mercredi 5 novembre 2014

Les multiples entraves aux voyages alimentent la frustration des Gazaouis

Meral, 28 ans, est originaire de la bande de Gaza et a parcouru le monde avant de revenir dans sa ville natale à Gaza. Mais le voyage qu’elle a effectué la semaine dernière et dont elle a fait le récit à Al Monitor était si traumatisant qu’elle n’essaiera peut-être plus jamais de quitter la bande de Gaza.

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12 août 2014 — Dans l’espoir de passer en Égypte avec sa famille, un garçonnet palestinien attend dans les bras de sa mère au poste frontière de Rafah entre l’Égypte et le sud de la bande de Gaza - Photo : Reuters/Ibraheem Abu Mustafa
Meral, journaliste indépendante travaillant pour la presse internationale, était conviée à une conférence sur les médias dans la capitale libanaise, Beyrouth. La sortie de Gaza s’est avérée délicate, indique-t-elle. Les voyages hors de la bande de Gaza doivent être préparés des semaines à l’avance.
En temps normal, au poste frontière de Rafah (toujours contrôlé par le Hamas), deux jours sont réservés aux étudiants, et deux jours aux personnes souhaitant faire le Hajj ou la Oumra en Arabie saoudite.
Aucun jour n’est réservé aux voyages d’affaires ou de loisir, ceux-ci requièrent donc une planification méticuleuse en amont.
Meral savait qu’il lui fallait un visa pour entrer au Liban, mais lorsqu’on l’a informée qu’elle pouvait partir le 1er octobre, elle a accepté en espérant que le visa pour le Liban, dont elle avait fait la demande longtemps auparavant, arriverait pendant son attente au Caire. Si elle avait refusé la proposition du gouvernement gazaoui de partir le 1er octobre, elle n’aurait eu aucune certitude quant aux possibilités ultérieures de départ. Elle aurait pu attendre des semaines, et n’aurait certainement pas pu assister à la conférence sur le journalisme et les médias financée par Canal France International (CFI) et la Fondation Samir Kassir.
Le voyage a commencé le 1er octobre à 5 heures du matin. Meral s’est rendue au point frontière de Rafah bien avant son ouverture officielle à 7 h 30. Elle parvint à quitter le côté palestinien seulement à 10 heures du matin avec le premier bus et arriva du côté égyptien de la frontière. Lorsque son passeport fut enfin contrôlé, on lui demanda de patienter. Vers midi, on lui indiqua qu’elle n’était pas autorisée à entrer en Égypte. Sa sœur, Rania, qui souhaitait se rendre à l’ambassade américaine du Caire, fut autorisée à passer et à rester au Caire pendant 72 heures.
Meral décida de faire appel et a imploré les autorités égyptiennes, un représentant de l’ambassade palestinienne en Égypte et un représentant du Hamas d’intervenir, mais sans succès. Meral a finalement été autorisée à s’entretenir avec un officier égyptien qui s’est moqué de l’invitation envoyée par la fondation libanaise. Il a accepté de la laisser partir pour l’aéroport international du Caire dans le cadre de ce qu’on appelle « tarheel », qui signifie littéralement « déportation ».
Ayant entendu de nombreux récits de personnes coincées à l’aéroport pendant des jours, Meral a refusé cette offre et tenté une autre approche.
« Je suis mariée à un journaliste turc », a-t-elle indiqué à l’officier égyptien, espérant que cela lui permettrait d’entrer en Égypte. Elle lui a même présenté son passeport pour le prouver. Mais le fait de mentionner la Turquie n’était pas une bonne idée, puisque l’Égypte et la Turquie sont actuellement confrontées à des problèmes politiques. On lui a alors retiré l’autorisation de voyager avec un visa de transit et ordonné de retourner à Gaza.
Dans un nouveau plaidoyer, elle leur a donc indiqué que sa maison familiale, située à Beit Lahia au nord de Gaza, avait été détruite pendant la guerre le 2 août. Mais rien n’y faisait. Enfin, vers 17 heures, alors que le poste frontière s’apprêtait à fermer, on lui a indiqué qu’elle disposait de deux options : le « tarheel » ou le retour à Gaza. Consciente qu’elle n’avait pas d’autre choix pour pouvoir assister à la conférence à Beyrouth, elle accepta le « tarheel » à contrecœur.
Huit heures plus tard, à 3 heures du matin le 2 octobre, Meral et d’autres voyageurs dans le même cas ont été emmenés dans un sous-sol sans fenêtres de l’aéroport international du Caire. Elle avait emmené une carte SIM égyptienne et acheté du crédit téléphonique et 3G pour pouvoir communiquer avec le monde extérieur, et notamment avec Rania qui avait été autorisée à passer 72 heures au Caire.
À son arrivée, Meral a fait la connaissance d’une famille syrienne bloquée dans ce sous-sol depuis des mois. Ils lui ont donné l’une de leurs couvertures qui n’était pas très propre, a-t-elle confié. Il n’y avait ni dortoirs, ni douches, ni apports de nourriture réguliers. Il fallait soudoyer les gardes égyptiens pour qu’ils ramènent de la nourriture de la cafétéria.
Selon Meral, le moment le plus difficile a été lorsque des touristes en vacances à la station balnéaire de Charm el-Cheikh, à la pointe sud de la péninsule du Sinaï, ont été transférés dans la zone de transit via le sous-sol sans fenêtres. Elle se souvient du regard étonné que ces Européens bronzés ont posé sur eux en constatant leur détresse.
Trois jours plus tard, Meral réussit à obtenir le visa tant convoité pour le Liban ainsi qu’un billet d’avion valide, les deux documents requis pour accéder à la zone de transit conventionnelle de l’aéroport international du Caire. Vers 17 heures le 5 octobre, quatre jours après son départ de Gaza, Meral embarqua sur un vol pour Beyrouth après avoir été traitée « comme un chien », selon ses propres termes.
Meral déclare que, depuis la création du gouvernement d’unité nationale, la politique appliquée par les Égyptiens envers les Palestiniens est de plus en plus stricte, notamment pour ceux qui souhaitent se rendre dans les pays arabes. Les efforts visant à placer la garde présidentielle [la garde d’Abbas - NdT] et des Européens du côté palestinien de la frontière ont été retardés puisque les représentants du Hamas ont refusé d’en céder le pouvoir et le contrôle.
Meral, qui avait toujours déclaré qu’elle ne quitterait jamais définitivement Gaza, comprend désormais pourquoi autant de jeunes Palestiniens rejoignent des groupes radicaux ou risquent leur vie sur des bateaux pour entrer clandestinement en Europe.
Elle rappelle également l’importance pour les Palestiniens de disposer de leur propre aéroport afin de ne plus subir les pratiques discriminatoires de la police aux postes frontières. Aujourd’hui, elle envisage sérieusement de s’installer en Turquie et de rendre visite à sa famille dans la bande de Gaza une fois que les conditions de voyage se seront améliorées.
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Daoud Kuttab : journaliste palestinien né à Jérusalem, il a enseigné le journalisme à Princeton et dirige actuellement le Community Media Network, organisation dédiée au progrès du journalisme arabe indépendant . Il est producteur de documentaires et titulaire de nombreuses distinctions. Il est chroniqueur pour Palestine Pulse de Al-Monitor, The Jordan Times, The Jerusalem Post et The Daily Star (Liban).
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claire L.