- Photo : Reuters/Mohammed Salem
C’est à Ibtisam Saymah, mère fragile de sept enfants et membre de
Femmes de Palestine,
un groupe des droits de l’homme que revient le plus grand mérite pour
la publication de ce livre. Elle a survécu aux bombardements, recueilli
des dizaines d’histoires et écrit un livre intitulé
Les familles Palestiniennes ciblées par les Sionistes durant la guerre d’Al-Furqan de 2009 [
The Zionist Targeting of Palestinian Families during the 2009 Al-Furqan War].
Elle a été plus forte que le cancer qu’elle a eu en raison de
l’inhalation des vapeurs de phosphore blanc et d’uranium appauvri que
dégageaient les décombres fumants.
Je suis allée à la rencontre de cette mère de famille qui m’a parlé
de l’idée du livre : « Au lendemain de la fin de la guerre, nous avons
décidé, au sein de [Femmes pour la Palestine] de réaliser un film
documentaire sur les familles palestiniennes qui sont ciblées durant la
guerre. Lorsque nous avons commencé à interviewer les familles, nous
avons constaté que le nombre de ces familles et de leurs martyrs était
incommensurable ; c’est alors que nous avons estimé qu’un seul film
n’était pas suffisant pour exprimer l’ampleur de la souffrance des
Palestiniens au monde entier, jusqu’ici inconscient de ce qui se passe
chez nous. J’ai donc pensé qu’il était plus plus ingénieux de rassembler
les récits et histoires de chaque famille et de relater chaque moment
de la guerre dans un livre. »
- Photo : AFP/Mahmoud Zayyat
Il s’agit donc de la première preuve documentaire du massacre de 22
jours qui a commencé durant les fêtes de Noël, le 27 décembre 2008. Ce
qui va suivre est le fruit de 11 mois de travail acharné et le premier
rapport en anglais qui détaille les circonstances, les noms et les âges
des bébés, des enfants, des adolescents, des femmes et des personnes
âgées dont la perte a plongé plus de 89 familles dans le deuil.
Voici quelques récits extraits du livre :
Le premier jour de guerre, Manal Ahmad Daban, 37 ans, a perdu deux de
ses filles, Hanan, 15 ans et Jasmin 16 ans, tuées sur le chemin de
retour de l’école.
- Ibtisam Saymah. Photo de Nadezhda Kevorkova
Au deuxième jour de la guerre, cinq enfants de la famille Ba’alusha
avaient été assassinés. Un missile qui s’est abattu sur une mosquée du
camp de réfugiés de Jabalia a tué Tahreer, 18 ans, Ikram, 15 ans, Samar,
13 ans, Dina, 8 ans et Jawaher, 4 ans. Le père de famille, Anwar, 38
ans a été blessé à la tête, leur mère Samira, 35 ans, blessée au visage
et leur deux autres filles Samah et Iman, âgées respectivement de 17 et
10 ans ont été blessées aux jambes. Seul Baraa qui avait à peine un mois
s’en était sorti sain et sauf.
Le 1er janvier 2009, 16 membres de la famille Rayan ont été tués dans
un raid aérien lancé à 14h40 sur la maison familiale située près de la
mosquée du camp de réfugiés de Jabalia. Onze des seize tués étaient des
enfants âgés entre 1 et 16 ans. Les autres victimes étaient leurs mères
et leur père Nizar Rayan, la seule personne ciblée par Israël.
Aujourd’hui, il n’y a plus que sa mère et son jeune frère de 22 ans.
- Photo : Reuters/Ammar Awad
Le 3 janvier 2009, 29 membres de la famille Samuni ont été tués par
des soldats israéliens dans la communauté de Zaituna. Pendant trois
générations, la famille Samuni a entretenu de bonnes relations avec les
colons israéliens et aucun membre de cette famille n’a été affilié à
quelconque groupe ou parti.
Ils ont été tués à bout portant dans leur maison et dans la cour de
la maison pendant qu’ils tentaient de fuir les tirs et d’évacuer les
blessés. Ils ont été obligés de se déshabiller et emmenés de force dans
des pièces et dans les cours où ils avaient été tués par balles. Tués
alors qu’ils étaient sortis des maisons en brandissant un drapeau blanc.
Les chars ont ensuite bombardé et mis le feu aux maisons pour ensevelir
et effacer les traces de leurs atrocités. Parmi les victimes, il y a
avait un bébé qui n’avait pas encore fêté sa première bougie, un autre
de deux ans, un enfant de 5 ans, deux autres de 6 ans, un de 9 ans, un
de 11 ans, deux de 13 ans, un de 14 ans et une personne âgée de 80 ans.
Ce livre devrait absolument ouvrir les yeux du peuple Américain et
Israélien. Le premier parce qu’il ne voit aucun inconvénient à ce que
les impôts qu’il paie soient directement destinés à aider Israël, et le
second parce qu’il est tenu dans l’ignorance alors que son armée commet
les plus abominables des crimes au nom de sa «
sécurité ».
Un peuple qui, paradoxalement, éprouve de la fierté et se vante d’être «
la seule démocratie au Moyen-Orient »
alors qu’il ignore ce que son armée entreprend. L’israélien a accepté
le fait que l’information soit classée secrète, que les débats dans les
médias soient interdits et que toute personne ne se montrant pas
enthousiaste à ce sujet soit appelée antisémite. En conséquent, les
israéliens démontrent des opinions axées sur le totalitarisme en
soutenant les crimes de guerre perpétrés par leur propre armée, la
punition collective des Palestiniens et approuvent les massacres des
enfants. Pour rappel, le massacre de 2008 a été approuvé par 94% des
citoyens non arabes d’Israël.
- Les survivants de la famille Samuni, derrière eux une affiche de leurs martyrs. Photo : Nadezhda Kevorkova
Selon la propagande israélienne, le nombre des victimes parmi les
enfants, les personnes âgées et les femmes a été inventé par les
Palestiniens, alors que les frappes menées par les Forces de Défense
Israéliennes étaient très précises et ne ciblaient que les terroristes.
Aujourd’hui, ce livre révèle les noms et les circonstances d’une campagne lancée par Israël qui s’est senti «
menacé »
par des enfants, des femmes et des personnes âgées appartenant à 89
familles Palestiniennes. Ibtisam Saymah avoue avoir commencé à
travailler sur son livre dès que la hache de guerre a été enterrée. La
démarche s’est avérée un réel défi pour son équipe.
«
Il était à la fois difficile et dangereux d’arriver jusqu’à la
frontière. Les soldats israéliens n’étaient pas très loin de nous. Ils
nous ont interceptés avec nos équipements (caméras et casques). Il faut
dire que l’armée israélienne n’avait pas épargné les journalistes
pendant cette guerre afin de leur interdire de transmettre la réalité au
monde extérieur. Hélas, il y avait beaucoup de martyrs dans les rangs
des journalistes. Pendant que nous filmions et interviewions les
familles, les avions de guerre israéliens planaient au-dessus de nos
têtes. Malgré cela, nous n’avions pas peur car après tout, nous ne
sommes pas plus importants et précieux que ceux tombés en martyr pour
cette terre, » a souligné Saymah.
La version Arabe du livre a été publiée en 2009, à l’occasion du
premier anniversaire des évènements tragiques. Au printemps 2010,
lorsque j’ai réussi à me frayer un chemin à l’intérieur d’une Bande de
Gaza sous blocus israélien, c’était le premier livre qui parlait de la
vie des Palestiniens. Les ruines et les ravages de la guerre
m’entouraient de partout et j’ai eu du mal à croire qu’on pouvait
réaliser un tel travail de fourmi en rassemblant tous les morceaux et
pièces qui constituent à la fin une des histoires les plus déchirantes.
J’ai donc eu la chance de rencontrer l’auteure, Dr Ibtisam Saymah, un
personnage atypique et hors du commun. Elle m’a présenté ce livre en
m’expliquant combien il était crucial de le traduire en Anglais car
c’est dans cette langue que le monde découvrira les secrets et les
vérités du massacre de 2008, du siège et des bombardements.
Pour être honnête, l’idée même m’avait parue peu probable. En effet,
comment peut-on traduire un livre dans un endroit qui manque des
approvisionnements de base comme l’eau, l’électricité et le carburant,
qui souffre de pénuries de médicaments, de nourriture et de manière
générale, de tous les produits de première nécessité.
En s’associant avec un photographe, un journaliste et un chauffeur de
taxi, l’équipe s’est mise en route à travers toutes les villes
dévastées de Gaza, défiant la menace constante des chasseurs et des
drones israéliens. Maison par maison, tente par tente, hôpital par
hôpital, ils firent le tour de la région déchirée par la guerre afin
prendre note de tout ce qui se raconte et mémoriser les récits dans un
film.
Si vous n’avez jamais été dans la Bande de Gaza, il serait difficile
pour vous de comprendre que ce que nous, journalistes, considérons chez
nous comme routinier est ici synonyme d’héroïsme.
Prenez n’importe quel truc de base, disons un bloc-notes. Fait de
papier gris épais, coupé et relié à la main, les blocs-notes à Gaza
ressemblent à un objet préservé du 19ème siècle. En effet, ils ont été
faits avec des produits passés en contrebande à travers les tunnels car
Israël les considère comme une menace pour sa sécurité. Le même principe
s’applique sur les piles, les appareils photo, les vidéos, les stylos,
l’essence, l’électricité et l’eau.
Saymah souligne : «
Gaza est de plus en plus invivable. Chaque
jour, nous nous attendons à une nouvelle guerre. Les avions de guerre
israéliens ciblent quotidiennement un immeuble ou un terrain vide ou
quelques personnes, surtout pendant la nuit. Ce sont les enfants qui en
souffrent le plus. Cette atmosphère effraie la population de Gaza qui,
désormais, doit se préparer pour le déclenchement imminent d’une
nouvelle guerre. »
Elle a ajouté que la population avait fini par adapter sa vie aux
exigences du blocus israélien, néanmoins, depuis que les autorités
égyptiennes ont décidé de fermer les tunnels qui avaient l’habitude de
fournir les médicaments et la nourriture à la Bande, le siège est devenu
plus rude et insupportable.
«
Actuellement, c’est tout le monde qui souffre à Gaza, les
personnes malades en particulier. Les gens souffrent davantage
lorsqu’ils se voient incapables de fournir la nourriture et les
médicaments pour leurs enfants. »
Ibtissam et son équipe ont fourni de grands efforts pour enregistrer
les noms de ceux qui ont souffert des bombardements. Ce n’est pas aussi
simple que cela puisse paraître car souvent, les femmes Musulmanes
gardent leur nom de jeune fille. Plusieurs d’entre elles se trouvaient
dans différents hôpitaux pour recevoir les soins. Certaines ont eu la
chance d’être transférées dans des hôpitaux étrangers, tandis que
d’autres ont choisi de se cacher chez des parents.
C’est au milieu des ruines et du blocus que l’équipe a passé
plusieurs mois pour analyser les données et entreprendre la constitution
d’un catalogue des martyrs de la nation.
Outre son travail sur le livre, Ibtissam est mariée et est mère de
sept enfants. Ses parents sont encore en vie. Cela semble incroyable
mais elle m’a montré leurs photos. Pendant qu’elle réalisait son travail
à la fois laborieux et fatigant, Ibtissam a découvert qu’elle avait le
cancer du larynx. Les médecins de Gaza étaient catégoriques : l’uranium
appauvri, le phosphore blanc et plusieurs autres armes israéliennes sont
les causes principales de cette abominable maladie, et de bien
d’autres.
Seulement voilà, Gaza ne dispose pas des équipements nécessaires pour
diagnostiquer et traiter ces maladies. Toutefois, Ibtissam a eu la
chance de voyager pour se faire soigner dans une clinique à l’étranger,
et revenir guérie. Ibtissam ne se séparait jamais de son laptop. Après
chaque séance de chimiothérapie, elle allumait son appareil pour
poursuivre son travail. Actuellement, elle est en phase de finalisation
de son second livre sur la guerre de novembre 2012. Parallèlement, elle
mène une étude sur ce que c’est d’être une femme Palestinienne, en
retraçant ses histoires depuis 1948.
* Nadezhda Kevorkova est une correspondante de
guerre. Elle a couvert les évènements du printemps Arabes, les conflits
militaires et religieux à travers le monde, et le mouvement
anti-mondialisation.