"Nous n’avons pas
besoin de continuer à nous abaisser sur la voie de négociations racistes
qui nous discréditent. Nous sommes un peuple originaire de ce pays et
qui mérite de vivre dans son pays natal, dans la plénitude de ses droits
humains", écrit Susan ABULHAWA, palestinienne, auteur des "Matins de
Jénine", dans un article où elle appelle à l’unité et à la mobilisation
populaire.
RETOUR AUX FONDAMENTAUX EN PALESTINE - Le temps de l’unité, des synergies et de la mobilisation est venu.
Par Susan Abulhawa
"Les
gens me demandent souvent laquelle des deux propositions je soutiens,
celle à un état ou celle à deux états. Il semble que, dans l’esprit des
gens, ce soient les deux uniques propositions. Nous gaspillons une
énergie et un temps précieux à débattre des mérites de l’une par rapport
à l’autre. Que vaut-il mieux ? demandons-nous : la solution à deux
états – manifestement fondée sur les frontières de 1967 ; ou bien la
solution à un état – qui inclurait probablement l’ensemble de la
Palestine pour tous ses habitants.
Le problème fondamental avec l’une et l’autre de ces solutions est
qu’elles se concentrent sur la construction politique du fait étatique.
Et je pense que c’est une approche erronée.
Si nous creusons la question de ce que nous voulons véritablement, ce
que nous voulons tous, et ce sur quoi nous pouvons tous nous accorder :
c’est de vivre dignement dans notre propre patrie, avec l’intégralité
des droits civiques et humains accordés à tous sans considération de
leur religion.
Je sais bien que ceci ressemble fort à la proposition d’un seul état,
mais s’en différencie en ce qu’il s’agit simplement d’un appel aux
droits fondamentaux. Ce n’est pas un appel pour une construction
politique particulière parce que, franchement, ce à quoi ressemble la
construction politique n’a pas d’importance dès lors que tous nos droits
humains fondamentaux sont respectés, lesquels incluent notre droit
naturel à retourner vivre dans notre propre patrie.
Ceci, à mon avis, est ce vers quoi nous devrions œuvrer. Revendiquer
nos droits naturels en tant qu’êtres humains et en tant que peuple
autochtone est ce qui nous unit tous. Que l’on nous accorde nos droits
humains constitue notre héritage légitime. C’est la destinée légitime
des êtres humains, de ne pas être assujettis, expulsés ou opprimés.
L’appel de la société civile palestinienne, qui a son origine dans les
Territoires Occupés, est le meilleur cadre de départ. En tout état de
cause, nous avons grand besoin d’un consensus pour une revendication
unifiée et intransigeante, axée sur l’objectif de la dignité humaine. Ce
qui peut constituer le cadre de référence de toutes les actions que
nous entreprenons.
Je dirais donc : ne pensez pas en termes de construction politique,
mais en termes de droits humains. En termes de dignité humaine et de
valeur humaine, non mesurées par la religion. Voilà un but qui nous
unira et qui confortera nos efforts collectifs qui convergent dans le
même mouvement pour la liberté.
Les échecs passés de la résistance palestinienne, et pourquoi il est temps d’abandonner les négociations.
Pour l’essentiel, la résistance palestinienne a pu se développer sur
deux fronts principaux et le plus souvent exclusifs l’un de l’autre.
1.La
résistance armée. Bien que nous ayons le droit de résister à
l’occupation étrangère par tous les moyens possibles, y compris la
résistance armée, je pense que ce n’est pas pour nous une stratégie
efficace. D’abord parce que des pierres, des cocktails molotov et même
des fusées artisanales n’ont aucune chance face à des blindés, des
avions de guerre et aux machines de mort les plus sophistiquées que
connaisse l’humanité. Ce n’est tout simplement pas une arène où nous
puissions gagner aucun terrain, du fait de notre faiblesse en ce
domaine. Nous sommes dépourvus de tout l’équipement militaire requis
pour changer cet état de fait. Plus crucial encore, au bout du compte
la résistance armée érode l’unique pouvoir le plus important que nous
ayons. Comme je l’ai déjà mentionné, c’est la supériorité morale de la
cause de la justice et des droits humains opposée à leur cause, qui est
celle de la volonté de puissance et du désir d’une société
ethno-religieusement pure.
2.L’autre
voie principale sur laquelle nous a amenés la direction palestinienne a
été celle des négociations. Ceci aussi est et a toujours été une
approche radicalement défectueuse et moralement malsaine, parce qu’elle
implique un présupposé qui nous discrédite gravement : que nos droits
fondamentaux en tant qu’êtres humains, nos droits en tant que peuple
autochtone de la Terre Sainte et notre liberté sont des objets
négociables, comme si nos droits, garantis par tous les principes du
droit international, et notre liberté, n’étaient que des arguments de
négociation à échanger contre de l’eau propre ou du pain. Et pourtant,
l’Autorité Palestinienne a persisté dans ce que chacun d’entre nous
perçoit comme une honte. Le processus de paix n’a jamais été conçu pour
aboutir à une dignité d’existence pour les Palestiniens. Il n’a jamais
été envisagé pour aboutir à un état palestinien viable. Le discours de
Netanyahou l’a clairement signifié. Les agissements d’Israël durant les
vingt dernières années l’ont clairement signifié.
Pour quelle autre raison Israël continuerait-il, quotidiennement, à
exproprier les Palestiniens et à transférer leurs terres à l’usage
exclusif de Juifs, invités de toutes les parties du monde à venir
accaparer ce qui ne leur appartient pas ? Pour quelle autre raison
Israël poursuivrait-il imperturbablement sa politique de destructions
de maisons ? Le processus de paix a toujours été une ruse pour donner à
Israël davantage de temps pour s’emparer de plus, et encore plus, et
encore plus, et finalement pour nous rayer de la carte. Il vous suffit
de regarder comment la carte a changé à travers le temps pour constater
la vérité de cette affirmation.
La carte actuelle en est la preuve. Comment ceci pourrait-il ne pas
être évident pour l’Autorité Palestinienne ? En fait, même quand il a
présenté la demande de reconnaissance d’un Etat, Mahmoud Abbas a fait
cette déclaration ahurissante, qu’il n’y avait pas d’alternative aux
négociations. Il a, en réalité, grand tort. Il n’existe dans l’histoire
aucun exemple où l’on a attendu d’un peuple occupé et opprimé qu’il
négocie avec ses oppresseurs pour sa liberté et ses droits humains
fondamentaux.
Lorsque Nelson Mandela était en prison et que le changement a
commencé à se répandre en Afrique du Sud, certains de ses camarades ont
été libérés. A Nelson Mandela aussi, on a proposé un arrangement en
contrepartie de sa liberté. Mandela a refusé l’offre et, dans sa lettre
désormais célèbre, il a expliqué que « Seuls des hommes libres peuvent
négocier ». A la fin des années 80, il était le seul de ses compagnons
encore incarcéré. Son insistance inflexible sur la mise en œuvre de
l’ensemble des droits humains et des libertés dans l’égalité entre noirs
et blancs a été pour nous tous une inspiration et a finalement trouvé
son point d’orgue en mettant l’apartheid à genoux.
De même, Rosa Parks n’a pas négocié avec le conducteur blanc ni avec
les passagers blancs pour, dans ce bus, prendre sa place légitime parmi
le reste de l’humanité. Elle a tenu bon, de toutes ses forces. Son
insistance à être reconnue comme pleinement humaine, pleinement dotée de
valeur, a inspiré le mouvement des Droits Civiques.
Martin Luther King et Malcolm X ne sont pas entrés en négociations
pour supplier le gouvernement de laisser les noirs faire usage de
quelques distributeurs d’eau additionnels, ou bien pour être autorisés à
acheter une maison dans quelques quartiers blancs.
Et pourtant telle est précisément l’indignité que nous acceptons de
subir en nous engageant dans ces négociations. En continuant à négocier
pour des droits fondamentaux, nous acceptons les prémisses selon
lesquelles nous ne pouvons pas avoir la pleine valeur d’êtres humains
sans qu’Israël dise qu’il en est ainsi.
Notre temps est venu. Avec le Printemps arabe, avec les campagnes
BDS, ISM, Free Gaza, la Flytilla, et avec la solidarité internationale
qui augmente massivement, notre temps est venu.
Notre temps est venu de déclarer que seul un peuple libre peut
négocier. Notre temps est venu de prendre place sur le bus et de refuser
de céder notre place à quiconque. Notre temps est venu de boycotter.
De désinvestir. De donner fièrement la main à tout homme disposé à se
mettre de notre côté, peu importe qu’ il soit juif, chrétien, musulman,
homo ou hétéro, noir ou blanc ou de toute couleur intermédiaire. Et de
nous rappeler la solidarité qui nous a été témoignée, comme l’a dit un
jour notre cher Edward Saïd.
Si nous continuons sur la voie de la résistance non-violente, où nous
nous sommes engagés dans les Territoires Occupés et à travers le monde,
et avec la solidarité en tous lieux de ceux qui sont épris de justice,
je crois de tout mon être que nous finirons par être en position de dire
aux Israéliens, en termes résolus et avec une vigueur qu’ils seront
contraints à écouter, que nous leur souhaitons la bienvenue en tant que
voisins, non comme nos maîtres.
Vous pouvez penser que ce jour-là est chimérique. Vous pourriez dire
cela parce que vous avez été conditionnés à voir notre faiblesse. A voir
comment nous sommes écrasés par une puissance de feu supérieure.
Combien nous avons été dominés. Ou encore combien nous avons peu de
poids dans les antichambres du pouvoir, en comparaison de l’immense
influence qu’Israël exerce sur les pays les plus puissants. Mais se
concentrer sur ces faits occulte le pouvoir que nous détenons en
réalité.
J’ai lu récemment un article de quelqu’un que j’admire beaucoup et
dont les propos me plaisent souvent ; mais l’article en question était
l’un de ceux avec lesquels je suis en désaccord, parce qu’il renforce ce
sentiment d’impuissance, qui est tout à fait nocif. L’article avait été
écrit tandis que tout le monde faisait des spéculations sur le fait que
l’Autorité Palestinienne irait ou non au bout de sa demande à l’ONU, et
son hypothèse de départ était que, dans tous les cas de figure, Israël
serait gagnant, qu’Abbas persévère ou non.
Non seulement je suis en désaccord avec ces prémisses, mais je pense
que cette sorte de perspectives défaitistes nous porte réellement tort.
Certes, je sais bien qu’Israël a le pouvoir de faire sauter n’importe
quel président des Etats-Unis quand ils lui enjoignent de sauter ; mais
je ne pense pas que, en ce moment même, Israël se perçoive beaucoup
comme gagnant.
Quelle humeur triomphale supposez-vous à Israël alors que le monde lui
tourne le dos ? Les citoyens du monde le voient comme l’état
d’apartheid qu’il est en effet, et son isolement croissant ne leur
apparaît sûrement pas comme très triomphal. Et il est certain qu’il ne
semble pas triomphal à Israël de perdre pour l’essentiel, dans
l’intervalle d’un an, ses deux principaux alliés dans la région,
l’Egypte et la Turquie.
Qui plus est, en nous supposant impuissants, nous avons permis à
chaque Israélien de penser qu’il peut nous dicter notre destinée. Prenez
simplement l’exemple de Benny Morris, qui voilà quelques semaines a
déclaré sur Cross Talk , je cite : « Je souhaite que les Palestiniens
retournent à la table des négociations, à laquelle ils ont été invités
de façon réitérée, et qu’ils le fassent sérieusement, de bonne foi, et
qu’ils négocient de bonne foi. S’ils ne le veulent pas, les Palestiniens
vont continuer à souffrir ». Traduction : « Faites ce que veut Israël,
ou bien vous continuerez à être bombardés, tués, dépossédés, opprimés,
et systématiquement spoliés ». En fait, c’est ce qui se passe même quand
nous négocions comme le veut Israël ; mais ce qui est significatif est
que vous pouvez, dans cette déclaration, prendre la mesure du niveau
d’arrogance répandue dans la société israélienne.
Nous sommes puissants et l’Histoire est de notre côté.
Même s’il est vrai que nous n’avons pas les capacités militaires et
que nous sommes fort loin de l’influence qu’exerce Israël sur les élites
gouvernantes des grandes nations, nous ne sommes pas dans
l’impuissance.
En fait, à l’échelle internationale, nous sommes sans égal dans notre
pouvoir au niveau de la base. Notre lutte pour la liberté est la plus
ancienne et la mieux connue à travers le monde. Tirer parti de cet
avantage est le chemin que nous devons continuer à suivre. Plaider notre
cause non devant l’ONU, ou le Département d’Etat des USA, ou le Royaume
Uni, ou la France, mais devant les populations du monde, c’est vers
quoi notre énergie doit se concentrer.
Vers les universités qui ont souscrit au boycott académique ;
Vers les consommateurs qui ne veulent plus acheter de produits entachés de sang.
Vers les églises, les synagogues et les autres institutions religieuses
qui comprennent l’impiété du nettoyage ethnique et qui s’assurent que
leurs dons ne profitent pas aux crimes de guerre israéliens.
Vers les municipalités et les syndicats qui désinvestissent d’Israël
leurs fonds, pour affirmer leur croyance dans la dignité humaine sans
considération de religion.
Vers les artistes, musiciens, écrivains, réalisateurs de films qui ne
veulent pas que leurs noms soient associé à l’apartheid israélien.
A nos camarades américains, qui refusent que leurs impôts soient
dévolus au soutien exclusif de programme sociaux ethno-religieux, alors
que nos écoles locales sont au bord de la faillite et que le chômage
s’approche du seuil des 10%.
Sur ce chemin-là, nous ne pouvons être perdants. Vous n’avez pas à me
croire sur parole. L’Histoire regorge d’exemples qui confirment mes
dires. Nous n’avons pas besoin de réinventer la roue.
Et nous n’avons pas besoin de continuer à nous abaisser sur la voie
de négociations racistes qui nous discréditent. Nous sommes un peuple
originaire de ce pays et qui mérite de vivre dans son pays natal, dans
la plénitude de ses droits humains. C’est aussi simple que cela. Quant à
la nouvelle petite phrase émise par Israël (et rabâchée par
l’administration Obama, le Congrès et la quasi-totalité des principaux
commentateurs dans les médias) : « Il n’y a pas de raccourci vers la
paix », je voudrais y opposer ces vérités : « La liberté palestinienne
n’est pas négociable », et « Les droits de l’homme ne sont pas
négociables ».
Notre message aura une résonance – non pas, peut-être, parmi les
élites dirigeantes, mais certainement dans la société civile et parmi
les gens ordinaires qui adhérent aux principes de justice et d’équité.
Parce que nos revendications s’imposent avec évidence comme des vérités
que nous devons suivre sans nous en excuser, sans négociations, sans
compromission et sans peur.
Voilà de quelle manière, avant nous, tout mouvement de libération a
atteint ses objectifs, et comment nous atteindrons les nôtres. C’est
CELA – et non pas des négociations – qui représente notre voie la plus
efficace pour avancer."
*Susan Abdulhawa est l’auteur de Mornings in Jenine (Matins à
Jénine) et fondatrice de Playgrounds for Palestine (Aires de jeux pour
la Palestine). Elle a publié le présent article, dont nous avons
traduit un extrait, dans PalestineChronicle.com
(
Traduit de l’anglais par Anne-Marie Perrin pour CAPJPO-EuroPalestine)
CAPJPO-EuroPalestine
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