mercredi 27 août 2014

Gaza : ça bouge à Hollywood !

Traditionnellement, la capitale du Septième art est plutôt frileuse, politiquement s’entend. Enfin, frileuse, tout dépend de quoi et de qui. Là-bas, le “méchant” y est traditionnellement français, ou russe, ou arabe et/ou musulman – pas toujours dans cet ordre, mais il y a de ça. Petit détail, le “méchant” fume ; ce qui tombe bien, le Français, le Russe, l’Arabe et le musulman ayant le droit de tirer sur l’herbe à Nicot
De temps à autres, il arrive pourtant que le microcosme hollywoodien puisse se risquer à penser hors des clous. Des fois, cela tourne mal, voyez le film, La Passion du Christ, de Mel Gibson, qui a obligé ce dernier à prendre une retraite anticipée pour de très fumeuses accusations « d’antisémitisme ». Là, devant le cataclysmegazaoui, il fallait bien que quelques voix se lèvent. Elles le firent, peu nombreuses et, surtout, pas n’importe lesquelles.
Ainsi, de manière assez logique, c’est la petite communauté des acteurs, actrices et réalisateurs de confession catholique et d’origine hispanique qui s’est dressée contre l’interminable punition infligée par l’État hébreu vis-à-vis du réduit gazaoui. Logique ? Oui, car si la communauté juive et protestante hollywoodienne est en naturelle empathie avec le messianisme protestant des Pères fondateurs de la puissante Amérique (Dieu nous a donné la Terre promise et toute ces fadaises), la minorité catholique locale, même si ayant un temps volé la terre aux Indiens, sait ce qu’il en coûte de se sentir étrangère en son propre pays. Voyez ne serait-ce qu’une simple carte routière pour comprendre que les noms des villes – San Francisco, Los Angeles– celui des États, – Californie, Nouveau-Mexique et Arizona – portent, ne serait-ce que par leur intitulé, une trace identitaire n’ayant que peu à voir avec les dingues messianiques du Mayflower… Trace identitaire qui leur fut volée, terre dont ils furent expulsés, terre dans laquelle ils reviennent aujourd’hui par le biais de tunnels plus ou moins clandestins ; ça ne vous rappelle rien ?
Fin juillet donc, dans les colonnes du quotidien hispanophone,El Diario, une centaine d’autres artistes espagnols, dont le réalisateur PedroAlmodovar, ont exprimé leur critique de l’agression sioniste à Gaza, dans une tribune intitulée« Génocide ».
L’acteur Javier Bardem (le méchant dans le James Bond Skyfall) y déclarait notammant :« Dans l’horreur qui se passe en ce moment à Gaza, il n’y a pas de place pour la distance ou la neutralité… Je necomprends pas cette barbarie, encore plus brutale et incompréhensible compte tenu de toutes les choses horriblesque le peuple juif a vécu dans le passé. »
Ces propos, bien que mesurés, ont rendu fous de rage les nababs de l’industrie cinématographique d’outre-Atlantique.C’est dans le Hollywood Reporter qu’un certain nombre de courageux producteurs ont déclaré anonymement, que le couple d’acteurs
serait désormais blacklisté et que les portes des studios leur seraient fermées.
L’acteur John Voight (passé du soutien à JFK à celui de Bush, de la lutte contre la guerre du Vietnam, au soutien à Tsahal)
a même désigné à la vindicte d’Hollywood, ses confrères en les accusant de « promouvoir l’antisémitisme dans le monde », tout en ajoutant :« Vous avez pu devenir célèbres et faire fortune grâce à un pays démocratique : l’Amérique. Pensez-vous que vous auriez puaccomplir tout cela en Iran, en Syrie, au Liban ? Votre célébrité vous donne la responsabilité de l’utiliser pour faire le bien. Au lieu deça, vous avez diffamé le seul pays démocratique et de bonne volonté au Moyen-Orient : Israël. »
Dans le même temps, Roger Waters, bassiste du mythique groupe Pink Floyd, adressait récemment une lettre à « ses collègues du rock and roll » :
« Lors de la récente édition des « Promenade Concerts » au Royal Albert Hall àLondres, Nigel Kennedy, virtuose violoniste britannique, a mentionné la politique d’apartheid d’Israël.Rien de bien nouveau, vous pensez.Et puis une certaine baronne Deech a contesté cette affirmation et demandé à la BBC de censurer la performance de Kennedy encoupant sa déclaration. La baronne Deech n’a fourni aucune preuve pour étayer son argument et pourtant la BBC, supposée être unechaine politiquement neutre, a accepté sa requête, nous jouant un tour orwellien.Bon ! Il est temps pour moi de m’insurger à nouveau, au côté de mon frère Nigel Kennedy.Et d’ailleurs, Nigel, bravo. »
De son côté, Nigel Kennedy, prodige du violon, allant jusqu’à dynamiter Vivaldi et Jimi Hendrix, a tenu à déclarer, le plus officiellement du monde : « Il est incroyable, et assez effrayant, qu’au XXIe siècle, il y ait toujours un tel problème insurmontable pour dire leschoses comme elles sont. »
Et le même de rappeler, dans ce même communiqué, signé à la troisième personne : « Sa première réaction à la censure par la BBC et à son manque impérial d’impartialité a été de refuser de jouer pourun employeur qui est influencé par des forces extérieures si contestables.M. Kennedy a toutefois rappelé que son principal objectif est de donner au public la meilleure musique qu’il peut produire. Retirer sesservices ce serait comme si un chauffeur de taxi refusait de conduire ses clients parce qu’ils seraient politiquement incorrects. Parconséquent, il ne retire pas les services qu’il doit au public, mais il s’attend à moitié à être remplacé par quelqu’un jugé plus conforme envertu de son opportunisme débordant et de ses ambitions professionnelles.Cependant, M. Kennedy est heureux que, en le censurant, la BBC ait créé une si immense plate-forme pour débattre de sa propreimpartialité, de son respect (ou non-respect) de la liberté d’expression et pour débattre du lamentable apartheid imposé au peuplepalestinien par le gouvernement israélien soutenu par tant de gouvernements du monde extérieur. »
Entre-temps, Roger Waters, des Pink Floyd, exhortait ses amis des Rolling Stones de renoncer à leurs concerts, pourtant programmés de longue date, à Tel Aviv.
Les artistes, on le sait, n’ont que peu d’influence sur la marche du monde. Pourtant, il peut leur arriver qu’ils sauvent l’honneur, à leur façon. Cela méritait d’être salué.
Jean FRANCE-MARTIN