Cisjordanie - 21 novembre 2011
Par Sophie
Ceci n’est pas, à proprement parler, un compte-rendu de mission mais
une narration des choses vues, d’évènements vécus pendant quinze jours,
et des sentiments, émotions, angoisses, qu’ils ont suscités en moi.
Je n’étais jamais allée en Palestine. Je souhaitais depuis longtemps
aller sur place et je me suis décidée en répondant à l’appel de l’UAWC
(Union of Agricultural Work Committees) pour participer à la cueillette
des olives, pendant laquelle la présence d’internationaux est censée
modérer les attaques des colons israéliens contre les paysans
palestiniens.
Que dire ? Que raconter ? Je n’ai pas vécu de moments
très violents, tendus et je ne nous ai pas sentis, - l’ensemble des
participants et moi -, réellement en danger. Je dirai avoir vécu la
« chronique ordinaire de la vie en Palestine sous
occupation israélienne », et sans encore en connaitre tous ses aspects
dans les détails : entraves à la liberté de circuler, papiers d’identité
différents selon les catégories de population, autorisations multiples à
demander aux autorités israéliennes, qui sont accordées ou pas, selon
« l’air du moment » ou l’humeur du préposé.
J’ai commencé mon séjour à Al Quods (Jérusalem), dans
la vieille ville. Un premier choc ! Des soldats israéliens à de nombreux
carrefours, jeunes, souvent débonnaires, mais bien là, mitraillettes au
poing (photo ci-dessus). Des caméras de vidéosurveillance, beaucoup de
drapeaux israéliens et de soldats(tes), notamment près de Bab el
Maghariba, la porte d’entrée des non-musulmans pour accéder à
Haram-ash-Shariff, le Mont du Temple. Contrôle israélien à l’entrée.
Cette porte est proche du Mur des Lamentations. Voir ces deux lieux
sacrés, l’un pour les Musulmans, l’autre pour les Juifs, au-dessus
desquels flottaient tant de drapeaux israéliens et « gardés » par tant
de soldats en armes a provoqué, en moi, un sentiment diffus d’angoisse.
Arrivée pendant la fête juive de Soukkot (Fête des Tabernacles), j’ai vu
pendant ces jours des foules de Juifs, souvent coiffés de chapeaux
ronds ou de toques, avec papillotes, vêtus, hommes et femmes, de noir
et blanc uniquement, traverser tout Jérusalem à pied,
par familles entières, groupes compacts, pour se rendre au Mur des
Lamentations. Ce faisant, ils traversaient les souks arabes en
« traçant » droit devant eux, sans regarder ni à droite ni à gauche. La
population locale n’existait pas ! Impressionnant et dramatique.
Visite au Centre Culturel Français Chateaubriand. Plaisir de converser
avec le personnel ; des Palestiniens parlant français, qui m’expliquent
le fonctionnement du Centre.
Visite du Mont des Oliviers avec Diane, une américaine de l’Oregon,
pasteur. Nous découvrons au fil du jour que nous sommes là pour la même
raison, participer à la cueillette des Olives. Le Mont des Oliviers ?
Oui, beaucoup de beaux monuments à voir (églises de tous cultes,
mosquées, le jardin de Gethsémani avec ses oliviers bimillénaires…).
Mais le cœur à faire du tourisme n’y est pas.
Ce sera tout pour la visite de Jérusalem ; manque de temps et surtout aucune envie de connaitre le Jérusalem Ouest. Ce premier contact est suffisamment édifiant et douloureux.
Puis séjour près d’Al Khalil (Hébron) pour la cueillette des olives, où je me suis retrouvée avec d’autres français, membres de l’AFPS.
Déroulement du séjour : Les journées se passaient entre
cueillette quelques heures chez un paysan et sa famille, ou bien
participation à l’inauguration,- en présence d’officiels, de l’armée, la
police, les pompiers, les enfants des écoles-, de la saison de
cueillette des olives (Bethléem et Sufir)
Ou bien, participation à une manifestation contre la construction du Mur
(Al Masara). L’après-midi était consacrée soit à des réunions soit à la
visite de villes voisines, Bethléem ou Al Khalil, ou de fabriques. Le
soir, discussion avec notre hôte qui parlait français et n’a pas ménagé
sa peine pour nous informer sur la vie au quotidien des Palestiniens.
Quel abime entre notre vie de français vivant dans un pays en paix
depuis longtemps, en démocratie encore malgré tout, et la vie des
palestiniens sous occupation israélienne !
Première cueillette dans un champ surplombé par une
colonie récente : quelques mobilhome, quelques maisons en dur. Très peu
d’olives sur les arbres. Manifestement les colons étaient passés avant
nous. Présence de deux puis trois soldats israéliens nous surveillant.
Un olivier, plus proche de la colonie, était encore couvert d’olives.
Nous commençons la cueillette, ragaillardis. Arrivée d’un colon qui
agresse verbalement le paysan : « Pourquoi tu as amené ici des antisémites français… ».
A un moment le colon, furieux, renverse, d’un coup de pied, deux seaux
d’olives dans les broussailles. Nous ramassons imperturbablement les
olives, pendant que colon et paysan s’invectivent. La consigne nous est
alors donnée de partir vite, les colons ou l’armée ayant appelé la
police, qui, elle, a le droit de reconduire « les indésirables »
directement à la frontière.
Les jours de cueillette suivants se sont passés sans
confrontation, mais toujours avec cette présence de colonies installées
sur les hauteurs. Un jour, nous avions sur l’autre versant de colline,
face à nous, un colon, seul, débitant des troncs de pins à la
tronçonneuse, sur un terrain calciné. Les colons avaient mis le feu à
des terrains, puis les avaient replantés en jeunes oliviers. A qui
appartenaient ces terrains ?
Un autre jour, nous n’avons pu faire la cueillette. Il fallait demander
l’autorisation aux autorités israéliennes qui, apprenant qu’il y aurait
des Français, ont refusé l’autorisation.
A chaque cueillette, nous étions remerciés par la famille paysanne soit
par un thé au thym ou autre plante aromatique, soit même par des repas
délicieux. Quel contraste avec la vue de soldats en armes et des
drapeaux de l’occupant !
Réunion de la Coopérative : Le but de cette réunion
était de faire le point sur l’avancement du projet de création d’une
usine de fabrication de jus de raisin, à Hal Hul. Ce projet se fait en
partenariat entre l’AFPS de Bretagne et la Coopérative Sanabel. Le
terrain est acheté. L’AFPS mettra en place un système de participation
financière de ce projet. Plusieurs échantillons du produit sont
présentés.
Retour dans la région d’Al Khalil de prisonniers sortis de prison en échange de la libération du soldat Gilad Shalit.
Nous étions un groupe de français visitant la fabrique de verre soufflé
et de céramiques de Hal Hul. Klaxons de voitures, clameurs, mots
d’ordre, slogans… Un cortège d’hommes, femmes, enfants, drapeaux verts
agités, et des hommes portés en triomphe sur des épaules. Ce sont
quelques-uns des prisonniers libérés de la région. Le défilé dure bien
une heure, puis arrivent les voitures militaires israéliennes, les
soldats qui s’efforcent de disperser la foule et de dévier la
circulation automobile.
Visite de Bethléem : Joie et impression de liberté de
voir, enfin, des drapeaux palestiniens sur les bâtiments publics, en
ville, et non plus les drapeaux israéliens. Mais personnellement, je
n’ai pas beaucoup aimé cette ville. Trop de touristes. Par manque de
temps nous n’avons pu voir le Mur et ses graffitis, ni les camps de
Dheisheh et Aida. Et, de retour en France je découvre que la Compagnie
Al Rowwad est installée dans le camp de Aida. A voir, lors d’un prochain
séjour.
Visite d’Al Khalil (Hébron) : Que dire de cette ville
qui a la particularité d’abriter, outre la colonie voisine de Kiryat
Arba, des colons au sein de la ville elle-même, colons protégés par un
fort contingent de militaires. Que ce serait une belle ville sous
d’autres latitudes. Ici, nous avons un souk avec environ un quart des
magasins ouverts ; des grillages au-dessus des ruelles du souk, souillés
par les ordures jetées par les colons habitant les étages supérieurs :
ordures, parpaings, pierres…. (photos 12, 13)
Que l’entrée et la sortie de la vieille ville se fait par des portillons
filtrant les passages. Dispositif complété par un poste militaire avec
soldats israéliens en armes. Soldats également stationnés sur les toits
et au coin des rues. Et l’on m’a raconté que, pour obliger les Arabes à
partir du souk, les colons renversaient les étals, saccageaient les
boutiques et même faisaient leurs besoins dans les échoppes. Et puis, la
tragédie de la mosquée d’Ibrahim divisée en une section juive et une
section musulmane. En février 1994, pendant la fête juive de Pourim qui
coïncidait avec le mois du Ramadan, un colon juif originaire de
Brooklyn, le Dr Baruch Goldstein, tira sur des musulmans en prière,
tuant 29 hommes et garçons et blessant 200 personnes. De plus… Quelle
barbarie… un mémorial est érigé en hommage à cet homme !
Manifestation contre le projet de construction du Mur à Al Masara :
Chaque vendredi, le Comité de villages organise une manifestation contre
le projet. Nous y allons. Beaucoup d’internationaux français, italiens,
américains, pacifistes israéliens et d’habitants des villages
accompagnés des responsables du Comité.
Nous avançons vers le lieu de construction prévu, accompagnés par un
orchestre de percussions jouées par des internationaux. A un point du
parcours, arrivé de véhicules militaires israéliens et d’une quinzaine
de soldats armés de mitraillettes, matraques, casques et gilets
pare-balles, comme d’habitude. Ils forment un cordon nous barrant le
passage. Corps à corps entre la première ligne de manifestants et les
soldats.
Les soldats s’en prennent plus violemment à deux Palestiniens, responsables de l’organisation.
On me dira plus tard que la tactique des soldats est de provoquer les
responsables palestiniens pour les arrêter. Bousculades, avancées,
reculs se succèdent. On s’installe pour un sit-in, le calme revient un
peu. Merveilleux italiens, toujours créatifs et inventifs ! Ils (ou
plutôt « elles ») arrivent
avec une grande marmite de pâtes en sauce, assiettes en plastiques,
couverts, eau… Le dessert, un clafoutis, est apporté par les
Françaises…. Un vrai festin. A un moment, des Italiennes vont en
proposer aux soldats. Quelques paroles... quelques sourires… mais les
soldats restent sur leur réserve.
Je regarde un grand soldat israélien noir. Le regard fixé sur la ligne
d’horizon lointain, il ne peut s’empêcher de sourire et on le sent prêt à
éclater de rire. Les soldats nous photographient pour leur service de
renseignements, nous les photographions pour garder un souvenir de ce
jour banal en terre de Palestine.
Des jeunes gens qui font leur service militaire (3 ans pour les garçons,
2 ans pour les filles). Que pensent-ils ? Veulent-ils vivre ainsi, dans
un pays sur-militarisé, toute leur vie, celle de leurs enfants, de
leurs petits-enfants… ?
Discours des responsables du Comité de villages, d’un pacifiste
israélien et, peu à peu la manifestation se disperse. Elle est suivie
par une réunion générale dans la salle du Comité de village, mais mon
anglais est trop faible pour comprendre et je sors… pour photographier
les plantes épineuses qui poussent sur le terre-plein… la merveilleuse
nature… moment de bonheur.
Dans l’avion du retour (Compagnie El Al) je me referme sur moi-même pour
éviter tout contact, toute conversation avec mes voisins. Une angoisse
diffuse me serre le cœur. Pour l’instant, je ne peux que dire : Allez
sur place, allez voir ce qu’est la vie des Palestiniens sous occupation
israélienne, allez voir comment Israël s’approprie
chaque jour davantage de terre palestinienne. Rappeler aussi aux
Occidentaux, dont je suis, que nous avons une grande responsabilité dans
cette injustice historique faite aux Palestiniens. Tout d’abord en
1948, pour avoir favorisé la création de l’Etat d’Israël
puis, à mon avis, pendant la seconde guerre mondiale avec l’Holocauste,
crime contre l’Humanité sans contestation possible, mais dont
l’instrumentalisation freine, affaiblit, tétanise le mouvement de
solidarité qui devrait entourer plus amplement le peuple palestinien.
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