Militants de l’Université de York (Canada) ont été censurés pour avoir usé d’un mégaphone lors d’une manifestation - Photo : Flickr/Thien V
Les attaques, et les formes de sanctions similaires inquiétantes,
semblent entrer dans un effort commun du gouvernement israélien et du
lobby pro-Israël afin de mettre sur liste noire tous les groupes
d’étudiants qui remettent en cause la version officielle israélienne.
Northeaster a interdit le SJP après la publication par le groupe, sur
les copies du campus, d’avis d’expulsion qui sont méthodiquement remis
aux maisons palestiniennes destinées à être démolies par les Israéliens.
L’avis de suspension de l’université indique que si le SJP dépose un
recours pour sa réintégration pour l’an prochain, « aucun membre actuel
du bureau exécutif d’Étudiants pour la Justice en Palestine ne pourra
siéger au conseil d’administration d’ouverture de la nouvelle
organisation » et que les représentants de l’organisation devront suivre
des « formations » autorisées par l’université.
En 2011, en Californie, dix étudiants qui avaient, à l’université
d’Irvine, perturbé l’intervention de Michael Oren, alors ambassadeur
israélien aux États-Unis, ont été déclarés coupables, placés en
probation informelle et condamnés à des travaux communautaires. Oren,
citoyen israélien qui, depuis, a été recruté par CNN comme
collaborateur, a demandé au Congrès d’inscrire sur liste noire toutes
celles et ceux qui participent à la campagne de boycotts,
désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël, et d’engager des
poursuites contre celles et ceux qui manifestent dès qu’apparaissent des
officiels israéliens.
Quelques militants de l’université Florida Atlantic ont été exclus de
leurs responsabilités à la direction des étudiants après être sortis en
signe de protestation lors de l’allocution d’un officier de l’armée
israélienne, et ils ont reçu l’ordre par la direction de l’université de
participer à des séminaires de rééducation élaborés par la Ligue
anti-diffamation (ADL pour Anti-Defamation League). Le groupe Étudiants
pour la Justice en Palestine/Colombie (CSJP) a été brusquement suspendu
au printemps 2011, et il a reçu l’interdiction de réserver des salles et
d’organiser des initiatives sur le campus. L’administration de
l’université, avant cette interdiction, avait l’habitude d’avertir le
groupe Hillel du campus avant toute initiative du CSJP. La suspension a
finalement été levée, après protestation des avocats du CSJP.
Max Geller, étudiant en droit et membre du SJP à Northeastern, que
j’ai réussi à avoir au téléphone à Boston, a accusé l’université de
céder à « des pressions extérieures », notamment celles d’un ancien
élève, Robert Shillman, aujourd’hui PDG de la Cognex Corporation, et de
l’investisseur milliardaire Seth Klarman, tous deux partisans de la
droite israélienne.
« Interdire à des étudiants de tenir des fonctions de direction, de
même que des groupes d’étudiants, simplement parce qu’ils sont engagés
dans une manifestation politique pacifique, est contraire à la mission
de l’université qui est d’instruire les étudiants, » a-t-il déclaré.
« Cela retire toute la valeur pédagogique qu’un processus disciplinaire
pourrait rechercher ».
« Dans la dernière année, » a poursuivi Geller, « j’ai reçu des
menaces de mort, j’ai été publiquement et injustement calomnié, et
menacé de mesures disciplinaires. Ceci pour m’être lancé à intervenir
sur la question qui m’inquiète profondément, en tant que juif comme en
tant qu’américain, d’une perspective qui me fait peur et m’angoisse. »
La réaction de force d’Israël contre ces organisations de campus est
symptomatique de son isolement qui va croissant, et de sa préoccupation
devant un soutien américain qui s’affaiblit. L’occupation et les
confiscations de la terre palestinienne, depuis des décennies, ainsi que
les agressions militaires massives contre une population sans défense
dans la bande de Gaza, qui ont fait des centaines de morts, en plus
d’une malnutrition qui va s’empirant chez les enfants palestiniens et
d’une pauvreté qui s’aggrave, tout cela a écarté des sympathisants
traditionnels d’Israël, et notamment de nombreux jeunes Américains de
confession juive. Israël, dans le même temps, est devenu un paria dans
la communauté mondiale.
S’il devait perdre le soutien états-unien, qu’il achète pour une
grande part avec les contributions d’une campagne politique passant par
des organisations comme l’AIPAC (Comité américain pour les affaires
publiques israéliennes), Israël irait à vau-l’eau. Il y a de plus en
plus de banques et autres sociétés, spécialement dans l’Union
européenne, qui rejoignent le mouvement de boycott, qui refusent de
commercer avec les entreprises israéliennes dans les territoires
occupés. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, s’est
exprimé devant l’AIPAC le 4 mars, et de façon étonnante, il a consacré
une grande partie de son discours à attaquer le mouvement BDS naissant,
et dont l’acronyme selon lui signifie, « Bigotry, Dishonesty and Shame »
(fanatisme, malhonnêteté et honte). Il a demandé à ce que les
sympathisants de BDS « soient traités exactement comme nous traitons
n’importe quel antisémite et fanatique ». Il a mis en garde car des gens
« naïfs et ignorants » sont recrutés comme « des compagnons de routes
crédules » dans une campagne antisémite.
Les dirigeants israéliens tentent aussi apparemment d’infiltrer le
mouvement BDS et se servent de subterfuges pour le relier à l’extrémisme
islamique, selon le Times de Londres. Le gouvernement israélien fait
pression dans le sens de projets de loi de censure, antidémocratiques,
dans les instances législatives des États de New York, du Maryland et de
l’Illinois, lois qui infligeraient des sanctions financières aux
organisations universitaires qui boycottent les institutions
israéliennes. Pendant ce temps, les États-Unis et d’autres, avec
enthousiasme, imposent des sanctions à la Russie pour une occupation
bien moins draconienne que le long mépris d’Israël pour le droit
international.
Les classes d’endoctrinement de l’ADL pour les militants
universitaires ne sont, d’après ceux qui ont été tenus de les suivre,
que des tentatives pitoyables d’assimiler toute critique d’Israël à de
l’antisémitisme.
« Moi et deux autres membres du SJP avons été contraints de
participer aux cours de "formation à la diversité" sous le parrainage de
l’ADL, à défaut nous aurions été accusés de violer les conditions de
notre probation et de ce fait, nous aurions été suspendus et/ou
expulsés, » a dit Nadine Aly, étudiante militante de Florida Atlantique
qui, avec d’autres militants, a quitté, en signe de protestation, une
conférence donnée à l’université par un officier de l’armée israélienne,
le colonel Bentzi Gruber, lequel officier a contribué à l’élaboration
des règles dans l’engagement pour l’opération Plomb durci, cette
agression atroce contre Gaza fin 2008 début 2009. J’ai pu la contacter
par téléphone sur le campus de Florida.
« L’idée même que l’administration insinue que c’est raciste de
critiquer la politique israélienne est ridicule. Nous avons été mis en
"probation pour une durée indéterminée", avec l’interdiction de remplir
des fonctions de direction dans toutes les organisations d’étudiants
reconnues, notamment au conseil des étudiants, à l’université, jusqu’à
l’obtention de notre diplôme. J’ai été exclue de ma fonction de
présidente du SJP, de même que de celle de sénatrice étudiant, et
l’ancienne vice-présidente du SJP a perdu son poste de représentante de
la Maison des étudiants. C’est une honte que cette université et
beaucoup d’autres cèdent à la pression du lobby sioniste et de riches
donateurs sionistes, quand elles devraient protéger les droits de leurs
étudiants. »
La persécution d’universitaires, tels que Joseph Massad et Norman
Finkelstein, qui remettent en cause la version israélienne officielle a
longtemps été une caractéristique de l’intervention israélienne dans la
vie universitaire américaine. Et l’empressement des présidents
d’université à dénoncer l’Association des études américaines qui a
appelé à un boycott universitaire d’Israël est une fenêtre ouverte sur
la faim insatiable de l’argent qui semble mener la politique
universitaire. L’effort actuel pour arrêter les groupes d’étudiants,
cependant, porte la censure et les ingérences israéliennes
traditionnelles à un autre niveau. Israël cherche maintenant à museler
ouvertement la liberté d’expression sur les campus des facultés
américaines – toutes celles où des groupes d’étudiants se sont
résolument engagés dans des manifestations non violentes –, et il s’est
assuré le concours d’élites libérales décadentes et d’administrateurs de
facultés, comme une police de la pensée.
L’incapacité des universitaires à défendre le droit de ces groupes
d’étudiants à exprimer des opinions dissidentes et à s’engager dans un
militantisme politique montre à quel point la plupart des universitaires
aujourd’hui sont devenus hors sujet. Où sont dans cette lutte les
professeurs de morale, de religion et de philosophie rappelant aux
étudiants le droit de tous à une vie digne, exempte d’oppression ? Où
sont les professeurs d’études du Moyen-Orient expliquant les
conséquences historiques de la confiscation violente par Israël de la
terre palestinienne ? Où sont les professeurs de journalisme défendant
le droit des dissidents et des victimes à une audience équitable dans la
presse ? Où sont les professeurs d’études sur l’homosexualité et le
sexisme, d’études afro-américaines, sur les Amérindiens ou les Chicanos,
agissant pour protéger la voix et la dignité des marginalisés et des
opprimés ?
Cette agression ne s’arrêtera pas à des groupes comme les Étudiants
pour la Justice en Palestine. Le refus d’entendre les cris du peuple
palestinien, surtout de ces un million et demi de Palestiniens – 60 %
étant des enfants – qui se trouvent piégés par l’armée israélienne dans
Gaza, ce refus s’intègre dans une campagne plus vaste d’agents de la
droite, tels Lynne Cheney et des milliardaires comme les frères Koch,
pour faire disparaître tous les programmes et disciplines universitaires
qui donnent la parole aux marginalisés, spécialement à ceux qui ne sont
ni privilégiés ni blancs. Les Latinos, les Afro-américains, les
féministes, ceux qui étudient sur l’homosexualité et le sexisme sont
soumis aussi à cette pression.
En application d’une loi signée par la gouverneure républicaine Jan
Brewer, les livres des grands auteurs chicanos ont été interdits dans
les écoles publiques à Tucson et ailleurs en Arizona, au motif que de
telles études ethniques encourageaient « un ressentiment envers une race
ou un peuple ». C’est le même langage que celui utilisé par
l’ambassadeur Oren pour justifier son appel à des poursuites pénales
contre les militants BDS – ceux qu’ils prétendent être des
« fanatiques ». Le néo-conservatisme qui enserre Israël a sa
contrepartie toxique au sein de la culture américaine. Et si d’autres
groupes marginalisés dans les universités gardent le silence pendant que
les militants de la solidarité avec la Palestine sont persécutés sur
les campus, ils trouveront moins d’alliés lorsque ces forces de droite
s’occuperont d’eux. Et elles vont s’en occuper.
Celles et ceux d’entre nous qui dénonçons la souffrance provoquée par
Israël et ses crimes de guerre contre les Palestiniens, et qui
soutenons le mouvement BDS, sommes accoutumés à ces campagnes
diffamatoires scabreuses israélienne. J’ai été à plusieurs reprises
qualifié d’antisémite par le lobby israélien, notamment pour mon livre
"La guerre est une force qui nous donne un sens". Certaines de ces voix
dissidentes, comme celle de Max Blumenthal qui a écrit "Goliath : peur
et répugnance dans le grand Israël", l’un des meilleurs témoignages sur
l’Israël contemporain, sont des voix juives que ne semblent pas
perturber les propagandistes israéliens de droite qui voient dans toute
divergence avec la ligne gouvernementale israélienne une forme d’hérésie
religieuse.
« Je suis en tournée pour discuter de mon livre, "Goliath", depuis
octobre 2013 » m’a dit Blumenthal, avec qui je me suis entretenu au
téléphone. « Et à plusieurs occasions, des groupes lobbyistes et des
activistes favorables à Israël ont tenté de faire pression sur les
organisations pour qu’elles annulent mes rencontres avant qu’elles
n’aient lieu. J’ai été diffamé, traité d’antisémite, par des étudiants
adolescents pro-Israël, par d’éminents chroniqueurs de magazine, et même
par Alan Dershowitz, et ma famille a été prise à partie dans la presse
de droite simplement parce qu’elle avait organisé une fête du livre pour
moi. Tout le mal absurde que se donnent les activistes pro-Israël pour
empêcher mon journalisme et mes analyses de toucher un large public
illustre parfaitement leur épuisement et leur pauvreté morale. Tout ce
qu’ils y ont laissé, c’est beaucoup d’argent pour acheter des
politiciens, et une volonté sans limite pour défendre le seul État
d’apartheid nucléarisé au Moyen-Orient. Comme de jeunes Arabes et
musulmans affirment leur présence sur les campus dans tout le pays et
que les Américains juifs sont écoeurés de l’Israël de Netanyahu, nous
pouvons voir que les forces pro-Israël mènent une lutte de repli. La
question n’est pas de savoir si elles la gagneront ou la perdront, mais
combien de dommages elles peuvent faire encore à la liberté d’expression
avant qu’on les amène à rendre des comptes devant la justice. »
« Ce serait réconfortant si des intellectuels libéraux de premier
plan approuvaient toutes mes conclusions, ou approuvaient la légitimité
de BDS, » a poursuivi Blumenthal. « Mais la seule attente raisonnable
que nous pouvons avoir venant d’eux, c’est qu’ils élèvent la voix pour
défendre celles et ceux dont les droits à la liberté de s’exprimer et de
s’organiser sont étouffés par des forces puissantes. Malheureusement,
quand ces forces se déploient pour la défense d’Israël, beaucoup
d’intellectuels libéraux gardent le silence ou, comme dans le cas de
Michael Kazin, Eric Alterman, Cary Nelsont et de la fine fleur des
présidents d’université, ils collaborent activement avec d’autres élites
déterminées à étouffer le militantisme de solidarité avec la Palestine
par tous les moyens antidémocratiques. »
Les chapitres Hillel, tristement, fonctionnent souvent comme de
simples avant-postes du gouvernement israélien et de l’AIPAC. Cela est
vrai à Northeastern aussi bien que dans des facultés comme la faculté
Barnard et celle de Columbia. Et les présidents d’université comme
Debora Spar, de Barnard, ne voient aucun mal à accepter des séjours en
Israël, pendant que les étudiants palestiniens doivent risquer
l’emprisonnement, et même la mort, pour venir étudier aux États-Unis. Le
lancement de campagnes de diffamation sur tous les campus par des
maisons soi-disant religieuses est un sacrilège pour la religion juive.
Dans un séminaire, j’ai suffisamment lu les grands prophètes israélites,
dont la première préoccupation allait vers l’opprimé et le pauvre, pour
savoir qu’on ne les trouverait pas aujourd’hui dans les centres Hillel,
mais plutôt à manifester avec les militants du SJP.
Les centres de campus Hillel, avec des budgets somptueux et des
immeubles rutilants, sur des campus souvent situés dans des zones de
délabrement urbain, proposent des évènements, conférences et programmes
pour promouvoir la politique officielle israélienne. Ils organisent des
voyages gratuits en Israël pour les étudiants juifs dans le cadre du
programme « Taglit Birthright », ils fonctionnent comme une agence de
voyages du gouvernement israélien. Pendant que les étudiants juifs,
souvent sans liens familiaux avec Israël, sont escortés dans ces séjours
de propagande bien orchestrée en Israël, des centaines de milliers de
Palestiniens qui restent confinés dans des camps de réfugiés sordides ne
peuvent rentrer dans leur foyer, alors que leurs familles y ont vécu
pendant des siècles, sur ce qui est maintenant une terre israélienne.
Pendant des décennies, Israël a pu encadrer le débat sur les
Palestiniens. Mais son contrôle sur le récit touche à sa fin. Israël
perd du terrain, il va s’en prendre méchamment et sans raison à tous les
diseurs de vérité, même si ce sont des étudiants américains, et même et
surtout s’ils sont juifs. Ce jour viendra, et il viendra plus tôt que
ne le croient Israël et ses laquais vendus, quand tout l’édifice
s’écroulera, quand même les étudiants de Hillel n’auront plus envie de
défendre la dépossession continuelle et les assassinats aveugles des
Palestiniens. Israël, en faisant taire impitoyablement les autres,
risque maintenant lui-même de se taire.
Chris Hedges donnera une conférence sous le parrainage du Forum
économique politique à l’université Northeastern, le 25 mars à 18 h, à
West Village F, 20, 460 Parker St. à Boston.
*
Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à
Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur américain.
Ancien correspondant de guerre, il est reconnu pour son analyse de la
politique américaine ainsi que de celle du Moyen-Orient. Il a publié
plusieurs livres, dont le plus connu est War Is a Force That Gives Us
Meaning (2002).