des raids nocturnes. Dans le village de Qusra, les villageois ont arrêté 18 colons masqués pendant une attaque en janvier avant de les remettre aux forces israéliennes par l’intermédiaire des équipes de sécurité palestinienne. Des comités populaires ont fait la même chose dans de nombreux autres villages. Pendant la dernière campagne israélienne d’arrestations massives en Cisjordanie, beaucoup de villes et de villages ont mis en place des comités de résistance constitués des jeunes qui se relaient pour monter la garde la nuit et protéger les villageois des invasions militaires.
Qui plus est, à Ramallah, depuis plusieurs mois, les jeunes organisent des grèves économiques dans le centre ville lorsque des Palestiniens sont assassinés. Cette pratique était très répandue pendant la première intifada et au début de la seconde, mais sa réémergence récente montre que la nouvelle génération a à coeur de ranimer la solidarité populaire en se basant sur l’expérience de leurs parents ou grands-parents ; et cette stratégie gagne d’autres villes de Cisjordanie.
A ces grèves s’ajoutent des actions directes comme la grève de la faim des prisonniers politiques. Au cours de ces actions, les manifestants ont bloqué et fermé les bureaux de la Croix Rouge Internationale, des Nations Unies ou de l’Union Européenne pour leur demander pourquoi ils laissent les Palestiniens souffrir sans rien faire.
Le temps explique aussi la renaissance de la résistance. Les deux intifadas précédentes ont duré 3 ou 4 ans. Ensuite la résistance s’est réduite à quelques poches et il y a eu des négociations de paix. Après la première intifada, le processus politique a duré près de 10 ans ponctué par des actes de résistance localisés sans grande conséquence jusqu’à la seconde intifada. Ces périodes de creux dans la résistance voient grandir une nouvelle génération dont la colère finit par exploser sous la direction d’une nouvelle équipe. C’est une de ces périodes qui vient de s’achever. La majorité des Palestiniens n’en peut plus d’un processus politique qui n’aboutit à rien, et la jeunesse actuelle semble prête a reprendre le combat.
Un sentiment anti-Autorité Palestinienne
Quand Mahmoud Abbas a décidé de perpétuer la mascarade d’Oslo en revenant à la table des négociations en juillet de l’année dernière, la condamnation a été unanime dan les rues palestiniennes. Tout ce que les Palestiniens ont gagné après 20 ans de processus de paix, c’est davantage de colonisation et davantage de population déplacée, emprisonnée et tuée.
L’échec du dernière round de négociations a été suivi de la grève de la faim collective des prisonniers politiques qui a été la plus longue de toute l’histoire de la lutte contre le Sionisme. Les manifestations de soutien aux prisonniers en grève de la faim ont été réprimées par l’AP au titre de la coopération sécuritaire entre Abbas et l’occupation. Pour beaucoup, il s’agit là d’une "externalisation" de l’occupation dont profitent les cadres de l’AP. Le point de non retour a été atteint quand les forces israéliennes ont envahi le centre de Ramallah en juin dernier pour la première fois depuis 2007. Les forces d’occupation qui avaient pris position devant le poste de police de l’AP ont mitraillé la jeunesse palestinienne pendant que les policiers de l’AP, qui avaient reçu l’ordre de ne rien faire, regardaient le spectacle par les fenêtres. De même, quand des manifestations ont éclaté après le meurtre de Mohammad Abu Khdair, les force de l’AP forces ont empêché plusieurs fois les militants de se rendre aux bases de l’armée israélienne et dans les colonies de Cisjordanie.
Quand on parle aux habitants de Cisjordanie, on se rend compte qu’ils se sentent tous piégés entre l’occupation d’un côté et l’AP de l’autre, cette dernière faisant le jeu de l’occupation. La colère est palpable.
La montée du Hamas en Cisjordanie ?
Suite à l’annonce du récent accord de réconciliation Fatah-Hamas, des drapeaux du Hamas ont recommencé à flotter dans les manifestations de Cisjordanie, malgré l’émotion que cela a suscité au début. Le profond mécontentement du peuple contre l’AP se combinant avec le rôle du Hamas dans la résistance, peut-on dire que le Hamas comble un vide politique en Palestine ?
Pour les Palestiniens il est clair que les attaques actuelles sur Gaza sont des attaques contre tous les Palestiniens. Avant la série de massacres israéliens à Gaza, une campagne d’arrestations massives a été menée en Cisjordanie et les manifestations qui ont suivi le meurtre de Abu Khdair à Jérusalem ont été attaquées jour après jour. De même, les manifestations de Haïfa au Néguev et de Ramallah à Jaffa ont été réprimées avec plus ou moins de violence et d’arrestations. Les Palestiniens sont un seul peuple, qu’ils possèdent une carte d’identité israélienne ou qu’ils soient exilés à l’étranger. Les massacres de Gaza et le siège interminable ne sont que des rouages de la machine coloniale sioniste et c’est ce projet expansionniste dans son ensemble que la résistance combat.
Il est exact que la popularité du Hamas grandit en Cisjordanie du fait de son rôle actuel dans la résistance mais c’est l’acte de résistance lui-même plutôt que le Hamas en tant qu’entité politique ou idéologique que les gens soutiennent. Le Hamas n’est pas le seul organe à résister, il y a d’autres factions à Gaza, comme d’ailleurs en Cisjordanie et dans la Palestine de 1948 - ceux qui résistent le font parce qu’ils se sentent palestiniens et non à cause des prises de position de telle ou telle faction.
L’annonce récente des Brigades des Martyrs al-Aqsa de Cisjordanie affilées au Fatah qu’ils mettaient fin au cessez-le-feu en s’affranchissant de la ligne officielle, en est la preuve. Le lendemain de la grande manifestation de Qalandia des membres des brigades al-Aqsa ont ouvert le feu sur les forces d’occupation, ce qui a provoqué de longs échanges de feu. La même nuit, l’aile militaire des Comités de Résistance Populaire - les Brigades al-Nasser Salah al-Din - a revendiqué la responsabilité d’une attaque contre les forces d’occupation à Naplouse en réponse à "l’agression israélienne en cours contre le peuple Palestinien." Un nouveau soulèvement se produit et il a de nombreux visages.
L’unité palestinienne vient d’en bas
La plupart des Palestiniens ont bien accueilli l’accord de réconciliation Fatah-Hamas tout en manifestant un certain scepticisme notamment en Cisjordanie où peu de gens croyaient qu’il permettrait de réelles avancées politiques.
Ce qui a peut-être le plus favorisé la montée du soulèvement actuel c’est la renaissance de l’unité de petit peuple palestinien. L’unité nationale ne se fait pas à coup de signatures d’accords, elle est le fruit d’actions collectives. Les manifestations qui ont éclaté dans toute la Palestine historique après le meurtre de Abu Khdair le montrent. Ce qui corrobore aussi le fait que le soulèvement actuel n’est pas dû aux factions, c’est qu’en 1948, lorsque les heurts ont éclaté il n’y avait ni Fatah, ni Hamas, ni aucune autre faction car elles sont toutes nées après l’occupation de la Palestine en 1967.
De nombreux militants de la nouvelle génération rejettent en bloc les accords d’Oslo ainsi que les divisions entre les factions et les élites que ces accords ont engendrées. Ils coopèrent aux échelons de base et appellent de leurs voeux une vraie représentation nationale qui pourrait prendre la forme d’une OLP restructurée ou de quelque chose d’entièrement nouveau. Si les militants diffèrent sur la forme de cette représentation, en revanche ils exigent tous qu’elle soit l’émanation du peuple palestinien tout entier : les Palestiniens des territoires occupés en 1967, ceux de la Palestine de 1948 et tous ceux qui sont en exil dans le monde. Pour ces militants, il est presque secondaire que la réconciliation entre le Fatah et le Hamas porte ou non des fruits étant donné que cette réconciliation ne résout pas l’impasse politique actuelle ; ce qu’ils veulent c’est travailler à mettre en place une représentation qui reflète vraiment l’unité du peuple.
La volte-face d’Abbas
Quand Mahmoud Abbas a assuré à Israël que la coordination sécuritaire AP-Israël était "sacrée" il y a 2 mois, il a suscité le dégoût dans toute la population. Après la manifestation massive de jeudi, le Fatah d’Abbas a appelé lui aussi à une Journée de Colère collective contre les massacres de Gaza. Parmi les leaders du Fatah qui soutenaient publiquement cette journée de résistance, il y avait des proches d’Abbas. Ils avaient forcément son aval. Qu’est-ce qui a donc provoqué cette volte-face du Fatah et pourquoi Abbas n’a-t-il pas ordonné à sa police d’empêcher cette manifestation comme la plupart des précédentes ?
L’AP dépend de subventions internationales pour maintenir son régime. Elles sont fonction de sa capacité à réprimer la résistance. Le plan économique néoliberal étasuno-israélien que l’AP a signé des deux mains violait les droits fondamentaux des Palestiniens - et cela tout les Palestiniens le savent. Abbas a conscience que son manque de popularité le met en situation instable. Et quand des dizaines de milliers de gens se sont mis en route pour Qalandia, Abbas a compris qu’il ne pouvait tout simplement pas les en empêcher et que, quand bien même il le pourrait, le faire signerait son arrêt de mort politique. Alors le Fatah a tenté de capitaliser sur la vague de colère en appelant à manifester. Sur le terrain cela n’a rien changé du tout ; il y a des manifestations tous les vendredi depuis des semaines et les gens qui sont venus jeudi ne l’ont pas fait parce que l’AP les y a appelés. Leur but était de signifier leur opposition à une reprise en main de l’intifada par les structures dirigeantes pour que ne se reproduise ni la catastrophe d’Oslo, produit de la prise de contrôle de la première intifada par les factions, ni l’échec de la seconde intifada qui a seulement permis à "quelques heureux élus" de bénéficier, depuis, de tous les privilèges du pouvoir.
Abbas pourrait même avoir des difficultés à contrôler ses propres forces si la situation perdurait. Suite à un accord AP-Israël de 2005, plusieurs centaines de membres de la résistance, notamment des Brigades des Martyrs al-Aqsa affilées au Fatah, ont été intégrés à l’AP, en échange de quoi ils étaient rayés de la liste des personnes recherchées. Il suffisait de regarder les jeunes policiers de l’AP qui réprimaient les manifestants, pour se rendre compte que leur rôle ne leur plaisait pas beaucoup. Si le vent tournait vraiment et que la rue devenait incontrôlable, il est probable que beaucoup de ces jeunes rejoindraient les manifestants au lieu d’obéir à leur employeur. Tout cela prouve qu’Abbas perd de plus en plus le contrôle de la situation.
Souffrance collective
On voit bien que les soulèvements actuels ont plusieurs causes. Les hommes, femmes et enfants tués chaque jour à Gaza et en Cisjordanie sont d’abord et avant tout des êtres humains, pas des statistiques, ce sont aussi des Palestiniens et non des "Gazaouis" ou des "Cisjordaniens". Ils souffrent tous ensembles et, souffrir pour souffrir, les Palestiniens ont décidé, une fois de plus, de résister tous ensembles. Abandonnés par une "communauté internationale" qui n’a aucune intention de réparer ses erreurs, en tous cas officiellement, les Palestiniens se battent une fois de plus pour leur survie.
Au coeur de la résistance, une nouvelle génération a pris les commandes comme les précédentes générations l’ont fait avant elle. La résistance est menée par des Palestiniens parce qu’ils sont palestiniens et non parce qu’ils appartiennent à telle ou telle faction, contre une entreprise coloniale et non contre une religion ou un peuple. Les Palestiniens se battent pour mettre fin au vol de leur terre et à la destruction de leur peuple ; ils se battent pour retrouver leur liberté et ils veulent un gouvernement qui soutienne cette lutte et qui les représente vraiment tous. Ceux qui, sur terre, soutiennent la cause palestinienne doivent avoir conscience que les slogans " Mettez fin au siège" ou "Libérez Gaza" ne s’attaquent pas à la racine du problème. Il n’y a que la justice et la libération totale qui peuvent sauver le peuple palestinien. Le peuple palestinien veut vivre libre et c’est pour cela qu’il se bat.
* Rich Wiles est un artiste photographe primé, auteur et cinéaste qui vit en Palestine depuis plus de 10 ans. Son dernier livre est Generation Palestine : Voices from the Boycott, Divestment and Sanctions Movement (Pluto, 2013). Son site : www.richwiles.com
29 juillet 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/essays...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet