Par Abdel Sattar Kassem
L'auteur
est professeur de sciences politiques à l'Université An-Najah à
Naplouse, en Cisjordanie occupée. Cet article en anglais est une
traduction du texte arabe qui est paru sur
Al Jazeera le 28 Février 2014.
Depuis 1967, les Américains se sont lancés dans des milliers de rounds
de négociations dans le monde arabe et islamique, dans l'espoir de
trouver une solution au dossier palestinien, et ils ont échoué.
Récemment, le secrétaire d'Etat US John Kerry a repris les négociations
avec enthousiasme, s'acharnant à trouver un nouveau cadre qui serait
accepté à la fois par les Israéliens et par l'Autorité palestinienne.
Selon Kerry, ce nouveau cadre sera le nouvel horizon nécessaire pour
parvenir à un règlement final. Bien que Kerry n'ait pas réussi jusqu'à
maintenant, il semble qu'il ait surmonté plusieurs obstacles, ouvrant la
voie à un nouvel accord qui rassemble beaucoup des éléments d'Oslo.
L'histoire de l'Amérique au Moyen Orient
L'intervention américaine dans la question palestinienne a commencé à la
fin du 19ème siècle, lorsque l'ambassadeur américain à Constantinople a
fait pression sur des responsables de haut rang pour allouer des terres
agricoles aux juifs. L'arrogance américaine a continué avec le
président Harry Truman, qui a soutenu les Britanniques dans leur
judaïsation de la Palestine et encouragé des centaines de milliers de juifs du monde entier à émigrer en Palestine.
Dans un premier temps, la France a soutenu Israël après son établissement ; cependant, les Américains ont endossé ce rôle après la guerre en fournissant à Israël toute une série de soutiens économique, militaire et diplomatique, aux dépens des Palestiniens et des Arabes, bien entendu.
L'Amérique a favorisé l'Etat d'Israël en le sauvant des
mains arabes et en l'empêchant d'être confronté à une défaite militaire
sur le champ de bataille. Les Palestiniens n'ont tiré aucun bénéfice de
l'Amérique et la situation palestinienne a continué de se détériorer
avec chacune des interventions US.
Le temps passant, il est devenu évident que les Américains n'avaient pas
l'intention de porter un jugement correct sur la situation, ni de jouer
le rôle de médiateurs.
Les Américains sont les ennemis des Palestiniens, des Arabes et des musulmans, et ils ont un parti-pris radical en faveur d'Israël et de ses intérêts. En conséquence, la Palestine
n'a cessé de rétrécir au fil du temps et, avec la diminution des
terres, la possibilité de trouver une solution qui conviendrait à tous
les Palestiniens n'a cessé de faiblir.
L'administration américaine a bien fourni quelque aide financière à
l'Autorité palestinienne. Ces fonds ont été toutefois assortis d'un
certain nombre de conditions préalables et n'ont été donnés qu'après que
les Palestiniens aient fait encore plus de concessions. Jamais cette
aide n'a été donnée aux Palestiniens dans l'intention de leur permettre
de relever des défis.
La Palestine selon Kerry
La Palestine a été détachée du Levant suite à l'accord
Sykes-Picot de 1916. Elle a été plus tard reconnue en tant que mandat
par la ligue des Nations en 1922. Le Levant (la Grande Syrie) et ses
peuples ont été réduits à plusieurs mandats, laissant le peuple
palestinien seul face à son sort, loin des autres populations levantines
de Jordanie, du Liban et de Syrie moderne. C'est ainsi qu'on a donné
aux Palestiniens 44% du Mandat de Palestine (selon la
démarcation coloniale britannique), laissant aux juifs environ 53% de la
terre d'origine, bien qu'ils représentaient moins de 25% de la
population en 1947.
La Palestine fut ensuite réduite à moins de 23% de la
superficie d'origine après la guerre de 1948, qui a vu la défaite des
armées arabes. Les Nations Unies n'ont ni sourcillé ni levé le petit
doigt en défense de la Palestine, qui a perdu 1,5% de
son territoire après que le monarque jordanien a abandonné une partie du
Triangle israélien dans le cadre de l'accord d'armistice. Le territoire
palestinien a été encore réduit après qu'Israël a pris le contrôle d'une zone neutre entre la Palestine et la péninsule du Sinaï, expulsant sa population bédouine.
Les Palestiniens ont de leur plein gré fait le plus grand compromis de
tous pendant les Accords d'Oslo de 1993. Ils ont non seulement
activement réduit la superficie des terres de Palestine,
mais ils les ont aussi complètement confinées dans les territoires
occupées en 1967. Ils ont commencé à utiliser des termes tels que
Territoires palestiniens, ou Cisjordanie et Gaza pour se référer à la Palestine
des frontières de 1967 et ce faisant, ils ont de plein gré reconnu que
les Palestiniens n'occupaient plus certaines parties de leur pays.
Ce que Kerry demande maintenant aux Palestiniens est bien pire que
l'oppression. Il demande aux Palestiniens et aux Arabes de reconnaître
le caractère juif de l'Etat, c'est-à-dire de reconnaître que la Palestine est juive, ou du moins les parties qu'on appelle aujourd'hui Israël.
En acceptant les exigences de Kerry, les Palestiniens et les arabes
reconnaîtraient qu'il n'y a aucun monument islamique ou chrétien ni de
lieux saints en Israël, ce qui donnerait à Israël
l'occasion rêvée de démolir, sous couverture juridique internationale,
la mosquée Al-Aqsa, le Dôme du Rocher et l'Eglise de la Résurrection. En
outre, avec cette reconnaissance, Israël aurait les
coudées franches pour expulser les Palestiniens qui sont restés
inébranlables sur leur terre, dans les territoires occupés depuis 1948
et le droit au retour des réfugiés serait supprimé.
Kerry cherche à annexer la Vallée du Jourdain, qui, avec 2000 km², représente presque un tiers de la Cisjordanie
. Il travaille également à l'annexion d'environ 80% des terres sur
lesquelles sont implantés les blocs de colonies israéliennes, et il
cherche à le faire sous une couverture légale.
Avec ce nouveau cadre, Kerry usurpe non seulement les terres, mais il
viole également le droit du peuple palestinien à exister. Il ne lui
suffit pas de modifier l'identité politique de la terre en le
considérant comme juive, il cherche aussi à effacer l'identité
palestinienne en permettant que d'autres identités éliminent les droits,
l'authenticité, l'histoire et le nationalisme palestiniens.
L'objectif de Kerry est de faire ce que Israël, les pays occidentaux et les régimes arabes n'ont pas réussi à faire après l'établissement d'Israël.
Sécurité israélienne et palestinienne
Dans toutes ses interventions, l'Amérique a toujours donné la priorité à la sécurité d'
Israël sur toutes les autres questions, et elle a insisté pour que les pays arabes adhèrent aux exigences sécuritaires d'
Israël,
s'ils ne voulaient pas perdre l'aide américaine et provoquer la colère
des Etats-Unis. Nous avons donc vu des armées arabes défendre la
sécurité d'
Israël au lieu de garder les frontières de
leurs propres pays. Par exemple, l'armée jordanienne patrouille
activement la frontière orientale d'
Israël, en dépit du fait qu'ils ont été battus dans la guerre de 1967, ce qui les a obligés à abandonner la
Cisjordanie
au contrôle israélien. Quant à l'armée égyptienne, elle a accepté que
le Sinaï reste en dehors de la souveraineté égyptienne en se soumettant
aux exigences israéliennes, à savoir que l'Egypte n'ait aucune
implication militaire dans la péninsule. C'est ainsi que l'armée
égyptienne continue aujourd'hui de demander la permission à
Israël quand elle veut entrer dans le Sinaï à des fins militaires.
Dans toutes leurs discussions avec les Palestiniens, les Etats-Unis ont
cherché à les impliquer dans leurs menées de protection et de défense de
la sécurité israélienne, et les Palestiniens n'ont pas manqué de le
faire. Comme le président actuel de l'Autorité palestinienne l'a déclaré
récemment, les services de la sécurité palestinienne travaillent
actuellement à garantir la sécurité israélienne.
Qui est l'agresseur ? C'est
Israël. Les Etats-Unis sont
constamment restés à ses côtés, en lui offrant toutes sortes de
soutien. C'est le peuple palestinien qui a besoin d'être protégé contre
l'agression israélienne, et non l'inverse.
Malgré cela, personne ne parle au nom de la sécurité palestinienne, les
leaders palestiniens et arabes non plus. Il est aujourd'hui communément
accepté que la sécurité des Palestiniens n'existe pas, que seule la
défense de la sécurité israélienne peut la leur garantir, c'est-à-dire
après qu'ils aient abandonné tous leurs droits à
Israël, ce qui prouve que la sécurité n'est un privilège que pour ceux qui ont des droits.
En outre, le plan Kerry vise non seulement à assurer que l'Autorité
palestinienne poursuive ses fonctions de garant de la sécurité d'
Israël,
mais il vise aussi à contrôler la liberté d'expression, de mouvement et
de droit de réunion. Ce sera donc de la responsabilité de l'Autorité
palestinienne de poser des limites à la liberté d'expression et de
considérer ceux qui dénoncent
Israël comme des insurgés
qui doivent être poursuivis. Ces restrictions interdiront les sit-ins
et manifestations du vendredi contre le mur et les colonies, ainsi que
ceux organisés pour la libération des prisonniers palestiniens, ce qui
va de pair avec ce qui a été évoqué précédemment en termes d'élimination
des droits palestiniens et de poursuite de judaïsation de la terre.
Le droit au retour
Bien que les pays occidentaux parlent constamment de l'importance du
respect des droits fondamentaux de l'homme sous des régimes
autoritaires, aucun de ces pays ne reconnait le droit au retour des
Palestiniens. Ces pays défendent toujours le droit des réfugiés à
retourner dans leurs foyers, mais ils défendent rarement les droits des
réfugiés palestiniens. Peut-être pensent-ils que les Palestiniens ne
sont ni des réfugiés ni des humains.
Le droit au retour est avalisé par la Résolution 242 des Nations-Unies,
une résolution adoptée par le Conseil de Sécurité, sans faire référence à
qui sont les réfugiés. A l'époque,
Israël a interprété cette résolution comme applicable aux juifs arabes qui ont choisi d'émigrer en
Israël
depuis leurs foyers dans des pays arabes. Cette interprétation est une
nouvelle fois ressortie pendant les négociations de Kerry et
Israël a exigé que les juifs arabes qui ont émigré en
Israël
soient indemnisés pour avoir quitté leurs domiciles, ou que les
Palestiniens soient transférés pour occuper les zones que les juifs ont
quitté comme une juste forme de réparation.
Kerry ne demande pas un droit mutuel au retour en suggérant que les
juifs arabes repartent dans leurs pays d'origine et cèdent leurs biens
aux rapatriés palestiniens. Pourquoi ne propose-t-il pas une solution
dans laquelle un droit au retour est échangé contre un droit au retour,
au lieu d'une compensation en échange d'une compensation ?
Il semble que Kerry ne veuille pas seulement filtrer la cause
palestinienne, mais qu'il veuille aussi effacer complètement le peuple
palestinien. Il est possible que les Américains soient familiers avec la
célèbre citation arabe, "Celui qui perd son droit le cherche." (1)
La stabilité israélienne n'existera pas en ignorant totalement les
Palestiniens et en les éparpilllant aux quatre coins du globe,
confirmant ainsi qu'
Israël est un Etat juif.
Où sont les Palestiniens et les Arabes ?
Les Américains ne cherchent pas une solution au problème
israélo-palestinien ; ils cherchent à résoudre une question de terre et à
effacer un peuple. Le plus gros problème est qu'il ne semble pas
exister un seul Arabe ou un seul Palestinien qui soit prêt à dire non à
Kerry et à remettre les choses dans une perspective juste. Personne n'a
pris la responsabilité d'informer la population de ce que sont
réellement les idées de Kerry. Ainsi, les Palestiniens et les Arabes
laissent les gens dans l'ignorance, ce qui ouvre la voie à un contrôle
des médias par Israël et l'Amérique, et à une diffusion des informations qu'ils veulent.
Nous n'avons toujours pas vu ou entendu un seul négociateur palestinien
exiger le droit au retour ou défendre la sécurité des Palestiniens. Tout
ce que nous avons entendu ou vu jusqu'à présent, ce sont des
déclarations obscures, qui manquent d'informations valables, faites aux
médias. Il est tout-à-fait évident que les dirigeants palestiniens et
les régimes arabes sont complices des exigences américaines et que le
comportement politique ne changera pas. Les parties arabes continueront
de faire davantage de concessions et le peuple palestinien continuera de
payer le prix.
La seule solution, c'est que le peuple palestinien commence à se
défendre. La direction palestinienne a franchi de nombreuses lignes
rouges et tabous. Malheureusement, il ne suffit plus pour les
Palestiniens de rester patients après avoir subi tant d'épreuves. La
seule solution pour eux est maintenant de fourbir leurs armes s'ils
veulent que leurs droits soient respectés.
(1)
ما ضاع حق وراءه مطالب
Citation imputée soit au Prophète, soit à Ali Ibn Abi Taleb, son neveu (personnage à l'origine du chiisme) (NA)
Traduction : MR pour ISM