La demande du commandant en chef d’Israël ce mois-ci pour que tous les citoyens israéliens soient tenus d’accomplir le service national a attiré l’attention sur un groupe de soldats dont on parle rarement : ceux de la minorité palestinienne d’Israël.
Un petit nombre de citoyens palestiniens des communautés musulmanes et chrétiennes d’Israël a choisi de rejoindre l’armée.
Bien qu’aucunes statistiques ne soient disponibles, on estime à 3 000, sur les un million trois cent mille citoyens palestiniens d’Israël, ceux qui ont brisé le tabou le plus fort de leur société et font actuellement leur service, souvent dans des unités de combat, en première ligne du conflit avec leurs parents palestiniens des Territoires occupés.
Ces Palestiniens d’Israël - près du cinquième de la population d’Israël - sont les descendants des Palestiniens qui ont réussi à échapper à l’expulsion à la création de l’Etat juif en 1948. Contrairement aux Palestiniens des Territoires occupés, qui ne sont pas admissibles dans les forces armées, ils ont la citoyenneté israélienne.
En demandant un service national obligatoire, Gen Gabi Ashkenazi faisait observer que ces Israéliens qui refusaient de servir ne pouvaient pas prétendre à « l’égalité civique ».
Son propos faisait écho à ceux des politiciens qui appelèrent la minorité palestinienne d’Israël à faire la preuve de sa loyauté au lendemain de l’attaque de cet hiver contre Gaza, dans laquelle 1 400 Palestiniens ont été tués, la plupart des civils. Des centaines de citoyens palestiniens d’Israël ont été arrêtés pour avoir participé à des manifestations durant cette opération.
Le ministre de l’Education d’Israël, Gideon Saar, a annoncé cet été que les budgets des écoles seraient, à l’avenir, basés sur le nombre d’élèves qui seront enrôlés dans l’armée ou qui accepteront de suivre un programme civil alternatif au service national.
Bien que la plupart des citoyens palestiniens s’opposent à leurs droits subordonnés à l’accomplissement du service national, un petit groupe de Palestiniens semble être plus ouvert à cette idée.
S., qui a passé deux ans dans l’armée à patrouiller sur les frontières pour empêcher les « infiltrations » palestiniennes au début de la Seconde Intifada, a accepté de parler à The National à condition de rester dans l’anonymat.
Il pense qu’il est légitime pour l’Etat de lier les droits à la citoyenneté à l’accomplissement du service militaire : « Après tout, nous sommes citoyens de ce pays. C’est vrai, nous sommes aussi arabes, mais c’est notre Etat et il n’y a aucun moyen pour nous de l’éviter. »
Prié de dire s’il ressentait un conflit entre être Palestinien et servir l’armée israélienne, il répond : « Bien sûr, et c’est pour cette raison que je crois fortement qu’Israël doit rechercher la paix. »
Servir dans l’armée israélienne est considéré par beaucoup de Palestiniens comme une trahison
Les soldats comme S. se méfient beaucoup de parler ouvertement, comme l’a découvert Rhoda Kanaaneh, spécialiste du Moyen-Orient de l’université de New York, alors qu’elle se lançait dans la première étude sur ce groupe, il y a une dizaine d’années. Ses conclusions ont été publiées cette année dans son livre, Surrounded, [Entourés], publié par Stanford University Press.
Elle s’est entretenue avec 72 soldats et policiers palestiniens, ainsi que trois femmes, dont la confiance a été gagnée, petit à petit, par des intermédiaires, notamment des parents, d’anciens camarades de classe et des amis. Beaucoup d’autres cependant ont refusé de parler, et d’autres encore qui n’ont pas exigé l’anonymat mais ne faisaient souvent que répondre « oui ou non ».
Le Dr Kanaaneh, qui a grandi dans le village palestinien d’Arrabeh dans le nord d’Israël avant de partir pour les Etats-Unis, dit qu’aucun des soldats n’était prêt à aller jusqu’à raconter le détail de ce qu’ils avaient fait durant leur service. Elle soupçonne que cela reflète pour une large part un sentiment de honte, lié à leur rôle dans le renforcement de l’occupation.
Servir dans l’armée israélienne est considéré par beaucoup dans la minorité comme une trahison, étant donné qu’Israël est toujours engagé dans une guerre contre tout le peuple palestinien et contre les Etats arabes voisins.
S. n’a pas tardé à justifier son temps dans l’armée, en disant avoir fait le maximum pour y bien traiter les Palestiniens, partageant des bonbons et ses rations alimentaires avec les enfants de l’endroit.
Même si les soldats palestiniens sont exclus des unités de combat d’élite, ils exécutent traditionnellement certains des travaux les plus dangereux pour l’armée et ils sont affectés dans des endroits parmi les plus difficiles.
Les soldats bédouins, par exemple, habituellement recrutés comme éclaireurs, doivent localiser les mines et les pièges. L’an dernier, un Bédouin de 28 ans a sauté sur une bombe en bordure de route le long de la clôture grillagée autour de Gaza alors qu’il marchait en tête des soldats de la brigade Givati. Contrairement à ce qu’il se fait pour les soldats juifs tués au combat, sa famille n’a pas voulu que son nom soit publié.
Il est certain aussi que des soldats palestiniens ont fait partie des troupes engagées dans l’offensive terrestre à Gaza, bien qu’aucun ne soit prêt à le reconnaître publiquement.
La plupart des juifs israéliens, hors ceux qui se consacrent aux études religieuses, sont mobilisés - trois ans pour les hommes et deux ans pour les femmes - à la sortie de l’école. Les hommes continuent de faire un mois de service dans la réserve, chaque année, jusqu’à l’âge de 40 ans.
La décision d’exempter les citoyens palestiniens du service militaire a été prise à la création de l’Etat, dit le Dr Kanaaneh. Alors, comme aujourd’hui, les autorités se souciaient de ne pas armer sur une grande échelle une minorité palestinienne potentiellement hostile.
La seule exception touchait la petite communauté druze, aujourd’hui d’environ 100 000 personnes, dont les dirigeants avaient accepté dans les années 50 la conscription de leurs fils.
Néanmoins, un petit nombre de citoyens palestiniens des communautés musulmanes et chrétiennes du pays a choisi de rejoindre l’armée. Selon le Dr Kanaaneh, le nombre de 3 000 est sa meilleure estimation après moult tentatives infructueuses pour obtenir des chiffres précis de la part de l’armée.
Elle nous en donne une explication possible.
« Les statistiques sur les effectifs que j’aimerais vraiment avoir, c’est le rapport entre le nombre de tués en service et le nombre de soldats de chaque communauté. Par exemple, certains affirment que les Druzes ont un taux de victimes plus élevé que celui des soldats juifs parce qu’ils sont envoyés dans des opérations plus dangereuses. Si de tels chiffres étaient confirmés, ils seraient révélateurs et c’est sans doute pourquoi l’armée veut s’assurer qu’ils ne sont pas divulgués. »
« Les soldats de la minorité », comme les appelle l’Etat quand il se réfère à eux, ont été remarqués principalement durant la Seconde Intifada quand on a dit qu’ils avaient tué des Palestiniens ou des étrangers dans des circonstances douteuses.
Les cas les plus notoires sont Taysir Hayb, un soldat bédouin qui a tué le militant britannique Tom Hurndall à Gaza en 2003 ; et un officier subalterne druze, connu comme le capitaine R., qui fut jugé après que de jeunes soldats aient révélé qu’il avait tiré de nombreuses balles sur une fillette de 13 ans à Gaza en 2004.
Cela a encouragé à penser que les soldats palestiniens étaient des « brebis galeuses » dans l’armée. Le Dr Kanaaneh n’en est pas persuadée.
« Mon impression - qui est aussi celle des soldats palestiniens - est qu’ils ont été utilisés pour faire un exemple et pour montrer que les règles étaient renforcées. Dans d’autres cas où ce sont des soldats juifs qui étaient soupçonnés d’avoir usé de brutalité, des enquêtes ont eu lieu mais les choses se sont arrangées et ça n’a rien donné. »
Elle fait remarquer que le sergent Hayb, qui a eu une peine de prison de huit ans, était depuis les années 80 le premier soldat à être condamné à une peine de longue durée pour un meurtre lié à l’Intifada.
Il est fait peu d’efforts également, dit le Dr Kanaaneh, pour intégrer les soldats palestiniens. La ségrégation entre soldats palestiniens et soldats juifs d’Israël a été appliquée strictement jusque dans les années 70 et elle est toujours la norme. De plus, l’armée de l’air et les unités de combat d’élite continuent d’exclure les soldats palestiniens.
Selon le Dr Kanaaneh, le refus de permettre à un seul citoyen palestinien de devenir pilote dans l’armée de l’air illustre l’opinion constante de l’armée selon laquelle elle ne peut faire confiance à ces volontaires. « La crainte, » dit-elle, « c’est qu’un pilote ne prenne des décisions indépendantes et provoque pas mal de dégâts, contrairement à un soldat d’une unité de combat. »
Incorporer un petit nombre de soldats palestiniens dans l’armée est de bonnes relations publiques pour Israël, dit le Dr Kanaaneh, mais armer les plus jeunes hommes palestiniens ce n’est pas ce que veut Israël.
Des avantages réduits par une politique discriminatoire qui frappe tous les Palestiniens
De même, elle considère comme fallacieux les propos du général Ashkenazi, et d’autres similaires de Benjamin Netanyahu, Premier ministre, qui relient l’égalité civique au service national, impliquant généralement un travail bénévole dans les écoles et les institutions d’Etat.
« Le service national n’est pas aussi bien apprécié que le service militaire dans la société israélienne - il est considéré nettement comme un service de second ordre. Aussi, l’idée que l’accomplissement du service national vous mettra à égalité avec les citoyens juifs qui ont fait leur service militaire relève fondamentalement d’une logique erronée. »
Une proportion significative de soldats palestiniens, dit-elle, justifient leur décision de rejoindre l’armée en prétendant que c’est la meilleure façon à la fois de vaincre la discrimination institutionnelle à laquelle ils sont confrontés en tant que membres de la minorité palestinienne, et d’acquérir certaines des récompenses matérielles réservées aux soldats.
De nombreux droits et avantages en Israël dépendent du service militaire et par conséquent sont attribués principalement à la population juive, notamment une vaste gamme d’emplois, de droits à la terre contrôlée par l’Etat et d’avantages économiques tels que prêts à coût réduit, allocations gouvernementales et allègements fiscaux. L’éminent juriste israélien David Kretzmer, appelle cela une politique de « discrimination déguisée » contre la minorité palestinienne.
Certes, S., âgé de 29 ans, marié et père de deux enfants, dit que la principale raison pour laquelle il a rejoint l’armée est d’en tirer certains avantages, comme des allocations familiales plus fortes, une indemnité forfaitaire à sa libération de l’armée et, plus important, une parcelle de terrain à très bon prix sur laquelle construire une maison.
Dans les communautés palestiniennes, dont la plus grande partie de la terre a été confisquée par l’Etat et où les maisons neuves sont souvent classées illégales et exposées à la démolition, l’offre d’un terrain représente une forte incitation.
Le Dr Kanaaneh souligne que ces avantages financiers et la possibilité future d’une carrière dans un « métier de sécurité », tel que policier ou directeur de prison, sont attrayants pour des hommes jeunes qui souvent doivent se battre pour trouver du travail.
Mais, s’il existe des avantages que peuvent acquérir des soldats individuellement, le Dr Kanaaneh affirme qu’ils sont souvent réduits à néant par une politique discriminatoire plus large, telles que les démolitions de maisons, une politique qui frappe toute la minorité dans son ensemble et les communautés spécifiques tels que les Bédouins. Il existe plusieurs cas d’anciens soldats bédouins dont la maison a été détruite par l’Etat.
De même, indique le Dr Kanaaneh, il est évident, même pour le visiteur occasionnel de villages druzes en Israël, qu’ils souffrent de la même surpopulation et du manque d’infrastructure communs aux autres communautés palestiniennes, malgré la conscription chez les Druzes.
Même au niveau individuel, ajoute-t-elle, c’est un pari de penser que les liens formés durant le service armée vont aider par la suite à la carrière des soldats palestiniens et à leur fournir des opportunités après leur démobilisation.
A. indique qu’elle a entendu plusieurs soldats dire : « Une fois que vous ne portez plus l’uniforme, vous redevenez un sale Arabe ».
Le Dr Kanaaneh fait peu de cas aussi de l’avis selon lequel le service militaire permettrait aux soldats palestiniens d’intégrer totalement la société israélienne.
« Un nombre surprenant parmi ceux que j’ai interviewés a essayé de se comparer aux Américains musulmans ou aux Afro-Américains qui servent dans l’armée US. Ils disent que grâce au service militaire, ils peuvent compter devenir Israéliens, comme les autres Israéliens. »
Le Dr Kanaaneh assure que cette promesse d’intégration ne se réalise jamais. Dans son livre, elle arrive à une conclusion sévère : « En fin de compte, l’armée, comme toutes les autres institutions (israéliennes), est un outil pour que la majorité dominante préserve ses privilèges juifs. »
Jonathan Cook est écrivain et journaliste basé à Nazareth, Israël. Ses derniers livres sont : Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books).
Le site de Jonathan Cook : http://www.jkcook.net/
son courriel : jcook@thenational.ae
Il est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont été présentés le 4 mars 2009.
28 septembre 2009 - Dissident Voice - traduction : JPP