jeudi 16 juillet 2009

Colonisation ; "Mots choisis"

Aligné à gauchepublié le mercredi 15 juillet 2009

Dan Ephron
Comment vendre aux Américains l’idée des implantations israéliennes ? Un spécialiste de l’opinion publique donne ses conseils sur la meilleure façon de s’y prendre.

Comment faire pour vendre au peuple américain l’idée selon laquelle Israël a le droit de conserver, voire d’étendre, les implantations juives en Cisjordanie ? Soyez positif. Quittez le terrain des implantations et parlez de paix. Invoquez le nettoyage ethnique.

Ce sont trois des recommandations de Frank Luntz, consultant en politique et spécialiste de l’opinion publique, dans une étude interne réalisée pour The Israel Project (TIP), un groupe basé à Washington, sur les méthodes les plus efficaces pour parler aux Américains du conflit entre Israéliens et Palestiniens. Ce document de 117 pages, titré The Israel Project’s 2009 Global Language Dictionary (Lexique global 2009 du Projet Israël), et commandé par cette organisation à but non lucratif dont le but est de promouvoir la vision israélienne de la question, est arrivé jusque dans les mains de Newsweek. On y trouve des chapitres tels que "Comment évoquer les questions de l’autogouvernement palestinien et de la prospérité palestinienne" et "Le langage de la lutte contre la nucléarisation de l’Iran".

Le rapport est parsemé d’encarts en gras baptisés "les mots qui fonctionnent" et "les mots qui ne fonctionnent pas", à côté de conseils rhétoriques tels que "ne parlez pas de religion" et "quelle que soit la question, répondez par un message pro israélien productif". Ensemble, les dix-huit chapitres constituent un aperçu fascinant sur la façon dont Israël et ses partisans essaient d’orienter le débat public en leur faveur.

On peut trouver l’intégralité du rapport ici.

Interrogé sur le document, le fondateur et président de TIP, Jennifer Laszlo-Mizrahi a indiqué à Newsweek qu’il était fondé sur des sondages et des entretiens avec des groupes de discussions, et servait à formuler des stratégies de communications. Selon elle rétablir la vérité sur les implantations dans le public est particulièrement important. "L’idée qui prévaut chez quelques-uns à Washington selon laquelle on obtiendra la paix en faisant pression sur Israël pour obtenir des concessions sur les implantations est malheureusement à très courte vue".

La question des implantations est la principale source de frictions entre les Etats-Unis et Israël depuis l’accession en mars de Benjamin Netanyahu au poste de premier ministre d’Israël. Le président Obama a indiqué qu’il voulait un arrêt total des constructions dans les communautés juives de Cisjordanie. Environ 300000 Israéliens vivent dans des implantations établies en Cisjordanie, sans compter Jérusalem est. Les Palestiniens considèrent la région comme le cœur de leur futur état.

Luntz, qui a principalement conseillé dans le passé des candidats Républicains, semble avoir testé divers messages sur les groupes de discussion. Il en conclut que "l’opinion publique est hostile aux implantations", même chez ceux qui soutiennent Israël. "Rien n’est plus délicat à faire passer de façon efficace chez les Américains d’opinion neutre qu’un message en faveur des implantations", écrit Luntz. "Pour que cette conclusion soit tout à faire claire : de nombreux leaders israéliens ou juifs américains ont essayé, mais le public américain et européen a rejeté quasiment tout ce que nous avons pu proposer". Luntz n’a pas donné suite aux demandes de commentaires de Newsweek.

Le rapport cite trois arguments particulièrement inefficaces qu’avancent souvent les officiels israéliens pour défendre les implantations :

(1) L’argument religieux : "Citer la bible pour défendre les implantations actuelles aura l’effet exactement opposé. Idem chez les membres de votre public de religion juive : ils répugneront à toute tentative d’exploiter la bible pour justifier les implantations".

(2) L’argument de la propriété : "Parmi les lecteurs de ce document, certains rejetteront ce conseil pour des raisons idéologiques, mais proclamer qu’Israël est "propriétaire" des terres qui hébergent les implantations n’aura pour effet chez la plupart des auditeurs qu’un rejet de tout ce que vous pourrez dire ensuite. Les nuances sémantiques sont importantes, c’est vrai, mais quand on rectifie systématiquement le discours palestinien en remplaçant "territoires occupés" par "territoires contestés", il faut accepter le fait que les implantations soient également des territoires contestés".

(3) L’argument du bouc émissaire : "Déclarer que les Palestiniens et d’autres groupes arabes exploitent la question des implantations pour y gagner un avantage politique est peut-être vrai, mais ne légitime en rien la politique israélienne".

Dans son rapport, Luntz, définit le "meilleur argument en faveur des implantations" comme celui qui tracerait un parallèle entre les communautés arabes en Israël et les colons juifs en Cisjordanie — et identifierait l’idée de l’évacuation des juifs à une forme de racisme. "L’idée selon laquelle là où il y a des Palestiniens, il ne saurait y avoir de Juifs, que certaines zones doivent être libres de toute présence juive est une idée raciste" suggère-t-il de dire. "Nous ne disons pas qu’il faut nettoyer Israël de tous les Arabes. Ils sont citoyens d’Israël. Ils bénéficient des mêmes droits. Nous ne comprenons pas pourquoi la paix requiert que toute zone palestinienne doive subir une sorte de nettoyage ethnique visant à en retirer tous les Juifs. Nous ne l’acceptons pas. Le nettoyage pratiqué par un des camps contre l’autre camp est inacceptable".

Pour Luntz, il est un argument qui fait du tort à la cause israélienne : la politique de l’état hébreu de restriction de la construction de logements arabes à Jerusalem Est. "Les arguments légitimant la démolition de logements palestiniens en raison du non-respect du code de l’urbanisme en vigueur à Jerusalem sont si mal passés auprès des groupes de discussion que nous n’allons même pas leur consacrer un encart "les mots qui ne fonctionnent pas". Les Américains détestent leurs services locaux d’urbanisme, qui leur disent là où ils peuvent ou non implanter une piscine ou construire une clôture. Inutile d’ajouter cette hostilité à vos propres soucis de crédibilité. Pire encore, évoquer une "violation du code de l’urbanisme" quand une télévision filme la destruction d’une maison qui paraît plus ancienne que l’état moderne d’Israël est une catastrophe pure et simple".

publié par Newsweek le 10 juillet

|http://www.newsweek.com/id/206105 et par Le NouvelObs

http://tempsreel.nouvelobs.com/actu...

Traduction française de David Korn