L’appel du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, pour la reconnaissance du caractère juif d’Israël en plus du maintien des colonies et du rejet pratique de l’Etat palestinien ont ouvert le débat sur les vraies intentions de Tel-Aviv qui semble privilégier une vision fasciste et raciste.
Un incident significatif qui n’est ni le premier ni le dernier du genre : le ministre israélien de la Sécurité intérieure, Yitzhak Aharonovitch, a été filmé tenant des propos anti-arabes, lors d’une tournée d’inspection à Tel-Aviv.
Rencontrant un policier en civil qui s’excusait de porter des vêtements sales, le ministre lui a répondu : « C’est pas grave, tu as l’air d’un vrai Arabush », usant d’un terme d’argot péjoratif pour « Arabe ».
A la suite de la diffusion de la scène à la télévision publique, ce ministre du parti d’extrême droite Israel Beiteinou a affirmé « avoir voulu plaisanter et n’avoir pas eu l’intention d’insulter quiconque ». Mais le député arabe israélien Ahmed Tibi, qui connaît bien les choses, a affirmé que cette phrase révélait « le caractère fasciste » du parti dirigé par le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liebermann, troisième formation du Parlement (15 députés sur 120) et membre de la coalition au pouvoir. On rappelle d’ailleurs que l’Egypte a refusé de recevoir ce Lieberman. D’ailleurs, il avait axé sa campagne électorale au début de l’année sur des attaques verbales contre la population arabe, sur le thème « Pas de citoyenneté sans loyauté envers l’Etat ».
En fait, il ne s’agit pas d’un simple malentendu ou lapsus, mais l’expression d’une mentalité grandissante en Israël. On peut même aller jusqu’à dire que cela est profondément gravé dans la culture d’un grand nombre d’Israéliens, malheureusement cette extrême droite qui est au pouvoir actuellement. A l’heure où les efforts sont déployés par la communauté internationale avec une intervention concrète, quasiment inédite et efficace du président américain Barack Obama, pour parvenir à la paix, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu multiplie les obstacles tout en prétendant vouloir parvenir à une solution. Ainsi le principal élément de son discours où il répondait à celui d’Obama a été de mettre en exergue le caractère juif de l’Etat d’Israël. S’il a accepté l’idée de principe d’un Etat palestinien, il a posé une série de conditions draconiennes. Il a notamment exigé la démilitarisation de cet Etat et la reconnaissance par la direction palestinienne d’Israël comme Etat du peuple juif. Il a aussi exclu un gel de la colonisation juive, un retour des réfugiés palestiniens poussés à l’exode lors de la création d’Israël en 1948, ou un retrait de la partie arabe occupée de Jérusalem.
Ce que le négociateur palestinien Saëb Erakat a expliqué comme juste cinq « non » exprimés par Netanyahu. « Il a dit non à une solution à deux Etats, non au gel de la colonisation, non à la vision du président Barack Obama pour un nouveau Proche-Orient, non à la reprise des négociations au point où elles s’étaient arrêtées et non à l’Initiative de paix arabe », proposant une normalisation avec Israël en échange de son retrait des territoires occupés, a-t-il estimé.
Si l’on veut arriver au fond de la pensée de Netanyahu, c’est justement faire d’Israël un Etat fasciste professant un système très proche de l’apartheid. Un refus clair et net du Palestinien, autant celui de l’Etat projeté que celui qui réside dans l’Etat d’Israël. Et somme toute, ce n’est pas uniquement le point de vue de l’establishement mais aussi celui de plusieurs catégories.
Une autre scène qui vient s’imposer : des gardes-frontières israéliens se sont amusés à filmer des humiliations qu’ils ont fait subir à des Palestiniens et ont diffusé ces vidéo clips sur Internet, rapporte vendredi le quotidien Haaretz. Sur l’un des clips qui remontent à plusieurs années, diffusé sur YouTube, l’on voit un Palestinien forcé à se gifler et à chanter en arabe : « J’aime les gardes-frontières ». Un autre clip montre un Palestinien arrêté et conduit en jeep, forcé encore et encore à reprendre ce refrain.
Une troisième vidéo, remontant à 2007, montre des gardes-frontières en action, avec la photo de l’un d’eux souriant au côté d’un Palestinien menotté et les yeux bandés. Sur une autre vidéo, une voix off lit : « Que chaque mère arabe sache que le sort de ses enfants est entre les mains de la compagnie C3 ». D’anciens membres du corps des gardes-frontières, dont un officier qui avait servi dix ans, ont affirmé que les pratiques humiliantes étaient toujours courantes. Le porte-parole des gardes-frontières, Moshé Finsi, a toutefois affirmé à l’AFP qu’« au cours des dernières années, le nombre de bavures de ce type a considérablement diminué du fait d’un travail d’éducation des recrues ». Il a souligné que les films « remontaient presque tous à plusieurs années et que le corps des gardes-frontières avait ouvert des enquêtes et chassé les coupables de ses rangs ». Les gardes-frontières, qui dépendent de la police, sont chargés en particulier des contrôles d’identité aux barrages routiers en Cisjordanie et aux entrées de Jérusalem et de traquer les travailleurs palestiniens sans permis en Israël.
Plusieurs d’entre eux ont été impliqués ces derniers temps dans des cas de mauvais traitements à l’encontre de Palestiniens. Deux gardes-frontières ont ainsi été condamnés en 2008 à six ans et demi et quatre ans et demi de prison ferme respectivement pour le meurtre d’un Palestinien à Hébron, en Cisjordanie fin 2002. Ils avaient jeté Imran Abou-Hamdieh, 18 ans, hors de leur Jeep alors que celle-ci roulait à 80 km/h. Grièvement blessé à la tête, il était ensuite décédé.
Mais y a-t-il du nouveau dans ce contexte ? La question qui s’impose est de savoir ce qu’implique sur le plan politique la définition d’Israël en tant qu’Etat juif, d’autant plus que la réaction arabe, celle du président Moubarak, est bien précise : « L’appel à reconnaître Israël en tant qu’Etat juif complique davantage les choses et ruine les possibilités de paix. (...) Personne ne soutiendra cet appel, ni en Egypte ni ailleurs ».
Pour Emad Gad, rédacteur en chef d’Israeli Digest, l’idée d’un Etat juif existe depuis la résolution de partage en 1947. « Mais il n’est pas usuel que l’Etat demande à la communauté internationale de reconnaître l’appellation qu’il se donne. Or, Israël se donne cette titulature. Cela implique que sous couvert de reconnaissance d’Etat juif, Israël pourra renvoyer les Arabes qui sont sur son territoire et qui représentent déjà aujourd’hui 20 % de sa population. Si ce nombre augmente (on sait que le taux de fertilité des Palestiniens est plus grand que celui des Israéliens), il aura le droit de les expulser sous prétexte que ceci altère la nature de l’Etat ». Jusqu’à très récemment, les Israéliens tentaient de surmonter ce problème grâce à l’immigration de juifs provenant de différents pays. Gad relève aussi cet aspect d’épuration ethnique si l’on peut dire. « Par exemple, pour retirer des colons de Cisjordanie, ils exigeraient en échange l’expulsion d’Arabes israéliens. Graduellement, le territoire israélien sera dépourvu d’Arabes ». Et d’ajouter que la demande de Netanyahu n’est pas de pure forme. « C’est un regard approfondi pour une étape à venir. Cela n’est pas nouveau dans la doctrine israélienne, ce qui est nouveau, c’est le fait de le mettre comme une condition sine qua non d’un règlement. En fait, l’étape précédente était plutôt concentrée à attirer les juifs ; aujourd’hui, c’est plutôt d’expulser les Arabes ».
Analogie avec l’apartheid
Ce point de vue est partagé par le politologue Abdel-Ghaffar Chokr. « Proclamer le caractère juif de l’Etat est un préliminaire à la sortie des Arabes d’Israël » et de relever que ceci veut dire qu’il s’agira concrètement d’un Etat raciste. Mais s’agirait-il d’un Etat à l’exemple de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid ? Beaucoup d’analystes en parlent, d’autant plus qu’Israël a bien collaboré avec l’ancien régime de Pretoria, lui fournissant soutiens politique et militaire, rappellent-ils. Il ne s’agit pas non seulement de la situation des Arabes israéliens. Le mur en témoigne aussi. « Le penseur américain Naom Chomsky estime même que le mur va au-delà de ce qu’était la politique sud-africaine des bantoustans, il se refuse à utiliser le terme d’apartheid pour la situation à l’intérieur des frontières d’Israël, tout en considérant que les techniques d’appropriation de terres arabes s’en sont rapprochées ». (Apartheid et Israël/Palestine, analogie et contresens, Frédéric Giraut).
Il est question dans l’analogie aussi du système que veut établir Israël. Netanyahu a bien parlé d’un Etat démilitarisé, privé de véritables structures. C’est bien des bantoustans ces pseudo Etats d’Afrique du Sud, très proches même s’ils sont différents des townships ou des ghettos urbains.
Est-ce de la propagande anti-israélienne juste ? Ou bien une logique qu’impose une réalité tout à fait analogue : des occupants étrangers, condamnés à être minoritaires et qui compensent par la puissance et la suprématie militaire, financière et technologique cet état des lieux, sans oublier un lien très étroit avec l’Occident, protecteur.
Mais pour Emad Gad, l’analogie est un peu lointaine. Israël est un Etat raciste, mais pas au point de parler d’un apartheid. Il ne s’agit pas d’une séparation totale. « Il y a une discrimination raciale, mais pas une ségrégation raciale. L’Afrique du Sud l’appliquait comme une politique, un système », dit-il.
Mais pour revenir au texte de Frederic Giraut, les analogies existent aussi au niveau historique. « L’assimilation de l’Etat d’Israël et du sionisme à l’apartheid joue sur certains rapprochements historiques. Tout d’abord, une date fondatrice commune, 1948. La colonisation de peuplement d’origine européenne, ensuite, avec un débat sur l’antériorité historique d’installation - on sait que les Afrikaners prétendaient avoir colonisé la région en même temps, voire juste avant que les migrations bantoues n’aboutissent en Afrique australe, et se désignaient dans leur propre mythologie comme peuple élu. Un discours certes très éloigné de l’argument autrement plus fort du retour à la patrie originelle et biblique. Mais les registres se recoupent : Theodor Herzl ne donnait-il pas le Transvaal minier en exemple de colonie de peuplement modèle dans son Judenstaat de 1896 ? ».
En fait, le rapport se confirme avec la question de la colonisation qui, en Israël, constitue une vraie représentation culturelle et identitaire. David Grossman, l’un des écrivains les plus renommés d’Israël, reproche à Netanyahu de « n’avoir pas parlé avec courage et honnêteté, comme il l’avait promis, en évitant de traiter du rôle destructeur de la colonisation comme obstacle à la paix. Il n’a pas regardé les colons droit dans les yeux et ne leur a pas dit ce qu’il sait parfaitement : la carte des implantations contredit la carte de la paix » Une paix de plus en plus lointaine.